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Le pape émérite Benoît XVI, décédé samedi à 95 ans, qui avait promis d'être discret, n'est pas toujours parvenu à rester dans l'ombre de son successeur argentin François, alimentant malgré lui la saga des "deux papes".
Le 11 février 2013, au bout de ses forces physiques à 85 ans, l'intellectuel allemand Joseph Ratzinger avait annoncé -en latin- à des cardinaux sidérés qu'il renonçait à être pape, situation inédite depuis le Moyen-Âge.
L'insolite cohabitation entre le 265ème et le 266ème pape, dans le plus petit Etat du monde, s'est déroulée sans couacs durant environ cinq années. Sauf que le pape "émérite" Benoît XVI, théologien érudit, a continué à faire ce qu'il préférait: écrire sur les grandes thématiques de l'Eglise. Des analyses qui ont provoqué plusieurs polémiques.
En février 2020, le pape François avait fermé la porte aux prêtres mariés et aux femmes diacres en Amazonie. Ne retenant ainsi pas les changements audacieux proposés par une assemblée régionale d'évêques (synode) des neuf pays amazoniens, désespérés par une criante pénurie de prêtres sur ce territoire.
Or la sortie à la mi-janvier 2020 d'un livre fustigeant les conclusions du synode et défendant mordicus le célibat des prêtres, co-signé par Benoît XVI et le cardinal guinéen ultra-traditionaliste Robert Sarah, avait donné l'impression d'une tentative de pression sur François juste avant une décision phare de son pontificat.
Le secrétaire particulier du pape émérite, l'archevêque allemand Georg Gänswein, avait finalement expliqué que Benoît XVI avait "envoyé un de ses articles" au cardinal africain "en lui permettant de l'utiliser comme bon lui semblait", sans jamais approuver un projet de livre à quatre mains. Mgr Gänswein, visiblement écarté suite à ce couac de l'entourage de François (dont il organisait les audiences), avait été invité à mieux s'occuper du pape retraité.
En avril 2019, Benoît XVI avait déjà pris le contre-pied de François sur la question des scandales des violences sexuelles du clergé, dans un long texte où il expliquait le phénomène par la révolution sexuelle des années 1960.
A l'été 2018, un essai beaucoup plus théologique sur l'Eglise et le judaïsme avait aussi suscité des réserves, notamment de la part de rabbins allemands.
- "Un seul pape" -
"Ca suffit de parler de deux souverains pontifes, parce qu'il y a un seul pape, celui qui est investi de l'autorité papale, c'est-à-dire François", a dû stipuler le cardinal Pietro Parolin, numéro deux du Vatican, las des divisions dans l'Eglise.
En 2016, le conservateur Mgr Gänswein avait notamment estimé: "Il n'y a pas deux papes, mais de facto un ministère élargi, avec un membre actif et un membre contemplatif".
De tels propos ambigus étaient du pain bénit pour une frange traditionaliste virulente, qui juge François "illégitime" et interprète tous les écrits du théologien allemand comme des critiques contre son successeur.
En 2016, François avait pourtant mis les points sur les "i". "C'est un pape émérite et non pas le second pape", avait-il dit, comparant son aîné de dix ans à "un grand-père à la maison".
Le cinéma s'est aussi emparé de la thématique d'une papauté bicéphale. A l'instar du film "Les deux papes" du Brésilien Fernando Meirelles, qui imagine une joute oratoire entre Anthony Hopkins, en pape allemand beaucoup plus autoritaire que son timide modèle, et Jonathan Pryce dans le rôle du futur pape argentin qui veut lui apprendre le tango.
C'est Benoît XVI qui décida d'être pape "émérite" (comme les évêques retraités) tout en continuant à porter une soutane blanche dans les murs du Vatican. "Il n'y a qu'un seul pape", avait toujours proclamé celui qui n'avait toutefois pas choisi d'être un "ex-souverain pontife". Des sommités de l'Eglise appellent depuis lors à mieux définir ce nouveau statut, pour le moins flou.