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Au cœur de la ville de Baarle, proche d’Anvers, il existe une taverne où deux pays partagent le même comptoir. Les serveurs passent d’un pays à l’autre plusieurs centaines de fois par jour. « Tout se mélange ici, Pays-Bas, Belgique, on ne sait plus où on habite. Chaque maison peut se retrouver dans l’un ou l’autre pays », déplore une cliente en terrasse.
La coupable est une ligne blanche (tantôt continue, tantôt une succession de croix blanches) visible uniquement sur la terrasse extérieure de l’établissement. Elle marque la frontière entre la Belgique, et les Pays-Bas. Mais cette frontière internationale va plus loin que cette simple taverne.
« Commune des curiosités et capitale des enclaves »
La ville de Baarle est en effet un véritable labyrinthe, ou plutôt un Tetris géopolitique. La commune est divisée en deux : Baarle-Nassau est néerlandaise et Baarle-Hertog est belge. Son territoire principal se trouve au sud, mais elle possède aussi 22 enclaves, que l’on voit en jaune sur la carte ci-dessous. Mais ce n’est pas tout : dans ces entités belges se trouvent aussi des entités néerlandaises. « Baarle est le plus grand puzzle du monde », affirme un commerçant.

En réalité, la frontière est partout : elle traverse les parkings, les magasins, les maisons et même l’hôtel de ville. Monsieur le bourgmestre doit d’ailleurs composer avec ce casse-tête tous les jours.
« À cet endroit de la salle, je suis en Belgique, et à cet endroit deux pas plus loin, je suis en Hollande. Dès lors, quand je dois prononcer un mariage, les mariés doivent absolument être du côté belge car sinon le mariage ne serait pas légitime en Belgique. », explique Philip Loots, bourgmestre de Baarle-Hertog.

Les exemples comme celui-ci sont nombreux. D’ailleurs Philip Loots surnomme Baarle « commune des curiosités et capitale des enclaves ». « Il existe au total 64 enclaves dans le monde entier. Ici, rien qu’à Baarle, il y a déjà 30 enclaves, soit presque la moitié, donc il y a de quoi la qualifier de capitale des enclaves », déclare-t-il.
Conflit de feux d’artifice
Un constat amusant, sauf dans certains cas. Si l’on prend l’exemple de la vente de feux d’artifice, celle-ci est interdite aux Pays-Bas, mais autorisée à quelques mètres à peine, en Belgique. Résultat, trois boutiques de feux d’artifice sont venues s’installer dans une rue située du côté belge de la ville de Baarle.
Des centaines de visiteurs viennent donc tous les jours pendant les fêtes s’y fournir en feux d’artifice. Cette ruée provoque chaque année des bouchons interminables. Rudy habite aux Pays-Bas et a retenu la leçon. Aujourd’hui, il prend les devants. Venu de Rotterdam, il passe commande pour plusieurs amis. « J’avoue que je viens ici en Belgique rien que pour vos feux d’artifice. Le rapport qualité-prix est meilleur et vous avez beaucoup de choix. Aux Pays-Bas, tout ça est interdit », explique-t-il.
Les origines de ce « mille-feuille » territorial
Comment en est-on arrivé là ? Qui a imaginé ce mille-feuille territorial ? Pour Christian Behrendt, spécialiste du droit constitutionnel, il faut remonter le temps de plusieurs siècles.
« C’étaient des possessions d’une seule famille, et qui en raison des partages entre enfants d’une même famille, se sont retrouvées auprès de seigneurs différents. Ces seigneuries sont ensuite devenues des provinces au fil du temps. Et puis ces provinces se sont retrouvées in fine dans deux États différents », explique le constitutionnaliste.
Les habitants ont aujourd’hui pris l’habitude de traverser la frontière. Les deux corps de police partagent un bureau. Seuls les touristes s’amusent encore de la situation. Un labyrinthe à taille humaine, dans lequel même le Père Noël peut perdre le nord.

















