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Benoît XVI, théologien conservateur allemand décédé samedi à 95 ans, restera dans l'Histoire comme le premier pape ayant démissionné depuis le Moyen-Âge, à l'issue de huit ans d'un pontificat miné par une crise profonde.
Le 28 février 2013, à l'approche de ses 86 ans, Joseph Ratzinger cède sa place après avoir annoncé sa renonciation en latin au détour d'un discours en invoquant l'affaiblissement de ses forces, surprenant le monde entier.
Depuis, ce brillant professeur de théologie bavarois vivait discrètement, retiré dans un monastère au Vatican. En chaise roulante, s'exprimant difficilement mais toujours lucide selon son entourage, le pape émérite continuait de recevoir des visites, alimentant malgré lui la saga des "deux papes".
Elu le 19 avril 2005, ce proche collaborateur de Jean Paul II est vite confronté à la plus grave crise de l'Eglise contemporaine: les révélations en cascade d'agressions sexuelles commises sur des enfants par des membres du clergé, aggravées par l'"omerta" de la hiérarchie catholique.
Ce scandale le rattrape dans sa retraite lorsque, début 2022, un rapport allemand le met en cause pour son inaction à l'époque où il était archevêque de Munich. Défendu par le Vatican, Benoit XVI sort alors de son silence pour demander "pardon", tout en assurant ne jamais avoir couvert de pédocriminel.
Mais le geste fort de son pontificat restera sa renonciation, la première d'un pape depuis 1415, une décision personnelle qu'il qualifiera plus tard d'"évidence" en reconnaissant "les difficultés" qu'il avait dû affronter sur le trône de Saint-Pierre.
- "Panzerkardinal" -
Ce fut "un geste courageux, un geste de gouvernement", estime le biographe italien Giovanbattista Brunori, relevant pourtant que Ratzinger "n'a jamais été un pape de gouvernement, mais un pape de pensée" et "de la doctrine".
Dans une Eglise en perte d'influence, son pontificat est émaillé de polémiques, à l'image de la levée en 2009 de l'excommunication de quatre évêques intégristes. Devant le drame de la pédocriminalité, il prône la "tolérance zéro" et devient le premier pape à présenter ses excuses, exprime ses "profonds remords" et rencontre des victimes.
"Sur la question des agressions sexuelles, il n'a pas résolu les problèmes mais a indiqué des voies correctes pour les affronter", assure le père Federico Lombardi, ancien porte-parle du Saint-Siège et président de la Fondation Joseph Ratzinger-Benoît XVI gérant son œuvre.
En 2012, le pontife allemand se retrouve plongé dans "Vatileaks", un scandale de fuites de documents confidentiels auquel est mêlé son majordome, mettant au jour la gabegie financière au Vatican. Une affaire qui l'affecte profondément.
Avant son élection, le cardinal Ratzinger avait pendant 24 ans lutté contre toute dérive au dogme de l'Eglise, ce qui lui avait valu le surnom de "Panzerkardinal".
"Un stéréotype!", estime le cardinal français Paul Poupard, qui retient "la profondeur et la beauté de son œuvre de théologien" en louant son "humanité la plus délicate".
- Timidité et maladresses -
Benoit XVI ne lâche rien sur le célibat des prêtres ou l'ordination des femmes, et défend une ligne conservatrice face aux évolutions sociétales, comme sur l'avortement ou l'euthanasie. Il tente aussi d'éliminer les frasques dans une Eglise qu'il souhaite moins "mondaine", un objectif repris par son successeur François.
Fustigeant les dérives du capitalisme, dans la lignée de la crise financière de 2008, il se dresse contre la sécularisation croissante de l'Occident et s'investit dans le dialogue œcuménique et interreligieux, au fil de ses 25 voyages à l'étranger.
Mais ce mélomane timide, loué pour sa gentillesse en petit comité, ne s'impose pas en public comme son charismatique prédécesseur Jean Paul II. Manquant de poigne, trop confiant dans son entourage, il ne parvient pas à réformer la Curie, enlisée dans la paralysie.
Desservies par une communication maladroite, ses déclarations peuvent même créer l'incompréhension, comme lorsqu'il suggère en 2006 que l'islam est intrinsèquement lié à la violence, provoquant une vague d'indignation dans le monde musulman.
En 2009, avant son premier voyage en Afrique, il crée la polémique en déclarant que la distribution de préservatifs aggrave le problème du sida, mais admettra en 2010 l'usage du préservatif "dans certains cas" pour éviter la contamination.
Nouvelles critiques après son feu vert en 2009 à la cause de béatification de Pie XII, contesté pour sa passivité pendant la Seconde Guerre mondiale.
- "Terre à terre" -
Né le 16 avril 1927 en Bavière dans une famille catholique anti-nazie, ce fils de gendarme entre au petit séminaire dès l'âge de 12 ans. Il est inscrit aux Jeunesses Hitlériennes, enrôlement alors obligatoire. Devenu pape, il dénoncera "l'inhumanité" du régime nazi.
Ordonné prêtre en 1951, Joseph Ratzinger enseigne la théologie durant 25 ans dans des universités allemandes. Lors du concile réformateur Vatican II, il fait partie des théologiens partisans de l'ouverture mais, face au choc libertaire de 1968, prend un tournant conservateur.
Il est ordonné archevêque de Munich en 1977 et créé cardinal par le pape Paul VI la même année. En 1981, Jean Paul II le nomme à la Congrégation pour la doctrine de la foi, l'ancien Saint-Office héritier de l'Inquisition.
En 1997, il doit se faire poser un pacemaker tandis qu'une hémorragie cérébrale en 1991 l'avait laissé aveugle de l'œil gauche.
L'intellectuel auteur d'une centaine de livres, qui rêvait de prendre sa retraite dans sa Bavière natale, a toujours considéré son élection comme "un fardeau", même s'il passa les quatre dernières décennies de sa vie au Vatican.
Ratzinger était "une personne terre à terre... que l'on retrouve dans les plus hauts cercles tout en restant une personne très humble et chaleureuse", avait déclaré à l'AFP en 2020 Peter Seewald, son biographe allemand.