Partager:
"La salle est modulable, en 20-40 secondes, on passe de l'acoustique d'une église à celle d'un petit studio d'enregistrement": Jean-Michel Jarre, figure de l'électro, guide l'AFP pour la réouverture de l'Ircam à Paris, temple du son méconnu.
"On est au cœur de Paris et au cœur du son", expose le musicien dans l'Espace de projection (Espro) de l'Institut de recherche et coordination acoustique/musique, à 16 mètres sous terre, juste à côté du Centre Pompidou.
Qu'on ne se méprenne pas: il n'est pas question ici de projection d'images, mais de projeter musiciens, et parfois public, dans la matière sonore. Comme samedi dernier avec Jean-Michel Jarre, en concert à l'occasion de la réouverture du lieu après une dizaine d'années de travaux et désamiantage.
"Les oreilles ouvrent les yeux dans ce cadre: ce qui est intéressant, c'est d'être dans la musique et non pas devant la musique", développe le septuagénaire qui ne s'est jamais reposé sur les lauriers d'"Oxygène" et "Equinoxe", ses albums phares des années 1970.
"L'Ircam a été fondé par Pierre Boulez (fer de lance de la musique avant-gardiste) en 1977, soit un lieu d'expression et d'expérimentation technologique et artistique, avec l'Espace de projection, inauguré en 1978, un endroit totalement transformable, totalement modulable", déroule-t-il.
Conçu par les architectes du Centre Pompidou, Renzo Piano et Richard Rogers, avec l'acousticien Victor Peutz, l'Espro se distingue en effet par son acoustique variable. "On peut transformer physiquement l'acoustique", décrit JMJ.
- "C'est inouï" -
Les plafonds s'abaissent en trois panneaux distincts, entre 12 mètres et 2 mètres de haut.
Les 171 panneaux des parois murales peuvent pivoter pour diffuser, absorber ou réfléchir le son à la demande.
Et un système de spatialisation sonore de 339 haut-parleurs permet une immersion totale. "C'est inouï, au sens étymologique du terme", souligne Jean-Michel Jarre.
Un espace idéal pour ce créateur, qui s'y est produit avec son show "(more)Oxymore", basé sur son 22e album studio "Oxymore", sorti l'an dernier et mixé en audio 360°.
L'Ircam peut selon lui "servir de Cheval de Troie à la France pour la souveraineté digitale de demain, le son va être au cœur de tous les mondes immersifs". "Quand on parle de métavers, XR (réalité immersive), VR (réalité virtuelle), tout le monde a en tête le côté visuel alors qu'on peut parler avant tout de son: le champ visuel, c'est 140°, le champ auditif c'est 360°", assène-t-il.
Derrière ses consoles, dans l'Espro, Jean-Michel Jarre se tourne donc vers l'avenir, mais rend aussi hommage dans une formule malicieuse aux "trois pierres fondatrices de la musique actuelle".
Soit les musiciens français Pierre Boulez, Pierre Schaeffer, pilier de la musique concrète qui fut son professeur, et Pierre Henry, un des pères de la musique électroacoustique qui a pavé la route pour l'électro.
"Ils ont défriché sur le plan sonore, mélangeant le son d'un oiseau avec une clarinette, d'un moteur avec des percussions". "C'était surréaliste à leur époque et c'est devenu la manière commune du hip-hop au jazz d'intégrer des effets sonores dans un orchestre ou un set électronique". "L'Ircam est dans l'air du temps", conclut-il.
Des artistes têtes chercheuses de la nouvelle génération, Lucie Antunes (ici pour un jeu entre lutherie réelle et virtuelle) ou Deena Abdelwahed (qui intègre le chant en arabe et la techno expérimentale et misait ici sur des percussions digitales) se sont également produites ces derniers jours en concerts dans l'Espace de projection.