Partager:
Un Sénat divisé: d'ordinaire unie, la majorité sénatoriale de droite et du centre peine à s'accorder sur le projet de loi immigration, des dissensions rares qui perturbent la volonté de la chambre haute de se placer comme le "point d'équilibre" des institutions.
Réputée plus calme et consensuelle que l'Assemblée nationale et souvent très efficace pour imprimer sa patte sur les textes de loi en raison d'une large majorité qui penche à droite, la chambre haute ne parle pas d'une seule voix sur cette réforme brûlante, dont l'examen a débuté lundi.
A droite: Les Républicains (LR) ne veulent pas entendre parler de régularisation de travailleurs sans-papiers dans les métiers en tension.
Au centre: le groupe Union centriste, allié habituel des LR, tient à voir cette mesure maintenue au nom d'un "principe de réalité", mais il souhaite une réécriture de l'article 3 qui s'y dédie pour en limiter la portée.
En clair, laisser la main aux préfets dans ces régularisations qui resteraient "exceptionnelles" pour permettre au travailleur de solliciter un titre de séjour sans l'accord de son employeur, actuellement nécessaire.
"Le Sénat a réussi à voter un texte sur les retraites qui n'était pas populaire. On ne va pas me dire qu'on ne peut pas trouver une solution sur un article. C'est lunaire", s'agace le président des sénateurs centristes Hervé Marseille depuis plusieurs jours.
- Larcher, conciliateur -
Son homologue LR Bruno Retailleau, lui, est catégorique: cette mesure créera "un appel d'air" et "si l'article 3 doit demeurer, ce sera impossible pour nous de voter le texte".
Moins catégorique, le président LR de la commission des Lois François-Noël Buffet a dit "souhaiter qu'on trouve un accord", mardi sur Public Sénat. "Mais pas un accord à n'importe quel prix".
Même si plusieurs sénateurs évoquent depuis lundi soir un compromis en passe d'être trouvé, ce désaccord est assez rare pour être souligné, d'autant que le Sénat est saisi de ce dossier depuis... mars 2023.
A l'époque, la commission des Lois avait déjà constaté les divergences entre droite et centre et décidé de réserver le débat sur cet article pour la séance publique avant que le calendrier parlementaire soit gelé.
Mardi, cette commission a repoussé son examen prévu en soirée à "mercredi soir ou jeudi", selon des sources parlementaires.
Le président du Sénat Gérard Larcher, réélu au "plateau" par les deux pans de la majorité sénatoriale début octobre, reste lui silencieux dans les médias.
Mais il s'active en coulisses pour que les deux camps négocient, face au risque de voir le Sénat voter contre le texte dans sa globalité, malgré un accord pour durcir son volet répressif. "Il ne faut pas casser toute la vaisselle", a-t-il lancé à ses troupes ces derniers jours, d'après plusieurs témoins.
"Quand on est d'accord sur 95% d'un texte, il faut trouver une solution qui préserve la cohésion de la majorité sénatoriale", explique un proche de M. Larcher.
- "Cohérence" -
"Il nous appartient d'être cohérents avec nous-mêmes" pour rester "le point d'équilibre institutionnel" en l'absence de majorité à l'Assemblée nationale, confirme le centriste Philippe Bonnecarrère, corapporteur du texte.
Plusieurs sénateurs LR reconnaissent d'ailleurs "des divisions" au sein de leur groupe, entre la ligne de Bruno Retailleau, inflexible et proche de celle des députés LR, et une ligne de compromis plutôt incarnée par Gérard Larcher.
Le sénateur de Paris Francis Szpiner a par exemple déposé un amendement visant à permettre la régularisation de travailleurs sans papiers dans les métiers en tension, dans une limite de 5.000 personnes par an.
Des divergences se font aussi entendre chez les centristes, deux sénateurs ayant déposé un amendement de suppression de l'article 3.
"La majorité sénatoriale est plus importante que des positions de principe qui ne mènent nulle part", reconnaît une sénatrice LR. "Ne pas voter de texte immigration avec une majorité de droite au Sénat, c'est dramatique politiquement".
"On a été rattrapés par la patrouille", regrette un de ses collègues. "Quand on voit que le RN fait un pas de côté en soulignant les avancées du texte, notre position est difficilement tenable".