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Depuis le 1er décembre dernier, les travailleurs du sexe peuvent bénéficier d'un contrat de travail en Belgique. Cette loi leur permet de bénéficier d'une meilleure couverture sociale, il s'agit d'une première en Europe. La prostitution est-elle vraiment devenue un métier comme un autre?
Mel, 30 ans, poste régulièrement des vidéos pour raconter son quotidien en tant que travailleuse du sexe. "C’est un jour historique pour nous, les travailleuses du sexe. La Belgique est le premier pays à mettre en place un règlement régissant notre travail… Nous pourrons travailler pour un employeur. La Belgique est donc le premier pays au monde à avoir à ça", dit-elle fièrement dans une vidéo postée sur ses réseaux sociaux.
Depuis décembre, les personnes qui se prostituent peuvent en principe bénéficier d’un contrat de travail. Pension, chômage, indemnité maladie... Ce nouveau statut est censé leur assurer une couverture sociale, mais également une reconnaissance aux yeux de la société.
Ce sera beaucoup plus difficile de maintenir ces libertés et de satisfaire tout le monde
"Je suis actuellement en route pour rendre visite à l'un de mes clients réguliers, et je me sens en sécurité", confie Mel dans une autre vidéo. "Désormais, si quelque chose arrive, les gens, le gouvernement et tout le monde doit prendre cela au sérieux en raison de la nouvelle loi. C’est pourquoi je me sens vraiment en sécurité."
La prostitution est-elle vraiment devenue un métier comme un autre ? C’est la question que nous avons posée à Marie, ancienne prostituée à Bruxelles. Selon elle, ce contrat de travail va précariser davantage les travailleurs et travailleuses : "Il y a l'ONSS, les congés payés, les primes de fin d'année, plus ton loyer, le chauffage, enfin tout... Donc la fille doit gagner quoi, 4.500€ ? Mais si elle se rend compte qu'elle gagne 4.500, mais qu'elle n'en a que 1.500€, elle va jamais vouloir".

À Anvers, la Villa Tinto propose des chambres à louer pour les travailleuses du sexe. Aucune d’entre-elles n'est favorable à cette nouvelle réglementation. "Elles travaillent quand elles veulent. Elles choisissent leurs propres clients, prennent des vacances quand elles veulent et le prix qu'elles demandent est libre", explique Karine Vander Elst, propriétaire de la Villa Tinto. "Si nous leur donnons un contrat, je pense que ce sera beaucoup plus difficile de maintenir ces libertés et de satisfaire tout le monde".
Même son de cloche, du côté de l’asbl Icar à Liège. Ici, on ne parle pas d’une avancée, mais plutôt d’une loi discriminatoire. "Les personnes plus âgées ou pas en ordre administrativement, plus précaires... Je ne pense pas qu'un patron va vouloir les engager", s'alarme Dominique Silvestre, éducatrice spécialisée à l'Icar. "Je pense qu'on va principalement engager des très jeunes femmes ou très jeunes hommes".
L'association Utsopi a participé à l’élaboration du texte de loi. "Chaque travailleur ou travailleuse du sexe a le choix entre le statut d'indépendant ou le statut de salarié. Il y a le libre choix. Mais je ne pense pas que dans les vitrines, des gestionnaires voudront faire comme un gestionnaire, d'employeur à employé", avance Daan Bauwels, directeur de l'association.
Qui bénéficie de ce cadre légal ? Nous avons contacté des patrons de bar et de club connus dans le milieu de la prostitution et leur avons posé cette question : sont-ils prêts à envisager un contrat de travail ?
"Moi, je n'ai pas de salarié et je n'en veux pas. Si, par exemple, on la prend qu'en tant que salarié et qu'après elle décide de s'en aller, ce qui est souvent le cas, je vais à nouveau me retrouver avec de la paperasse des choses en plus à payer", témoigne un tenancier anonymement. "Les filles qui travaillent ici sont indépendantes, donc le contrat de travail n'est pas vraiment utile. Pour des personnes comme nous, qui exerçons notre métier depuis plus de vingt ans et qui avons toujours fait les choses en bonne et due forme, ça ne change strictement rien".
"Personne n'est encore prêt à accepter un contrat où il est écrit "prostitution". Je ne connais pas une fille qui accepterait de signer, même si la loi est passée", ajoute un autre.
"Encore beaucoup de choses à clarifier"
Pour pouvoir établir ces contrats, le patron doit faire une demande d'agrément. Depuis décembre, seules trois demandes ont été introduites… La faute, entre autres, à un flou juridique, selon Charles-Eric Clesse, avocat spécialisé en droit du travail : "On a toujours ce problème de proxénétisme qui fait qu'on ne peut quand même pas avoir énormément de demandes d'agréments dans la mesure où celui qui va faire la demande d'agrément va être déclaré proxénète et donc, automatiquement, il risque des sanctions pénales qui vont jusqu'à la prison".
Et Daan Bauwels, directeur d'Utsopi, le confirme : "Les changements qui ont été faits étaient nécessaires pour garantir les droits fondamentaux des travailleurs du sexe. Après, il a encore beaucoup de choses à clarifier".
La loi pourrait donc être améliorée pour coller à la réalité du terrain. Mais pour Marie, ancienne prostituée, il ne faut pas faire de la prostitution un métier ordinaire : "Le corps souffre, le cerveau aussi parce que j'ai beaucoup de flash-back qui reviennent et à l'époque, je trouvais ça normal parce que j'étais dedans. Je travaillais, j'étais militante, je n'avais pas le temps de penser. Maintenant, quand le corps se repose, tout revient".
Encadrer la prostitution sans la banaliser serait un enjeu crucial à l’heure où le nombre d'annonces en ligne se multiplient. Selon les estimations officielles, plus de 25.000 personnes se prostituent sur notre territoire.


















