Partager:
Épicentre des révoltes urbaines de l’automne 2005, Clichy-sous-Bois a servi de baromètre aux émeutes qui ont éclaté l'été dernier en France, mais l'embrasement est cette fois resté limité pour cette ville de Seine-Saint-Denis toujours pauvre, qui bénéficie d'une rénovation urbaine de grande ampleur.
A une vingtaine de kilomètres à l'est de Paris, les immeubles délabrés du centre-ville tombent tour à tour.
Ils laissent place à de petites résidences, faisant oublier l'image donnée par le film "Les misérables", tourné en 2019 par Ladj Ly dans la cité du Chêne Pointu.
Mille logements sont sortis de terre. Et "on a un tramway, trois écoles neuves, un nouveau conservatoire, une nouvelle bibliothèque, un futur métro", énumère l’ex-ministre de la Ville Olivier Klein, enfant de Clichy-sous-Bois et son premier ambassadeur.
Trois jours après son inauguration, le flambant conservatoire avait cependant dû être placé sous haute surveillance.
Car le 27 juin, Nahel, 17 ans, était tué à Nanterre, par le tir à bout portant d'un policier lors d'un contrôle routier.
Cette séquence, capturée par une vidéo amateur, allait engendrer six nuits de violences dans d'innombrables villes de France, où des bâtiments publics allaient être incendiés et des commerces pillés.
A Clichy, ces évènements ont fait rejaillir le souvenir de la nuit du 27 octobre 2005 et ses trois semaines de révolte, déclenchées par la mort des adolescents Zyed Benna et Bouna Traoré, électrocutés dans un transformateur EDF où ils s'étaient réfugiés à l'issue d'une course-poursuite avec la police.
Fin juin, à l'affût d'un regain de violences, des caméras du monde entier se plantent donc dans cette ville de 30.000 habitants, sans accès autoroutier.
Mais "les dégradations sont contenues", indique le commissaire Armel Seeboldt. Seule la bibliothèque du Chêne Pointu est endommagée, précise le fonctionnaire, en poste jusqu'en septembre à Clichy, et témoin de l'évolution du rapport police-population.
- Investissements massifs -
En 2005, "on avait l'impression d'être à la guerre", se souvient l'éducatrice Sébé Coulibaly, 28 ans, qui avait vécu cette révolte "devant sa fenêtre" de sa cité des Bosquets, en partie détruite.
"Le Clichy de 2005, n'est pas celui de 2023, avant on n'avait rien", résume cette femme aujourd'hui à la tête de l'association Ladies Squad, qui promeut l'émancipation des jeunes filles par le sport.
"La ville n'est plus la même et heureusement !", abonde Olivier Klein, qui en a repris les manettes récemment, après avoir quitté le gouvernement. "Les évènements de 2005 et 2023 ne peuvent être comparés", estime l'élu, pour qui l'action publique a été déterminante.
Plus d'un milliard d'euros ont été investis, dont une grande partie provenant de l'Anru (Agence national de rénovation urbaine), souligne-t-il.
Lorsque la ville s'est embrasée, elle n'avait pas encore de commissariat, installé en 2010.
Désormais "les policiers sont là depuis un certain temps et connaissent la population, les commerçants et vice versa", explique le commissaire Seeboldt.
Une politique de prévention de la délinquance est en place. Un délégué à la cohésion police/population se charge notamment de désamorcer "des différends de voisinage", des éducateurs spécialisés proposent des activités aux jeunes au pied des immeubles.
A la jonction de Montfermeil et Clichy, un centre loisirs jeunesse, géré par la police nationale, propose des séjours.
Résultat: "95% du temps les rapports avec la population sont excellents", assure M. Seeboltd.
Fin juin, les mères de familles ont appelé les jeunes à rentrer chez eux et des médiateurs de la ville ont effectué du porte-à-porte pour sensibiliser la population en grande partie précaire, explique Samira Tayebi, première adjointe.
"J'ai grandi dans l'atmosphère des +Misérables+. On était beaucoup de jeunes à avoir de la colère en nous, moi j'ai décidé de m'engager", confie cette enseignante qui avait 33 ans en 2005.
- Rêver "plus grand" -
Clichy-sous-Bois demeure la troisième ville la plus pauvre de France métropolitaine, derrière Grigny (Essonne) et Roubaix (Nord), selon l’Observatoire des inégalités: le taux de pauvreté y est de 42% (soit une personne vivant avec moins de 1.100 euros mensuels) contre 10% à Paris, le taux de chômage à 10% (contre 7,2% au niveau national).
"Les gens qui habitent Clichy et qui vont mieux ont trop souvent tendance à partir du territoire", reconnaît M. Klein, pour qui l'action de l'Etat n'est pas assez rapide concernant les copropriétés dégradées.
Sébé Coulibaly observe néanmoins "une petite mixité sociale": "On voit des artistes venir de Paris et d'ailleurs", se réjouit-elle.
Les Ateliers Médicis, lieu de création artistique et de résidence d'envergure internationale, et le réalisateur maison, Ladj Ly, récompensé aux César, "ont fait beaucoup de bien", assure l'éducatrice. "Quand on questionne les jeunes, ils aspirent à devenir vidéaste, acteurs, alors que quelques années antérieures, c'était impossible. Maintenant on rêve plus grand".