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Sylviane nous a contactés via le bouton orange "Alertez-nous". Suite à son expérience personnelle, elle dénonce un manque d'encadrement des administrateurs de biens profesionnels. Son papa, aujourd'hui décédé, avait été placé sous protection judiciaire. Mais de nombreux manquements ont eu lieu. Elle dénonce aujourd'hui une forme de maltraitance et de non-assistance à personne en danger.
En revoyant la photo de son père aujourd’hui décédé, Sylviane est nostalgique. Mais elle a aussi un goût amer en repensant à la dernière année de sa vie. "Mon père vivait un deuil terrible de la perte de sa femme un an auparavant. Et la dernière année de sa vie, malheureusement, on l'a malmené", nous explique-t-elle.
En 2021, le médecin du papa de Sylviane préconise son placement en maison de repos
Tout commence fin 2021 lorsque la santé de son père se dégrade suite au décès de sa femme. Sylviane constate que son père ne se lave plus, refuse toute aide extérieure, se déplace difficilement, ne mange pas à sa faim, et boit beaucoup d'alcool. "J'ai très vite constaté que plus rien ne fonctionnait dans la maison, et qu'il était surtout dans un très grave manque d'hygiène. J'ai voulu, avec l'aide du médecin traitant, trouver des moyens pour l'aider", nous précise-t-elle.
Le médecin traitant de son papa, qui l'a suivi pendant une grande partie de sa vie, rédige un certificat médical. Il y parle de démence, d'amnésie, de difficultés importantes pour marcher, d'anosognosie (ndlr, la personne nie son état). Le médecin conclut que son papa n'est plus en état de gérer ses biens, ni sa propre sécurité. Sylviane introduit alors une requête auprès du juge de paix afin d'assurer la protection juridique de son père.
Le juge de paix fait le déplcacement chez le papa de Sylviane en sa présence. La maison y est à la dérive: il y a des mégots partout, la literie est également dans un état de malpropreté profonde. Il n'en faut pas plus pour que le juge de paix trouve la situation alarmante et ordonne le placement sous protection judiciaire de son père.
En mars 2022, un administrateur de biens professionnel est désigné
Une mission confiée à un avocat, sur conseil du juge de paix afin de soulager Sylviane, appelé "administrateur de biens et de la personne". Il était notamment chargé de placer son père en maison de repos dans l'urgence, puisqu'il ne pouvait manifestement plus vivre seul. On est alors en mars 2022. Mais après un mois, la situation se dégrade… "J'explique à l'avocat que mon père est très sale et incontinent et que ça pose de vrais problèmes d'hygiène. Et il dément et nie chaque réalité pourtant avec preuve à l'appui. Et donc il va laisser mon père pendant 3-4 mois macérer, si je puis dire, dans ses urines et excréments... Ce qui est extrêmement révoltant" , nous raconte Sylviane, encore sous le choc aujourd'hui.
Pour couronner le tout, l'administrateur est injoignable et ne répond jamais ni aux appels de Sylviane ni de son papa. "Il passait un temps fou à minimiser ce que je disais, mais aussi ce que les voisins constataient. Mon père plongeait dans l'alcool, n'avait pas assez d'argent pour manger tous les jours, il était sous-alimenté, il faisait des chutes, la porte de sa maison restait ouverte, il avait une mauvaise hygiène... Et c'était le seul à dire: 'Mais votre papa est apte à rester chez lui' et donc il va le maintenir à domicile. L'administrateur a laissé mon père dans cet état sans aide ni assistance". Une situation insoutenable tant pour Sylviane que pour son père qui va durer 5 mois.
Courant 2022, Sylviane porte plainte pour maltraitance et non-assistance à personne en danger
Alors en avril 2022, elle porte plainte et dénonce une forme de maltraitance. Elle demande au juge de récupérer cette protection, ce qui lui sera d'abord refusé, alors qu'on lui avait assuré que même si un avocat était désigné, elle pourrait récupéré cette protection facilement. Elle fini par l'obtenir quelque mois plus tard après un procès et devient donc administratrice en novembre 2022. "Je gagne au final ce procès, mais je reste malgré tout amère. Comment est-ce qu'en Belgique, on laisse la justice s'occuper d'une personne âgée sans tenir compte d'une criante urgence de santé et d'hygiène?", dénonce-t-elle.
Entre temps, au mois de mai 2022, son papa est admis en maison de repos après avoir fui son domicile, ne supportant plus la situation dans laquelle il était. Peu de temps après, l'état du papa de Sylviane se dégrade, il décède début janvier 2023.
A cause de cette mauvaise gestion de l'avocat, qui aura duré plusieurs mois, Sylviane a aujourd'hui une dette de 3.000 euros. Pour elle, la loi relative à l'encadrement de la personne devrait être plus sévère.
De nombreuses personnes sont sous protection juridique en Belgique: quel est son rôle?
En Belgique 1 personne sur 100 se voit désigner un administrateur de biens. Soit un membre de la famille, qui est prioritaire d'après la loi, soit un avocat. Quentin Rey, avocat, assure également ce rôle. Il nous en explique le fonctionnement de manière générale: "On est la personnalité juridique de la personne protégée. Donc en gros, la personne ne peut plus signer un contrat sans notre autorisation, et nous parfois, pas sans autorisation du juge de paix. Il y a vraiment une hiérarchie", résume-t-il.
Le juge de paix chapeaute l'administreur de bien, qui lui, gère le quotidien de la personne sous protection juridique. L'administrateur prend notamment en charge la gestion administrative quotidienne, l'aspect juridique, et la gestion financière de la personne protégée: "On gère son quotidien. Donc on va s'assurer qu'il ait un domicile, s'assurer que ses papiers sont en ordre. Ça peut aussi être régulariser sa mutuelle, son chômage, s'assurer qu'il n'y a aucun problème avec le bail, etc.", détaille Me Quentin Rey. Le rôle d'un administrateur de biens est donc multiple.
Il rappelle aussi que "c’est une mesure de protection": "Le but est d’éviter que les administrés dilapident leur argent et qu’ils se retrouvent démunis". La loi prévoit que la famille à la priorité, mais un administrateur de biens professionnel peut également être désigné, comme dans le cas de Sylviane où le juge de paix lui avait suggéré de faire appel à un professionnel. Si la famille n’est pas désignée administrateur, elle peut choisir une ou deux personnes de confiance, explique Me Quentin Rey, qui peuvent faire partie de la famille et qui feraient office de lien entre la personne protégée et l'administrateur.
Un rapport annuel pour jusitifer les dépenses doit être tenu et soumis au juge de paix
Dans tous les cas, pour toutes les démarches, il y un contrôle opéré par un juge de paix. "Nous sommes supervisés. Tout ce qu’on pose comme acte, on doit le justifier vis-à-vis du juge de paix. On doit justifier tous les montants qui entrent et qui sortent. Il se peut aussi qu’il y ait des contrôles avec un comptable externe qui vérifie que tout est en ordre", ajoute Me Quentin Rey.
L’administrateur perçoit 3 % des revenus de la personne protégée d'après la loi relative aux administrateurs de bien. Sans compter les frais et prestations exceptionnelles, où là des forfaits sont également prévus par la loi. Chaque année, l'administrateur de biens doit rendre un rapport au juge de paix. "Il doit rendre des comptes pendant la gestion, et il est responsable à l'expiration de son mandat. Il y a une part marginale chez les professionnels, comme chez les particuliers, de gens qui peuvent mal gérer ou qui peuvent être malhônnetes", explique Xavier Ghuysen, juge de paix à Liège 1.
Que faire quand ça se passe mal avec un administrateur de biens?
Si la famille n'est pas d'accord avec la décision du juge, ou qu'elle n'est pas d'accord avec l'administrateur désigné, elle peut faire appel de la décision ou saisir le juge de paix pour signifier qu'il y a des problèmes avec l'administrateur actuel. Attention, il ne faut pas introduire une demande de désignation: "Ce n'est pas possible car un administrateur est déjà désigné", mets en garde Me Quentin Rey. Il faut introduire une demande de remplacement "qui doit être étayée de différentes justifications".
Des fraudes régulières sont repérées. Pour mieux encadrer ce statut, un projet de réforme est en cours d’examen.


















