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Au Liban, le budget d'austérité s'attaque aux fumeurs de chicha

Retournant les braises qui coiffent le tabac tassé sur son narguilé, Abbas Nasreddine ne décolère pas. Ce petit plaisir qu'il s'offre quotidiennement est aujourd'hui directement menacé par le nouveau budget d'austérité du Liban et une taxe sur la chicha.

"C'est comme ça que nous évacuons le stress", affirme cet étudiant de 26 ans, laissant s'échapper une longue traînée de fumée parfumée à la menthe, dans un café bondé de Beyrouth.

"Mais, ce qui nous permettait de supporter nos inquiétudes, est devenu une préoccupation en soi", déplore-t-il.

Le jeune homme fait partie des nombreux fumeurs de narguilé au Liban indignés par la décision du gouvernement d'imposer une taxe sur la consommation de la chicha, dans le cadre d'un budget d'austérité pour l'année 2019 validé cette semaine en conseil des ministres.

Le narguilé est déjà soumis à une TVA de 11%, alors que le tabac utilisé fait l'objet de tarifs douaniers et de droits d'accise.

Mais les fumeurs devront bientôt payer 1.000 livres libanaises supplémentaires (0,6 euro) pour chaque pipe à eau commandée dans un restaurant, café, hôtel ou boîte de nuit, alors que le pouvoir d'achat des Libanais ne cesse de s'éroder depuis des années.

- "Ils nous ruinent" -

"Pour les politiciens, 1.000 livres n'ont peut-être aucune valeur (...) mais pour moi, c'est ce que je paye pour mon trajet à l'université", lâche Abbas Nasreddine.

Le Parlement doit encore ratifier le projet de budget, qui réduit certaines dépenses de l'Etat mais prévoit aussi des hausses de la taxation, y compris sur l'épargne bancaire, les licences d'armes à feu à usage personnel ou encore les vitres teintées des voitures.

Sur les réseaux sociaux, les utilisateurs s'en prennent d'avance à une classe politique accusée de corruption, de protéger ses privilèges et de favoriser des mesures fiscales ne compromettant pas ses intérêts, dans un pays où infrastructures et services publics sont en déliquescence.

Pour Abbas Nasreddine, les taxes ne doivent pas être imposées "sur quelque chose que la plupart des gens consomment simplement pour se détendre". "On fume pour se calmer parce qu'on en a assez de la situation dans ce pays".

Avant leur adoption, les réformes avaient provoqué une série de sit-in et de manifestations organisés par des fonctionnaires de l'Etat, qui verront certains de leurs avantages financiers rognés par le nouveau budget.

Les nouvelles mesures ont pour but d'enrayer un déficit budgétaire en hausse constante, après des décennies de guerre civile et de crises politiques à répétition qui ont fait du Liban un des pays les plus endettés au monde.

Des experts se sont toutefois montrés circonspects sur ces réformes. Le principal reproche formulé à l'égard du gouvernement est d'avoir favorisé une hausse des taxes, aux dépens d'un pouvoir d'achat déjà brimé, plutôt que de lutter contre la corruption, l'évasion fiscale ou encore la contrebande.

Houssam Choumane fait partie des fumeurs invétérés. Ce comptable de 28 ans avoue fumer plus d'une fois par jour "par ennui" et "surtout après le travail".

Assis dans un café animé de la banlieue sud de Beyrouth, un narguilé à la pomme près de lui, il n'hésite pas à tirer à boulets rouges sur les responsables libanais.

"Qu'ils aillent chercher de l'argent ailleurs. Pourquoi cibler les fumeurs de chicha?", lance-t-il, calculant le montant qu'il devra désormais débourser. "Ils nous ruinent"!

- Passivité -

Selon l'Organisation mondiale de la santé (OMS), une chicha équivaut à fumer 20 à 30 cigarettes, et peut provoquer des lésions ou un cancer des poumons.

Mais dans de nombreux pays du Moyen-Orient, cette pratique largement répandue est un vecteur de socialisation. Les fumeurs passent des heures dans des cafés où ils échangent sur leur vie ou la politique, jouant aux cartes ou au tric-trac en se passant le tuyau du narguilé.

Au Liban, le taux de consommation de narguilé chez les jeunes est le plus élevé dans la région avec 34,2%, selon une étude réalisée par la revue médicale Ethnicity&Disease et publiée en 2016.

Dans la banlieue sud de Beyrouth, Fayyad Moustafa mélange des cartes en aspirant une nouvelle bouffée de fumée.

Pour ce technicien de 24 ans, le problème ne se résume pas à la taxe sur les chichas. "Nous vivons dans un Etat qui veut rendre tout plus cher".

Il regrette aussi la passivité dont font preuve selon lui les citoyens. "Si nous restons silencieux après la taxe sur le narguilé, nous devrons aussi rester silencieux lorsqu'ils augmenteront le prix du pain ou des pommes de terre".

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