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La guerre sur téléphone comme au front: PUBG fait fureur en Libye

"Les gars de Haftar viennent nous chercher"! C'est jour de repos pour Abdelaziz Bourawi et ses camarades de combat en Libye. Ils ont posé leurs armes mais continuent la guerre, les yeux rivés sur leurs téléphones: ils sont accro à PUBG, célèbre jeu de combat en ligne.

Le jeu PlayerUnknown's Battlegrounds (PUBG) aux plus de 360 millions de téléchargements à travers le monde et dans lequel le vainqueur est le dernier survivant, a été interdit en Irak au motif qu'il incite à la violence et a "des effets négatifs sur la santé, l'éducation et la sécurité de la société". Le Népal et l'Etat indien du Gujarat l'ont également banni.

En Libye, le jeu créé par l'Irlandais Brendan Greene en 2017, désormais propriété du géant chinois Tencent, fait fureur. Même sur la ligne de front où s'affrontent depuis près d'un mois les forces loyales au Gouvernement d'union nationale (GNA) et celles du maréchal Khalifa Haftar, lancées le 4 avril à la conquête de la capitale Tripoli.

"On y joue en rentrant du front, et parfois même sur le front", raconte de sa voix rauque le massif Abdelaziz Bourawi, en tenue militaire couleur sable.

Ce jeune homme de 25 ans et ses camarades d'une "katiba" (bataillon) de Misrata, ville à l'est de Tripoli, combattent aux côtés des forces pro-GNA à An Zara, un quartier de la banlieue sud de Tripoli.

Cet après-midi-là, ils sont au repos dans leur camp à Tajoura, banlieue est de la capitale libyenne.

- "On apprend des trucs" -

Sous un large auvent, lui et ses camarades -majoritairement dans leur vingtaine- ont posé leurs kalachnikov rafistolées avec du scotch et leurs lance-roquettes RPG sur la table.

Ils ont pris leurs téléphones, les ont connectés en réseau, choisi avec soin les tenues de leurs avatars -bariolées pour certains, plus discrètes pour d'autres.

Et c'est parti pour PUBG (prononcé "bobdji" en arabe): ils sautent de l'avion, début immuable de chaque mission où cent joueurs sont parachutés sur une île, doivent récupérer des armes, éliminer les autres et le dernier à rester en vie gagne.

"J'ai découvert le jeu il y a un an grâce aux gars. J'ai essayé par curiosité et j'en suis tombé amoureux", raconte Abdelaziz Bourawi.

"La nuit, on joue. On ne dort pas!", lance en rigolant un autre.

"Que ce soit le matin, l'après-midi ou la nuit, il faut qu'on joue", ajoute Mohamed Chaafi, 19 ans.

"Ca nous excite et on peut même apprendre des trucs (pour combattre, ndlr): où regarder, comment ramper, comment nous entraîner... Ca nous motive quand on y joue avant d'aller au front", ajoute-t-il, casquette camouflage sur la tête, la visière relevée à la manière d'un cycliste.

- "Entre vraie vie et jeu" -

Autour de la table, les premiers crépitements de coups de feu sortent des téléphones.

Sans jamais quitter l'écran des yeux, les quatre jeunes se parlent comme au combat: "Il y a quelqu'un sous l'arbre, fais gaffe !", "Baisse toi !", "Tu es loin !", "T'as pas d'arme ? Je suis là, t'inquiète".

Pour Abdelaziz Bourawi, les adversaires virtuels sont les mêmes que ceux qu'il combat dans les rues défoncées d'Ain Zara: "les gars de Haftar".

"Le front, c'est PUBG dans la vraie vie. C'est pour ça qu'on aime ce jeu", lance dans un sourire Akram qui n'a pas donné son nom, son casque de combat vissé sur la tête, spectateur de la partie.

"Il y a une grande différence entre la vraie vie et le jeu", rappelle le même Abdelaziz. "Dans le jeu, quand tu meurs, tu peux revenir. Dans la vraie vie, c'est fini."

Mohamed Chaafi, lui, préfèrerait presque la réalité du front. "Dans le jeu, quand tu es blessé et que tu appelles à l'aide, personne ne vient. Sur le terrain, on vient t'aider", lance le jeune homme, bandé au niveau du tibia.

Après dix minutes de partie, l'un d'eux lève finalement la tête de l'écran. Enervé, il lâche son téléphone sur la table: "J'ai plus de batterie".

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