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Avec "Peterloo", le réalisateur Mike Leigh dépeint le passé pour interroger le présent

Les conséquences de l'austérité, la défiance des citoyens, la montée de l'autoritarisme: avec son dernier film, qui se déroule dans l'Angleterre du XIXe siècle, le réalisateur britannique Mike Leigh veut "dresser des parallèles" avec l'époque actuelle.

"Peterloo", le titre de ce long métrage, traite du drame authentique qui s'est produit à Manchester en 1819, quand l'armée chargea une foule de manifestants réclamant une réforme des institutions.

"Compte tenu de la rapidité avec laquelle le chaos se répand actuellement au Royaume-Uni, mais aussi à l'étranger, comme vous le savez, c'est un film qui résonne", avance Mike Leigh dans un entretien à l'AFP, à quelques jours de la sortie du film, prévue le 2 novembre au Royaume-Uni et en 2019 à l'étranger.

En 1819, "les gens protestaient à propos des élections, mais aussi contre leurs conditions de vie, et l'on peut dresser des parallèles" avec aujourd'hui, estime le réalisateur, qui juge son époque "inquiétante".

Il espère que son public tirera ses propres conclusions du récit qu'il propose. "Je ne fait jamais de film pour dire +pensez comme cela+, ma démarche est d'inviter à la réflexion".

Âgé de 75 ans, le cinéaste se réjouit que "Peterloo" sortent sur les écrans après les révélations du mouvement #MeToo et l'élan de libération de la parole qui a suivi.

"C'est stupéfiant que ces choses sortent seulement maintenant", s'indigne-t-il. "C'est scandaleux, mais c'est positif que des gens s'attaquent finalement au problème pour châtrer les responsables".

- "Date majeure de l'histoire" -

"Peterloo" est le film le plus cher de Mike Leigh, déjà nommé aux Oscars à cinq reprises, notamment pour "Secrets et Mensonges", palme d'or à Cannes en 1996, "Vera Drake", et "Another Year".

Il raconte, sur près de deux heures et demie, la montée d'une mobilisation populaire en faveur d'une réforme de la représentation parlementaire, dans l'Angleterre paupérisée du XIXe siècle, à une époque où seulement 2% de la population disposait du droit de vote.

"Cela porte sur la démocratie, la manière dont les gens sont écoutés. Cela porte aussi ceux qui sont au pouvoir, et ceux qui en sont éloignés, ceux qui possèdent et ceux qui n'ont rien", explique Mike Leigh.

A l'époque, le mécontentement populaire avait été alimenté par des mesures d'austérité prises au lendemain des coûteuses guerres napoléoniennes.

Parmi elles, les Corn Laws qui, pour favoriser la production nationale, avaient imposé des droits de douanes et des restrictions aux importations de céréales, faisant monter les prix et le mécontentement.

Le film culmine avec le massacre de Peterloo: la charge de la cavalerie britannique contre la foule rassemblée sur St Peter's Square à Manchester, qui avait fait quinze morts et des centaines de blessés. Le nom est une référence à la bataille de Waterloo, qui s'était tenue quatre ans plus tôt.

Si les revendications des manifestants avaient seulement été exaucées plusieurs décennies après cet épisode, Peterloo reste "généralement considéré comme l'une des dates majeures de l'histoire de la démocratie britannique", affirme le réalisateur.

Les protestataires de l'époque seraient "choqués et franchement dégoutés par le fait que les gens disposent désormais du droit de vote et ne l'utilisent pas" toujours, juge Mike Leigh, en référence aux taux d'abstention observé au Royaume-Uni, régulièrement supérieur à 30%.

- "Gâchis déconcertant" -

Il estime que le débat politique actuel dans le pays, dominé par le Brexit, présente des similitudes avec celui d'il y a deux siècles.

"C'est un gâchis déconcertant", déplore-t-il, "et dans une certaine mesure, la situation il y a 200 ans était aussi celle d'un gâchis déconcertant".

Il s'inquiète de l'évolution du cinéma britannique après la prochaine sortie du Royaume-Uni de l'UE. "Le cinéma européen a une identité et je suis très attaché à l'idée d'y appartenir", souligne-t-il, "mais cela va devenir très compliqué".

Récemment devenu grand-père pour la première fois, il s'interroge sur l'héritage laissé aux jeunes générations.

"Je pense à mon petit-fils et à ce que sera le monde en 2100", reconnait-il. "C'est très difficile de ne pas commencer à être un peu pessimiste."

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