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Voici ce que consomme vraiment un smartphone (partie 2): antennes-relais et serveurs au coeur du problème

Suite et fin de notre dossier consacré à la consommation des smartphones. Après l'énergie nécessaire au fonctionnement de l'appareil en tant que tel (faible, on l'a vu), place au gros morceau de ce dossier: toutes les infrastructures qui alimentent les services et applications de nos téléphones.

Utiliser un smartphone est-il réellement un acte énergivore ? On l'a compris dans la première partie de notre dossier publié hier, ce ne sont pas les smartphones en tant qu'appareils qui sont des grands consommateurs d'énergie. Avec 1 Watt d'énergie dissipée lorsqu'ils sont en utilisation intensive, on est très loin des appareils électroménagers.

En réalité, tout se complique quand ces smartphones sollicitent (et ils le font de plus en plus) les différentes infrastructures réseau nécessaires à leur connexion. Et vous allez le voir, ça va très vite.

Il y a tout d'abord les antennes relais (4G actuellement, bientôt 5G). Ces différentes normes de télécommunications mobiles ont des consommations assez différentes, et le matériel évolue régulièrement. Mais ce sont des grands consommateurs d'énergie. D'après des chiffres d'une récente étude (voir PDF en anglais), une antenne consomme entre 1.430 et 3.700 Watts. Ça représente 60% des besoins énergétiques globaux en matière de réseau mobile (on parle donc ici de l'internet mobile, des appels et des SMS). Les 40% restant représentent les autres infrastructures nécessaires: cabines, relais, gestions centralisées, etc...

En Belgique, selon les derniers chiffres de l'IBPT (Institut belge des services postaux et des télécommunications), accessibles via cette carte d'implémentations, il y a 7.630 sites, qui abritent 1, 2 ou 3 antennes (des opérateurs Proximus, Orange ou Base).

Si on fait des moyennes de tous ces chiffres, on arrive à une puissance nécessaire de 31.084.620 Watts des antennes uniquement. Si on ajoute les 40% du reste des infrastructures, on arrive à environ 50 millions de watts nécessaires pour faire fonctionner les réseaux de communications mobiles. Il s'agit de nos estimations.

Plus rapide, plus puissante, la 5G a été optimisée pour réduire au maximum les besoins en énergie. Ou plutôt pour être plus efficace avec une consommation similaire, vu les usages grandissants qu'elle va entraîner. Donc ne nous leurrons pas, elle restera très gourmande.


Des antennes 5G installées en Corée du Sud

L'internet "fixe", à la maison, est-il moins énergivore ?

Les technologies de câble et de DSL des opérateurs Proximus et Voo (ou Telenet) sont implémentées depuis bien longtemps dans nos foyers et nos entreprises. Bonne nouvelle: ce moyen d'accès à internet est nettement moins énergivore. En effet, loin devant leurs centres de données, et très loin devant les infrastructures du réseau fixe, les antennes mobiles représentent le premier poste de dépense énergétique des opérateurs: près de 70% du total, d'après des chiffres d'Orange de 2017.

Pourquoi une telle différence ? En deux mots, la couche physique des communications sans fil (modulation, codage, réseaux d’accès aux canaux, relais, etc.) consomme plus de puissance par rapport à un accès fixe en raison de graves dégradations du signal des canaux radio mobiles. En clair, il faut plus d'énergie pour faire transiter des données en 4G car il y a des pertes tout au long du parcours des ondes dans l'espace.

Ce n'est pas le cas dans votre maison, même si votre modem/routeur est équipé du Wi-Fi, qui va lui aussi 'perdre' de l'énergie en envoyant les données sans fil (la déperdition est nettement moindre que pour une antenne 4G). Au passage, donc, privilégiez les câbles quand c'est possible, par exemple pour connecter ordinateur, TV, console de jeux, enceinte réseau, etc.

Les data centers, face cachée de l'iceberg ?

On a parlé des moyens de connexions du smartphone au réseau, à internet donc. Reste à parler de l'essentiel: les données elles-mêmes. La vidéo YouTube que vous regardez, la photo que vous partagez sur Instagram: ces deux exemples sont des données qui sont stockées sur les serveurs des entreprises concernées, à savoir les maisons mères Google et Facebook.

On parle ici des notions de cloud (stockage décentralisé des données) et de data centers (ces immenses hangars hyper sécurisés abritant des millions de GB de données, dans des serveurs informatiques).

"Un serveur, c'est un très gros ordinateur, parfois planqué à des distances phénoménales. Par exemple, si vous utilisez Siri (l'assistant vocal personnel d'Apple) sur un iPhone, votre voix est transmise à New-York, où des serveurs vont traiter la voix et renvoyer l'information vers votre téléphone", rappelle Dragomir Milojevic, de l'ULB.

Dans les data centers, il y a "des dizaines voire des centaines de milliers de processeurs", et chacun d'entre eux va consommer "environ 150 Watts". Et en plus de cette énergie nécessaire pour calculer des requêtes et faire transiter des données, "il faut les refroidir car ces processeurs travaillent à des très grandes fréquences, donc beaucoup de courant traverse ces petites surfaces, ce qui génère énormément de chaleur". Or, "il ne faut pas dépasser les 120°, donc il faut refroidir ces hangars et le coût énergétique nécessaire est gigantesque".


Google, le symbole…

Le monde des data centers est entouré de mystère. Pour des raisons commerciales et sécuritaires, on ne sait pas trop qui fait quoi, qui détient quelle quantité de serveurs à l'échelle mondiale.

Prenons donc Google car il est symbolique de notre consommation exponentielle de contenus et services en ligne, sur ordinateur comme sur mobile. Sachez par exemple que tous les mois, plus de 1,9 milliard d'utilisateurs se connectent à YouTube. Chaque jour, les internautes regardent plus d'un milliard d'heures de vidéos et génèrent plusieurs milliards de vues sur la plate-forme (dont 70% sur smartphone ou tablette). Imaginez le travail que cela représente pour les serveurs du géant américain, et donc l'électricité nécessaire pour alimenter les processeurs et refroidir les hangars…

Conscient de son empreinte et soigneux envers son image de marque, Google essaie de présenter un bilan carbone neutre. Il investit dans l'énergie verte (rachat d'énergie renouvelable, soutien de projets, investissement "verts") pour combler l'électricité dont il a besoin là où ses data centers sont construits.

Google en a 15 dans le monde, 4 en Europe, dont un grand site en expansion constante en Wallonie, près de Mons. Le géant américain y maximise bien entendu l'efficacité énergétique de ses infrastructures. Frédéric Descamps, responsable des data centers Google pour la Belgique, nous a donné quelques précisions. "Nos installations utilisent le refroidissement liquide par évaporation. On conçoit ces derniers de manière à assurer un confinement des allées chaudes ou froides. On optimise le design des datahalls (couloirs) grâce à la modélisation des flux d'air. On optimise également le nombre d'installations de refroidissement en service, on mesure leur performance mais aussi on utilise l'intelligence artificielle pour améliorer encore leur fonctionnement".

Parallèlement à cela, il y a des techniques propres à certains sites. "A Saint-Ghislain en Belgique, nous utilisons l'eau du canal comme eau d'appoint pour les tours de refroidissement, on traite celle-ci afin qu'elle ait la qualité minimale requise. Nous avons également installé un parc de panneaux photovoltaïques" produisant annuellement 2,9 GWh d'énergie renouvelable, propre et sûre, utilisée directement par le centre de données, nous a-t-il expliqué.

Construire et gérer ces data centers "propres" en Europe représente un investissement de 3,2 milliards d'euros de la part du géant américain, sur les 10 dernières années.


Les data centers de Google dans le monde (©Google)

CONSCIENTISER : "Au lieu d'envoyer un message par texte, ils enregistrent des messages vocaux par dizaines"

Dragomir Milojevic, professeur à l'Ecole Polytechnique de Bruxelles (ULB), tire tout de même la sonnette d'alarme. L'arrivée de la 5G et le déploiement de la fibre (remplace lentement le DSL) vont rendre encore plus immédiat notre accès aux contenus dits "lourds" (streaming de vidéo et de jeux vidéo), favorisant ainsi l'amélioration de la qualité de ce contenu (définition 4K, puis 8K). Ce qui les rendrait encore plus lourd, un vrai cercle vicieux…

"Ce qui est le plus dramatique, ce n'est donc pas vraiment la consommation d'aujourd'hui, mais la croissance annoncée. Elle est exponentielle. Dans les 5 à 10 ans à venir, ça va être une explosion".

"Tous les services proposés actuellement vont vers cette idée de streaming, qui est énergiquement catastrophique", si on le compare par exemple au visionnage d'un DVD ou l'achat d'un jeu vidéo sur support physique.

Il est donc essentiel de "conscientiser les gens", insiste notre interlocuteur, car comme dans la plupart des problématiques environnementales, les causes premières sont liées l'activité humaine, à nos (mauvaises?) habitudes de consommation.

"Il y a peu de temps, j'étais dans un avion vers la Chine, en attente de décollage. Il y avait environ 150 personnes qui, plutôt que d'envoyer des messages par texte, ce qui énergétiquement ne coûte rien, préféraient envoyer des messages vocaux ! Ils enregistraient un message avec l'application de messagerie sur leur smartphone, créant donc un fichier qui sera transmis à distance. Et là, la consommation énergétique, elle est multipliée par 10, 100 voire 1.000. Et ils envoyaient et recevaient tous des dizaines de messages de ce genre".

Et c'est sans compter les appels vidéos qui sont également favorisés par les abonnements à l'internet mobile de plus en plus généreux (3, 5, 10 ou 20 GB par mois): "C'est encore beaucoup, beaucoup plus".

Sans critiquer quelconque démarche ou manifestation en faveur du climat, il est essentiel de rappeler que "quand on dit qu'on est écoresponsable, c'est très bien, mais ça implique aussi de comprendre ce que cela engendre de regarder une vidéo en streaming". Or on le fait tous, pratiquement tous les jours. Surtout les jeunes générations, pendues aux réseaux sociaux, à YouTube et à Netflix.

Le débat reste ouvert, car la numérisation de notre société a permis de réaliser des économies, notamment en matière de transport (courrier) et de support (papier). Le responsable data centers de Google en Belgique pose cette question: "Quelle énergie dépensait-on pour diriger une entreprise il y a 30 ans ? On faisait appel à des commerciaux qui se rendaient sur place. Ils prenaient des mesures ou se voyaient remettre un plan papier, au mieux une disquette avec le fichier du plan. Ils établissaient une offre envoyée par la poste, nécessitant enveloppe, feuille, timbre, machine à écrire ou ordinateur et imprimante. Ce courrier était acheminé en camionnette vers une boîte aux lettres, pris en charge par la poste, remis au destinataire (client). Après cela on établissait une commande papier, envoyée par la poste (idem papier, enveloppe, etc). On recevait la commande (comme aujourd'hui) avec une facture papier. Virement papier, banque, etc… Réfléchissez au même service aujourd'hui !"

Cette hypothèse n'est pas universelle, cependant. Avant l'avènement de YouTube ou de Netflix, on regardait moins de vidéos, et la technologie du 'broadcast' des chaînes de télévision, analogiques à l'époque, ne nécessitait pas de data centers…

"Doit-on donc arrêter tout?", se demande le professeur Dragomir Milojevic en guise de conclusion. "NON ! Je suis le premier à dire que c'est fantastique ! Mais il faut éduquer les gens, leur expliquer ce que cela représente réellement afin qu'ils se posent la question: faut-il VRAIMENT que j'envoie/regarde cette vidéo?"

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