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Pour faire pression sur l'État, des salariés brûlent des stocks de cartes grises

"On continuera à brûler les réserves jusqu'à ce que l’État nous garantisse un plan social digne": en Seine-et-Marne, les salariés d'une usine produisant le papier sécurisé pour les cartes grises, liquidée mi-janvier, ont accentué la pression lundi.

Pour les 240 salariés d'Arjowiggins Security, ancien "fleuron de la papeterie", les "bobines" sont devenues une "monnaie d'échange".

"Nous sommes les seuls en France à fabriquer ce papier pour les cartes grises, et les préfectures vont être en pénurie d'ici deux mois", assure Patrice Schaafs, délégué syndical CGT.

Le 16 janvier, le tribunal de commerce de Nanterre a prononcé la liquidation de cette entreprise vieille de 400 ans, qui fabriquait dans le village de Jouy-sur-Morin des billets de banque pour 120 pays, mais aussi du papier sécurisé pour les cartes grises, passeports ou permis de conduire.

Huit mois plus tôt, Arjowiggins Security avait été vendu par le groupe papetier français Sequana à un fonds d'investissement suisse, Blue Motion Technologies Holding. "On a été rachetés par une société qui nous a dépouillés, alors même que l’État, via la banque publique d'investissement (BPI), leur avait donné de l'argent", dénonce Didier Olanier, salarié de l'entreprise depuis 37 ans.

En attendant la fermeture du site, prévue le 30 janvier, des salariés occupent jour et nuit leur usine et veillent sur les stocks à tour de rôle. Toutes les douze heures une "bobine" de 200 kg part en fumée, "de quoi fournir un département pendant un an", selon Patrice Schaafs, de la CGT.

"On est tombé sur des escrocs, des charognards, des voleurs : le fonds d'investissement a tout pillé, alors que les carnets de commandes étaient fournis", dénonce Abdelkarim Mbarek, assis, "affecté et triste", près d'un des braseros installés devant l'usine recouverte de pancartes.

A l'entrée du site, des pneus et des palettes brûlent. Sur les grilles, des T-shirts avec les prénoms des salariés ont été accrochés.

Pour ce conducteur de machines, 33 ans dont 12 chez Arjowiggins, "la fermeture de cette usine qui produit des papiers exceptionnels pour la France doit rester française, quitte à nationaliser". "Perdre quatre siècles de savoir faire, c'est honteux pour la France", dit-il.

- Lettre au président -

Lundi à 15H00, la préfète de Seine-et-Marne, Béatrice Abollivier, s'est rendue à la mairie pour rencontrer une délégation de salariés et d'élus.

Une deuxième reunion est prévue mardi à la sous-préfecture de Provins, en présence d'un conseiller de Muriel Pénicaud, la ministre du Travail, "pour que les salariés soient le mieux traités possible", a indiqué la préfecture à l'AFP.

La sénatrice LR, Anne Chain-Larché, a écrit lundi au président de la République pour lui demander "d'intervenir personnellement" pour "sauver l'entreprise" qui "était encore il y a deux ans leader mondial dans la fabrication des papiers fiduciaires et papiers sécurisés".

Elle demande à Emmanuel Macron "d'examiner la piste de la création d'un établissement public à caractère industriel et commercial" (EPIC)", justifié à ses yeux "par la mainmise totale de l’État sur la production de tous ses documents officiels", "une question de sécurité nationale".

Le maire du village de 2.100 habitants, lui-même resté sur le carreau après la fermeture d'une usine voisine, veut croire à une reprise. "C'est un fleuron de la papeterie, il faut le sauver. Bien sûr qu'on y croit, c'est fort possible qu'il y ait un repreneur", estime Luc Neirynck, qui "soutient les salariés depuis le début".

Quand on lui demande si c'est une catastrophe pour le bassin d'emploi déjà sinistré, le maire répond que "c'est d'abord une catastrophe pour les hommes". Avant d'ajouter que, "bien-sûr, ça fait vivre le village".

Côté syndicat, on ne semble guère plus espérer un redémarrage de l'usine. "Si un repreneur sérieux avait dû se manifester, ce serait déjà arrivé", souffle Patrice Schaafs, de la CGT.

"L’État nous a lâchés et a participé à ce qui nous arrive", estime le syndicaliste. "Maintenant, il doit au moins nous aider à obtenir un plan social car, pour l'heure, nous n'avons rien. A la fin du mois, les salariés perdront même leur mutuelle".

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