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Sur le "dark web", mais également sur les réseaux sociaux, des images d’abus sexuels sur mineurs existent par millions. Un contenu facilement accessible, produit et partagé dans le monde entier… Et chaque cliché inflige d'effroyables séquelles pour les victimes. Qu'est-il mis en place pour lutter contre un tel phénomène ?
Notre enquête débute dans les bureaux de l’association Child Focus, au fond d'un couloir. Sylvain (prénom d'emprunt) nous emmène dans une pièce sécurisée.
En temps normal, seules deux personnes y ont accès ; deux employés qui parcourent Internet pour repérer les images d’abus sexuels sur mineur. Ils ne peuvent pas rester plus de 2h par jour dans cette salle afin de préserver leur santé mentale. "On analyse que trois jours par semaine. Et on est obligatoirement deux, comme ça s'il y a des signes d'état de choc, on a un support qui est direct, c'est quelqu'u qu'on connaît bien et qui sait comment répondre", témoigne Sylvain.
On voit une augmentation des images créées par l'Intelligence artificielle
Les images qu'il analyse ont été signalées par des internautes sur la page de Child Focus. Il se sert également du logiciel Arachnid qui repère des photos déjà connues des associations, mais qui sont présentes sur plusieurs sites différents. "Quand on voit une image qui va être particulièrement choquante ou violente, c'est vraiment très surprenant. Ça sort de nulle part et c'est difficile à voir venir. Du coup, là, on rentre dans un état de choc parce qu'on a vu quelque chose qui est assez dur à voir", ajoute-t-il.
Après chaque session, les analystes se rendent dans la "zen room" où ils se détendent pendant quinze minutes pour évacuer le stress : "On conseille de jouer à des jeux vidéo comme Tétris, parce qu'il y a des études qui ont démontré que ça permettait d'éviter des flash-back à long terme".
Plus de 25.000 signalements
Le travail des équipes est crucial, car les abus sur mineurs sont de plus en plus nombreux. En 2023, Child Focus a traité plus de 250 mille images différentes. Une hausse de 32% par rapport à l’année précédente. "Ce qu'on constate aujourd'hui, c'est qu'on voit une augmentation, dont des images qui sont créées par l'Intelligence artificielle. On a absolument besoin de technologie et de détections", confirme Tijana Popovic, conseillère politique chez Child Focus.
Dans un bureau de la police fédérale, une équipe de sept personnes analyse des images saisies lors de perquisitions menées en Belgique et à l’étranger. La priorité est de retrouver et de protéger les victimes belges, mais qu'en est-il est des auteurs ?
"Dans la plupart des cas, on sait identifier l'enfant et l'auteur n'est pas très loin. C'est le cercle social, familial, sportif ou parfois les écoles", explique Yves Goethals, chef de service de l’équipe "Child Abuse".
En 2024, ce département a traité 25. 719 signalements uniquement sur les réseaux sociaux… Un chiffre qui a doublé en 5 ans. Plus de 3.000 plaintes étaient fondées.
Accompagnement psychologique
Une fois devant la justice, la personne qui détient du contenu pédopornographique risque de 1 à 5 ans de prison et jusqu'à 10.000 euros d’amende. L’auteur des images encourt lui une peine allant de 5 à 10 ans d’emprisonnement. Jusqu’à 15 ans de prison et 100.000 euros d’amende s'il fait partie d’un réseau de pédocriminels.
En plus de ces peines, la justice contraint certains condamnés à suivre un accompagnement psychopathologique. Dans l'un de ces centres d'accompagnement, Jessica Thiry, psychologue, accueille des auteurs d'infraction sexuelle : "C'est ici que nous accueillons nos patients, donc des personnes qui sont contraintes par la justice à un suivi psychologique après avoir commis des faits de mœurs".
C'est un facteur qu'on travaille énormément avec eux : être capable de demander de l'aide au moment opportun, avant tout passage à l'acte
L’objectif des consultations est clair : limiter les risques de récidive. "Souvent, ils ont commis un passage à l'acte après avoir ressenti, peut-être, qu'ils avaient besoin d'aide, mais sans savoir à qui s'adresser ni comment s'adresser à quelqu'un. C'est un facteur qu'on travaille énormément avec eux : être capable de demander de l'aide au moment opportun, avant tout passage à l'acte", raconte-t-elle.
Sans cette prise en charge, un délinquant sexuel sur quatre commettrait une nouvelle infraction. La preuve que cela fonctionne, selon Julien Lagneaux, directeur de l'Unité de Psychopathologie Légale : "Ce taux de récidive chute à un taux de 7,9% quand il y a une prise en charge (...). C'est très loin de l'idée que tous ces auteurs récidivent".
Une ligne d'écoute spécialisée
Le centre a également développé une ligne d’écoute anonyme pour les personnes qui estiment avoir des fantasmes sexuels déviants. Elles peuvent se confier, être orientées vers des spécialistes… Un écoutant accepte de nous lire un extrait de témoignage : "Pour ma part, j'ai été confronté à une attirance qui me faisait honte, qui me faisait peur : une attirance pour les enfants".
Toutes les personnes que nous avons rencontrées sont convaincues de la nécessité des prises en charge des auteurs, pour eux-mêmes, mais également pour protéger les victimes.
À l’heure où les infractions et les contenus pédopornographiques sont de plus en plus nombreux, les moyens de la police et des associations restent limités mais capitaux, car derrière chaque image identifiée, c’est la vie d’un enfant qui est préservée.


















