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John Neumeier crée une oeuvre par groupes fragmentés, Annabelle López Ochoa conçoit des mini-danses via Zoom: à l'heure de la distanciation sociale, des chorégraphes redécouvrent leur métier en revenant aux petites formes et à l'intimité de la danse.
Interdiction de se toucher, distance d'un à deux mètres, pas d'équipe technique: ces restrictions les ont paradoxalement libérés de certaines contraintes.
"Cela a fait naître de la spontanéité! Généralement dans tout projet, il y a beaucoup de planification, particulièrement avec les costumes et les décors qui doivent être préparés des années à l'avance", affirme à l'AFP John Neumeier, directeur artistique du Ballet de Hambourg.
Le grand chorégraphe crée en ce moment "Ghost Light", un ballet avec 57 danseurs de sa compagnie, sur les "Impromptus et Moments musicaux" de Schubert.
- "Comme une mosaïque" -
"Ce qui est nouveau pour moi, c'est de créer sans me préoccuper des costumes ou du décor. Je travaille avec de la matière brute, des danseurs dans un espace vide".
L'interdiction de se toucher - sauf pour les sept couples de la compagnie - a créé de nouvelles sensations.
"Dans le ballet, on est habitué à être tellement libre dans la manière dont on se touche. Parfois, on prend ça pour acquis. "Aujourd'hui, la distance crée immédiatement une tension spéciale", selon lui.
Le chorégraphe dit "se concentrer plus sur l'art du solo". Comment alors travailler avec autant de danseurs? "C'est comme une mosaïque, je travaille avec six danseurs, puis avec huit, puis avec deux mais je ne sais pas à quoi cela va ressembler à la fin".
Il compte présenter la première le 6 septembre devant une jauge... encore à définir.
D'autres, comme la Belgo-colombienne Annabelle Ochoa Lopez, se sont emparés des nouvelles technologies: depuis le 21 mai, cette chorégraphe basée aux Pays-Bas a créé via Zoom plusieurs danses courtes, filmées puis montées.
"Deux danseurs français du Ballet de Norvège partant à la retraite m'ont demandé si je pouvais leur chorégraphier un spectacle d'adieux via Zoom", raconte-t-elle à l'AFP. Dans "Where do the birds go?", diffusé sur YouTube, ils dansent en se servant du canapé de leur salon.
"Je verbalisais beaucoup plus mes idées, je devais orienter beaucoup plus leur regard car c'est un cadre plus intime que la scène", explique-t-elle.
"Je m'approchais et m'éloignais constamment de mon ordinateur portable pour montrer le mouvement, parfois je le mettais par terre pour montrer mes pieds".
Dans une deuxième vidéo, une danseuse du Ballet Hispanico (New York) danse dans l'encadrement de ses fenêtres; la troisième, avec deux danseurs de Tulsa Ballet et une table pour décor, s'inspire du mime Marcel Marceau, tandis que dans la quatrième, un couple du Dutch National Ballet danse dans son lit sur "Avec le temps" de Léo Ferré.
"Bien sûr, le studio me manque mais je pense que quelque chose va rester dans l'avenir de cette expérience", assure Mme Lopez.
- "Des pièces plus petites" -
Pour Kader Belarbi, directeur artistique du Ballet du Capitole de Toulouse, les attraits du numérique sont multiples, mais la vitrine que représente l'écran "fait que les sens ne passent plus comme dans un spectacle vivant".
Il espère que les nouvelles technologies ne marquent pas "la fin d'une culture de transmission directe".
Dix-sept danseurs de sa troupe, de retour à la barre depuis la fin mai, présentent actuellement des improvisations dans des Ehpad.
M. Belarbi prépare lui-même des solos et des pas de deux pour quatre couples, "des phrases chorégraphiques seules qui seront ensuite combinées". Il doit même adapter les répétitions pour sa création, un ballet sur Toulouse Lautrec reporté en novembre, en "fragmentant" les séquences.
Pour certains, les petites formes vont gagner du terrain.
"Beaucoup de compagnies vont privilégier des pièces plus petites, moins chères et plus faciles à gérer en termes de distanciation", affirme Martin Harriague, chorégraphe et artiste associé au Malandain Ballet Biarritz.
"Peut-être que c'est le moment de réfléchir à notre modèle économique, dit-il.
Il travaille sur un solo avec un danseur de la compagnie sur sa véranda, séparés par du verre. Durant le confinement, il avait lancé le "Concours chorégraphique depuis chez soi", qui a remplacé le concours annuel organisé par la compagnie.
"Dans la contrainte est née beaucoup de liberté", précise-t-il.