Partager:
Alessandro était dans les tribunes lors du match de Ligue des champions entre le Club de Bruges et la Juventus de Turin. Grand supporter du club italien, l’atmosphère du match l’a déçu. Des stewards l’ont empêché de porter le blason de la Juventus. À seulement 13 ans, il cherche à comprendre.
Alessandro est supporter de la Juventus de Turin depuis tout petit. À 13 ans, il ne rate aucun match. Il connaît chaque joueur et chaque actualité concernant son club. Il a toujours rêvé d’assister à un match des Bianconeri. Un rêve qui devient réalité à Noël. Sa maman, Carmela, lui offre une place pour assister au match du Club de Bruges face à la Juventus en Ligue des champions. Une belle opportunité de voir ses joueurs préférés sans devoir aller en Italie. "Il était tellement heureux, nous ne l’avions jamais vu comme ça. Nous n’aurions pas pu lui faire un plus beau cadeau. Il n’en revenait pas." Un petit mois à attendre avant de vivre un moment tant attendu.
Le jour J, Alessandro prépare sa tenue : maillot, veste floquée du blason du club italien. Une tenue noire et blanche aux couleurs de la Juventus pour vivre le match à 100 %. Arrivé à Bruges, devant le Jan-Breydel Stadium, Alessandro s’offre l’écharpe du match. Divisée en deux, à gauche le blason de Bruges et à droite celui de la Juventus, elle sera un beau souvenir. L’écharpe autour du cou, l’adolescent suit sa maman en direction des tribunes. "Nous étions à quelques mètres des supporters italiens. C’était parfait, nous les entendions chanter, c’était comme si on était avec eux. Nous étions en plus juste devant la partie du terrain où les joueurs s’entraînaient. Nous n’aurions pas pu rêver d’une meilleure place. " Assis aux côtés d’une trentaine de supporters italiens, Alessandro et Carmela observent l’une des meilleures équipes d’Italie à l’œuvre. " C’était super et Alessandro était tellement heureux. " Pourtant, le beau moment que vivent la maman et son fils vire rapidement à la déception.

" Une hôtesse est venue mettre la main sur l’épaule de mon fils. Elle lui a demandé de cacher son écharpe à l’effigie de la Juventus. Il lui a expliqué que le blason de Bruges était également dessus, mais elle n’a pas changé d’avis. " En plus de cette remarque, l’hôtesse prévient Alessandro : " Elle lui demande de ne pas fêter si la Juventus marque. Pendant tout le match, des stewards sont restés à côté de nous. L’un d’entre eux a même demandé à mon fils de retirer sa veste aux couleurs du club. Nous lui avons dit que cela était hors de question. Il faisait très froid ce soir-là. "
Nous n’étions pas un danger
Pendant 2 heures, Alessandro et Carmela sont surveillés sans pouvoir vivre leur match comme ils l’auraient voulu. " Nous étions sous pression, l’atmosphère était froide. Pourtant, nous n’étions pas en confrontation. Nous n’étions pas un danger. Mon fils voulait seulement voir un match de football en famille. Le match a été 90 minutes de calvaire. Nous n’avons rien dit pendant toute la rencontre, nous nous sentions observés. Mais comment peut-on faire ça à un jeune de 13 ans qui est inoffensif ? "
Le règlement
Contacté, le Club de Bruges affirme avoir suivi les règles de sécurité. Ces mesures existent bel et bien. Selon la loi relative à la sécurité lors des matchs de football datant du 21 décembre 1998, les clubs sont tenus de " prendre des mesures de sécurité actives et passives visant à garantir la sécurité du public ainsi que des services de police et de secours par la gestion des flux de spectateurs, la séparation des spectateurs rivaux, et la mise en œuvre concrète du règlement d’ordre intérieur ".
L’UEFA, l’instance européenne de football qui organisait le match Club de Bruges – Juventus, exige des mesures similaires. " La séparation des différents groupes de spectateurs doit commencer aussi loin du stade que possible, afin d’éviter toute rencontre indésirable entre ces groupes sur le chemin du stade ou à proximité des tourniquets ", peut-on lire à l’article 27 alinéa 1 de son règlement sur la sûreté et la sécurité.
En ce qui concerne Alessandro, le Club de Bruges lui a demandé de ne pas arborer les couleurs de la Juventus afin d’éviter tout débordement avec les spectateurs brugeois. Le règlement a donc été appliqué.
" Le football, un sport à part "
Mais pourquoi de telles règles dans le football ? D’autres sports comme le basket, le hockey ou le rugby sont moins stricts concernant l’encadrement des supporters. " Le football est un sport à part. Il procure énormément d’émotions. C’est le sport roi ", explique Jean-Michel de Waele, sociologue du sport. " Il y a énormément d’incertitude dans le football. Il déchaîne les foules. Un match peut basculer rapidement, encore plus que dans un autre sport. " L’essence même du sport contribue à cet engouement : " Nous contrôlons moins bien nos pieds que nos mains, c’est pour cela que le football est un sport spécial. Une erreur, un moment d’inattention peut faire changer le cours du match, et c’est cela qui passionne. "
Le football a également un aspect historique qui le différencie des autres disciplines. " Un club fait partie de l’identité d’un supporter. Certaines familles soutiennent une équipe depuis 4 ou 5 générations. Ce sentiment d’appartenance est particulièrement présent dans ce sport. " Selon l’expert, le cas d’Alessandro n’est donc pas étonnant : " L’opinion publique est à double visage. Lorsqu’il y a des problèmes, nous demandons plus d’encadrement, plus de mesures afin d’éviter d’autres débordements. Pourtant, dans ce cas-ci, nous trouvons que les règles imposées sont trop sévères. Elles ont justement été instaurées suite à des cas de violence. "
C’est comparable à un uniforme
Le sociologue l’affirme, dans un stade de football, " même un bon père de famille accompagné de ses enfants peut avoir une attitude physiquement ou verbalement violente ". Jean-Michel de Waele explique : " Lorsque vous êtes entouré de personnes qui, comme vous, sont habillées aux couleurs du même club, vous les suivez. Vous pouvez, dans certains cas et avec une certaine limite, avoir un comportement que vous n’auriez jamais eu dans votre vie de tous les jours. C’est comparable à un uniforme ou à un costume de carnaval. Nous nous enfilons des vêtements propres à un moment ou à un lieu. C’est cet esprit de groupe qui rend le football spécial avec tous ses excès. " "Ce sport demande un haut degré d’investissement aux supporters. Ils se sentent impliqués. Dans le stade, ils ont l’impression de pouvoir influencer le résultat de la rencontre. Nous entendons souvent que les supporters ont fait gagner leur équipe, mais cela est faux. "
Le football, un sport unique et à part ? " De moins en moins. L’esprit de violence du football se transmet de plus en plus aux autres sports. Dans les gradins des courts de tennis, les spectateurs sifflent. Il peut y avoir de la violence dans les stades de rugby ou de basket. L’augmentation de ces comportements est à l’image de la société. "
Malgré sa déception, Alessandro retournera bien évidemment au stade, mais en faisant attention aux vêtements et surtout aux couleurs choisies.