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"15 enfants amputés par jour": le témoignage édifiant de la responsable MSF dans la bande de Gaza

Martina Marchio est responsable pour Médecins Sans Frontières (MSF) à Gaza. Pour RTL info, elle raconte les conditions de vie dans l'enclave palestinienne. Entre la faim, la mort omniprésente et les amputations d'enfants, son témoignage est édifiant. 

EN DEUX MOTS :

  • Rafa, dans le sud de Gaza, est totalement détruite après plus de 20 mois de guerre et deux mois de blocus humanitaire.
  • Les enfants sont les plus touchés : malnutrition, maladies, amputations deviennent le quotidien dans une situation médicale dramatique.
  • Les civils vivent dans la peur, sans nourriture ni eau, et appellent à une réaction urgente de la communauté internationale avant qu’il ne soit trop tard.

Témoignage de Martina Marchio, responsable pour Médecins Sans Frontières dans la bande de Gaza :

J'étais ici pendant l'invasion de Rafa, dans le sud de Gaza. J'y suis revenue un an après et je vois quelque chose que je ne pouvais pas imaginer. La destruction est totale, je suis arrivée ici quand ça faisait déjà deux mois de blocage des aides humanitaires.

La frontière est complètement fermée et, encore une fois, les aides humanitaires sont utilisées comme moyen de pression pour une guerre qui continue depuis plus de 20 mois. Maintenant, la population ne se retrouve pas seulement à survivre en échappant à la violence, qui continue de jour et de nuit, mais aussi se trouve dans une situation où il n'y a pas à manger, il n'y a pas à boire. Côté médical aussi, ça devient très difficile de recevoir les soins médicaux dans les hôpitaux, mais aussi dans les postes ambulatoires. 

Les enfants en première ligne

Les enfants, comme toujours, sont la catégorie qui est la plus fragile, la plus touchée. Dans les postes ambulatoires qu'on a ici à Gaza City, on commence à avoir beaucoup d'enfants mal nourris. Mais pas seulement les enfants, aussi les femmes enceintes arrivent déjà mal nourries. Et les enfants en général vivent dans des conditions très compliquées, comme tout le monde. Ils arrivent avec beaucoup de maladies respiratoires, intestinales et tous les autres problèmes qui sont liés à la fragilité d'être un enfant, mais aussi au fait que la condition de vie est de plus en plus difficile.

Ils arrivent blessés, ils arrivent avec des amputations des jambes et des bras. Moi, je n'avais jamais vu d'enfants avec des amputations sur les bras et sur les jambes. On a eu une moyenne de 15 enfants par jour qui ont perdu les bras ou les jambes, c'est quelque chose d'important à dire. Ça, c'est dans les derniers 20 mois dans toute la bande de Gaza. 

Si je meurs, rappelle-toi de moi

Maintenant, la violence est extrême. Et dans les derniers jours, on a reçu beaucoup de nouveaux ordres pour bouger. Donc la population a commencé à bouger pour se sauver. Il y a beaucoup d'endroits maintenant qui sont complètement militarisés et contrôlés par Israël.

On a aussi des collègues qui ont été obligés de bouger. J'ai un collègue qui m'a dit qu'on ne pouvait plus bouger, qu'on n'avait pas d'option. Il m'a dit : "On va rester ici même si on a reçu l'ordre de bouger. S'il te plaît, si je meurs, rappelle-toi de moi et parle de moi. Je ne veux pas être seulement un autre chiffre, un autre nombre. Je veux que quelqu'un se rappelle de moi, de mon histoire". Ça a été une nuit très longue, avec beaucoup de violence (de bombardements, ndlr). Et j'ai vraiment eu peur de ne pas le voir le matin. Heureusement, il est retourné au travail. Je l'ai revu.

La dureté de deux mois de blocus

C'est vraiment une catastrophe humanitaire totale. Il y a plus de deux mois que rien ne peut passer de la frontière. Un kilo de farine, maintenant, ça coûte 40 dollars. Et il y a beaucoup de produits qui ne sont même pas plus présents sur le marché. Il n'y a pas de fruits, il n'y a pas d'œufs. C'est très difficile de trouver le riz. 

C'est quelque chose qu'on ne peut pas imaginer, c'est quelque chose qui semble très loin. Mais c'est la réalité ici. C'est un enfer d'où les gens ne peuvent pas s'échapper. C'est une prison à ciel ouvert. 

Vivre la peur au ventre, sans oser penser à demain

Les gens doivent survivre, pas seulement à la violence, mais quand on ne peut pas trouver de l'eau potable, quand on ne peut pas trouver quelque chose à manger, quand on doit bouger tout le temps et qu'il n'y a pas d'espace pour s'installer... C'est quelque chose qui commence à être compliqué.

Même les centres de santé et les hôpitaux sont encore une fois des cibles. On a vu qu'encore une fois, beaucoup d'hôpitaux ont été victimes de la même violence, même si pour la loi internationale, ça ne doit pas passer. C'est difficile. On a peur. On a peur de ce qui peut se passer. On a peur d'être obligé de partir et de laisser la population et les collègues ici.

C'est quelque chose auquel on pense tous les jours. On se demande chaque jour, est-ce que demain on sera ici ? Ça devient compliqué parce qu'il n'y a pas un endroit où on peut rester tranquille, où on peut faire nos activités comme d'habitude. Chaque jour, il y a de nouveaux endroits qui sont victimes d'une violence extrême.

Demain, ce sera trop tard

Tout le monde ici est vraiment en train de vivre chaque jour sans trop penser à ce qui va se passer demain. Et c'est la seule manière de vivre ici en ce moment.

C'est vraiment le moment de se rendre compte qu'il n'y a pas le temps. On est à la fin. Et la communauté internationale devrait prendre une position maintenant parce que demain, ça sera déjà trop tard.

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