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L'exécutif a ouvert mercredi un nouveau chantier explosif, en pleine bataille des retraites, en entérinant en Conseil des ministres un projet de loi très controversé sur l'immigration dont l'adoption au Parlement s'annonce très compliquée.
"On est certain (..) que nous arriverons à un compromis sans dénaturer le texte, en écoutant évidemment les oppositions, et singulièrement les oppositions de droite", a assuré le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin à l'issue du Conseil des ministres.
Le texte doit être examiné en mars au Sénat, dominé par l'opposition de droite, puis fin mai/début juin à l'Assemblée nationale où l'exécutif ne dispose que d'une majorité relative.
Les Républicains (LR), dont le vote est indispensable pour son adoption, sont braqués contre la régularisation des sans-papiers dans les "métiers en tension", où les employeurs peinent à recruter, estimant que cela va créer un "appel d'air" et "ouvrir les vannes".
Le projet "ne permet pas de reprendre le contrôle, la maîtrise de l'immigration", a ainsi estimé le patron des sénateurs Les Républicains Bruno Retailleau, mettant en garde contre "des insurrections dans les urnes très prochainement" si la tendance n'était pas inversée.
Le texte prévoit des mesures pour faciliter les expulsions, surtout des étrangers "délinquants", une réforme du droit d'asile et un volet intégration, notamment l'octroi de titres de séjours pour les sans-papiers employés dans les "métiers en tension".
- "Ouverts" à des "propositions" -
Gérald Darmanin et le ministre du Travail Olivier Dussopt, qui porte la partie économique du projet de loi, ont tous deux laissé entendre que des aménagements du texte étaient possibles et dit attendre les "propositions" des LR, notamment sur des "quotas" de régularisation.
Le ministre de l'Intérieur s'est aussi dit "ouvert" à d'éventuelles "restrictions" du regroupement familial, ajoutant vouloir "tordre le coup à une fake news" selon laquelle la régularisation des sans-papiers le faciliterait.
Destiné à séduire à la fois la droite républicaine, de plus en plus radicale sur le sujet, et la gauche, qui dénonce les conditions d'accueil des étrangers, le texte a fini par fâcher tout le monde... et pourrait nécessiter de déclencher l'arme constitutionnelle du 49.3, qui permet son adoption sans vote.
"On ne se prêtera pas a un exercice de communication consistant à faire semblant de régler la question. Le sujet est trop sérieux", a relevé le patron des députés LR, Olivier Marleix, devant les journalistes de la presse parlementaire.
A l'extrême droite, la présidente du groupe Rassemblement national Marine Le Pen a jugé que le texte n'était pas "au niveau du problème". La gauche est quant elle vent debout contre son volet répressif en matière d'expulsions.
La majorité elle-même apparaît divisée, entre tenants de l'aile droite, prêts à durcir encore le projet, et élus issus de la gauche, qui y voient des lignes rouges.
Certains redoutent déjà que la partie régularisation ne passe à la trappe. "Les LR demandent que ce ne soit pas dans ce texte", note un député Renaissance.
Un risque que M. Dussopt a tenté de minimiser. "Si nous avons présenté le texte ce (mercredi) matin avec deux piliers, c'est parce qu'il y a deux piliers et qu'il est assez équilibré".
- "Marchandages insupportables" -
Il a aussi rappelé que la réforme du marché du travail tout comme la Loi d'orientation et de programmation du ministère de l'Intérieur (Lopmi) avaient été adoptés sans 49.3. "Même quand on nous promettait que le 49.3 serait nécessaire".
Le texte arrive au lendemain d'un double constat: une hausse de 31% des demandes d'asile (137.000) en 2022 et de 15% des expulsions (15.400), celles-ci restant néanmoins inférieures d'un tiers à celles de 2019, avant le Covid.
Associations et ONG qu'inquiètent déjà pour leur part d'un durcissement du texte, le 29e sur l'asile et l'immigration depuis 1980.
La réguralisation dans les métiers en tension "est déjà l'objet de marchandages assez insupportables et de renoncements programmés", a déploré la directrice générale de France Terre d'asile, Delphine Rouilleault, sur franceinfo.
"On réduit à néant les rares effets que les attaches privées et familiales, ou l'ancienneté sur le territoire, pouvaient encore entraîner", s'alarme Claire Rodier, responsable du Gisti, une des principales associations de défense des exilés.