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Natation: Bonnet libérée, délivrée

Entrée très jeune en équipe de France et rapidement propulsée chef de file de la natation féminine, Charlotte Bonnet a vaincu ses démons pour devenir championne d'Europe du 200 m, lundi à Glasgow. Pour parfaire le scénario, son compagnon, le Suisse Jérémy Desplanches, s'est offert le 200 m 4 nages dans son sillage.

Bonnet, qui a tant rêvé de ce premier succès individuel en grand bassin, n'aurait pu imaginer plus beau dénouement.

"Quand je l'ai vu gagner, je n'en revenais pas ! J'étais encore plus émue de voir sa course qu'à l'arrivée de la mienne. Même lui ne pensait pas gagner, il m'avait dit qu'il voulait faire un podium, c'est tout", a-t-elle raconté sa médaille d'or autour du cou - la deuxième de sa semaine écossaise après celle obtenue avec le 4x100 m dames vendredi.

Un peu plus tôt, la nageuse de 23 ans était devenue la première Française à remporter le titre continental sur la distance, en 1 min 54 sec 95, nouveau record personnel (contre 1:55.53). L'aboutissement d'une longue quête, parfois douloureuse.

Au début de l'histoire, tout va très vite pour Bonnet. En 2010, elle quitte la Bretagne de son enfance direction Nice, bientôt place forte de la natation tricolore. Dès l'année suivante, les portes de l'équipe de France s'ouvrent, pour les Mondiaux-2011 à Shanghai. Elle n'a que seize ans.

En 2012, la jeune élève de Fabrice Pellerin monte déjà sur le podium olympique, avec le relais 4x200 m dames, aux côtés notamment de sa grande amie et partenaire d'entraînement, Camille Muffat. Rebelote aux Mondiaux-2013, à Barcelone, toujours avec Muffat.

- Emotions domptées -

Puis le tempo ralentit : un supplice pour cette impatiente. Il y a d'abord la difficulté à gérer les attentes de plus en plus pressantes. Comme aux Championnats d'Europe 2014 à Berlin, où, dans la foulée de la retraite sportive de Muffat, elle se retrouve propulsée leader des Bleues, à 19 ans. Trop tôt, trop vite pour la discrète Bonnet, habitée par le doute, et qui, aujourd'hui encore, ne revendique pas ce rôle. "Pas dans (son) tempérament."

Il y a aussi la disparition soudaine de Muffat, sa "grande soeur", dans un accident d'hélicoptères sur le tournage d'une émission de télé-réalité en Argentine début 2015. Touchée en plein coeur, Bonnet est profondément et durablement affectée.

Trois semaines plus tard aux Championnats de France, les baskets fétiches de Muffat dorées et décorées d'oursons au bord du bassin, et un bonnet rose dédié à son amie sur la tête , elle nage "pour elle". Non sans chagrin mais avec pudeur.

Quand elle obtient le bronze européen sur 200 m à Londres en 2016, dans le bassin olympique où Muffat a été sacrée sur 400 m quatre ans plus tôt, sa peine continue de l'escorter. "Ce bassin, il me rappelle beaucoup de souvenirs, ça me tenait vraiment à cœur de réussir cette course. Ca signifie beaucoup pour moi", reconnaissait-t-elle alors.

Extérioriser les douleurs qu'elle gardait enfouies, c'est une des raisons qui ont amené Bonnet à entamer un travail avec une psychologue, Meriem Salmi, il y a bientôt deux ans. "Engagée, courageuse, intelligente mais plutôt timide et réservée en ce qui concerne ses émotions", écrit à son propos la thérapeute dans son livre "Croire en ses rêves et trouver son chemin" (Fayard, 2018).

- "Interdit d'être 2e" -

Les débuts sont pénibles mais la démarche salvatrice. Ensemble, au moins une fois par mois, elles abordent "toutes les questions que je me pose. Sur la façon dont j'aborde les compétitions, les entraînements, dont je gère ma vie à côté, ce que j'ai pu traverser ces dernières années", expliquait la nageuse à l'AFP au printemps. "Je me livre totalement."

"Chaque nouvelle séance me met encore plus en confiance. A chaque fois, je fais un pas en avant", poursuivait-elle.

"Avant, j'étais incapable d'arriver dans un championnat en étant un peu sereine. J'avais toujours une énorme part de doute, d'incertitude. Aujourd'hui (lundi), j'arrive à canaliser tout ça", a-t-elle confirmé lundi.

En parallèle, après des Mondiaux-2017 frustrants (8e du 200 m), où elle n'avait une fois de plus pas performé à son meilleur niveau, Bonnet ressent le besoin de "casser la routine" à l'entraînement. Avec Pellerin, ils décident de mettre l'accent sur la vitesse à la rentrée dernière.

Les chronos suivent immédiatement, à l'image du titre du record de France pulvérisé sur 100 m (52.74).

Restait à concrétiser sur sa distance de prédilection, le 200 m, d'autant plus désertée par des pointures (Pellegrini, Sjöström et Hosszu).

"J'aurais été déçue de faire ne serait-ce que deuxième, je me l'étais interdit", a-t-elle lancé. Contrat rempli. Avec maestria.

Si bien que Pellerin voit déjà plus loin : "Maintenant qu'elle a ouvert la porte, on va vouloir l'observer dans la pièce suivante."

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