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Nathalie est atteinte de lipoedème ou "maladie des grosses jambes": il a fallu 16 ans pour qu'elle sache enfin

Mal connu du monde médical, ce syndrome a pour caractéristique principale une accumulation de tissu adipeux au niveau des membres inférieurs. Nathalie, comme bien d’autres femmes, a attendu de longues années avant que ne soit posé le diagnostic. Pour reconstruire sa silhouette, elle a décidé de recourir à la liposuccion. Un acte chirurgical pas anodin.

Le lipoedème est un syndrome encore relativement méconnu, mais qui fait parler de lui ces derniers temps. La diffusion d'un reportage sur Emmy, une blogueuse beauté, a aidé Nathalie (prénom d'emprunt car elle veut garder l'anonymat), et d'autres femmes, à mettre un nom sur le mal qui les affectait. Quel est ce syndrome qui touche 11% des femmes, quasiment pas les hommes, et que certains appellent "la maladie des grosses jambes" ? Les scientifiques n'ont pas encore la réponse. Mais des signes cliniques ont été identifiés. Et le parcours des patientes ressemblent souvent à celui de cette Namuroise de 34 ans...


"J'ai essayé plein de choses mais ça ne marchait pas"

Nathalie a toujours été mince mais, entre 18 et 20 ans, ses jambes ont gonflé petit à petit. "La maladie s'est manifestée à la prise de la pilule", se souvient-elle. Inquiète, elle a consulté plusieurs médecins qui ne lui ont proposé aucune solution. "Faites du sport, faites régime", s'entendait-elle dire. "J'ai essayé de perdre du poids, de faire du sport, je mettais des bandes décongestionnantes… J'ai essayé plein de choses, toutes les choses qu'on peut imaginer, mais ça ne marchait pas", raconte-t-elle.

Jean-Paul Belgrado, coordinateur à la clinique de lymphologie, lymphologue et chercheur à l'ULB, connait l'errance thérapeutique de ces femmes. Le lipoedème étant mal connu, leur problème est souvent négligé par les médecins : "La caricature c'est 'écoutez madame, oui, oui c'est ça… vous me dites que vous faites du sport que vous ne mangez rien. Vous êtes grosse et ça vient du ciel évidemment… Allez chez une diététicienne, faites un peu plus de sport et vous verrez que ça ira mieux'".

Nathalie a fait du sport, des régimes. Elle est allée jusqu'à peser 47 kilos pour 1m70. Toute maigre en haut du corps, en bas ses jambes restaient toujours aussi grosses. Elle a donc appris à vivre avec, dissimulant ses jambes en toutes circonstances. "C'est difficile en été, confie-t-elle. J'ai des gros bas de grand-mère, on voit que j'ai de bas de contention, c'est pas beau. Je ne mets jamais de jupe, je suis en robe longue ou en jupe longue. On voit juste mes orteils qui dépassent."


Des douleurs qui l'ont contrainte à changer de métier

Le problème n'est pas qu'esthétique. Il s'accompagne de douleurs aux jambes qui l'empêchent de rester debout trop longtemps. "Ce qui cause les douleurs, c'est l'étirement des tissus, si je tire sur votre peau, je vais pouvoir tirer jusqu'à un certain seuil et puis après je vais vous faire mal", explique Jean-Paul Belgrado.

Lorsqu'elle était esthéticienne chez Planète Parfum, Nathalie ne parvenait plus à terminer ses journées. Debout, elle pleurait de douleurs. "Le médecin que j'ai vu m'a dit 'T'as 20 ans mais tes jambes, elles en ont 35 donc oublie, travailler debout t'y arriveras pas'. Là j'avais compris que c'était fichu", se souvient-elle. Nathalie a démissionné pour reprendre des études de comptable, métier qu'elle exerce aujourd'hui.

On se dit ça y est, c'est moi, c'est ce que j'ai. Ça fait 16 ans que tu cherches mais la réponse elle est là

Emmy

Fin janvier 2019, elle tombe par hasard sur un reportage consacré à Emmy, une youtubeuse française qui publie des vidéos de conseils beauté, mode, look…  Les jambes disproportionnées, la souffrance, les médecins qui ne la prennent pas au sérieux. Tout dans le parcours de la blogueuse lui rappelle le sien. Nathalie fonce sur le blog d'Emmy : "On se dit ça y est, c'est moi, c'est ce que j'ai. Ça fait 16 ans que tu cherches mais la réponse elle est là". Au mois de février 2019, le docteur Vandermeeren, chef de la clinique de Lymphologie de Bruxelles, pose le diagnostic : Nathalie est atteinte du syndrome du lipoedème. 


Un syndrome caractérisé par dépôts de graisse "décompactée" au niveau des jambes

Il n'existe aucun examen qui permet de confirmer avec certitude le lipoedème. C'est l'accumulation de signes cliniques qui doit orienter les médecins : des dépôts de graisse au niveau des jambes (dans tous les cas), mais aussi, éventuellement, une souplesse articulaire au-delà de la normale, une déformation du genou, du coude, les pieds plats, une fragilité des veines, une tendance à faire des vergetures, des entorses, des bleus.

Une biopsie montre que les dépôts de graisse de ces patients sont inhabituels. Chez les patients obèses, le graisse est très compacte, alors que dans les cas de lipoedème, elle est décompactée. "On y trouve pas mal de fluides qui stagnent et qui ne sont pas évacués normalement", explique Jean-Paul Belgrado.


Un collagène qui ne permet pas le bon fonctionnement des "égouts du corps humain"

Les scientifiques ne parviennent pas à expliquer la présence de ces fluides. Mais le collagène pourrait jouer un rôle.

Vous ne voyez pas trop ce qu'est le collagène ? Jean-Paul Belgrado explique :

"Le collagène, en gros, ce sont des fibres qui se trouvent partout dans notre corps. Nos os, ce n'est quasiment que du collagène, avec du calcium etc. Notre peau, c'est du collagène, avec un peu d'élastine évidemment sinon elle serait rigide, nos tendons, etc. Si on n'avait pas de collagène on serait comme des méduses".

Le collagène, s'il est de bonne qualité et en suffisance, permet le bon fonctionnement du réseau lymphatique. "Pour faire simple, le réseau lymphatique, ce sont les égouts du corps humain. C'est un réseau d'une densité énorme qui passe par des centrales d'épuration, un peu comme nos centrales d'épuration des eaux usées dans nos villes. Tout cela est épuré et cela retourne à la mer, c'est à dire dans la circulation sanguine", explique le spécialiste. 

Ceci expliquerait également pourquoi les hommes, dont le collagène est plus structuré, plus épais, ne sont presque pas touchés par le lipoedème. Le syndrome aurait également une composante hormonale et thyroïdienne. "On est en présence d'un ensemble d'acteurs qui interagissent" , résume le chercheur.  Ci-dessous, une patiente anorexique atteinte de lipoedème Des opérations de chirurgie de l'obésité qui restent sans effet sur les membres inférieurs

Poser le bon diagnostic est d'autant plus compliqué que l'aspect psychologique vient fausser les cartes. Ces femmes se sentent incomprises, certaines mêmes se disent "humiliées". Ce qui entraîne parfois des compulsions alimentaires et, in fine, une obésité qui va masquer le lipoedème. "C'est vraiment un problème", constate Jean-Paul Belgrado. Les médecins ont ensuite des difficultés à faire le tri entre les patientes qui sont obèses et celles qui sont obèses avec un lipoedème.

Certaines arrivent à des situations assez étonnantes. Elles décident de faire une opération de chirurgie de l'obésité (by pass, sleeve...) et maigrissent de partout sauf de leurs cuisses et de leurs hanches. En résultent des images très impressionnantes, avec des femmes au physique complètement disproportionné. 


La jambe gauche de Nathalie après la lipossuccion, la jambe droite avant
 
La lipossucion, pas forcément efficace, mais envisageable dans certaines conditions

Suivant l'exemple d'Emmy, la youtubeuse, Isabelle a décidé d'aller se faire opérer en Allemagne. Elle a subi une première opération de liposuccion dans une clinique privée de Mülheim, près de Düsseldorf, qui s'est spécialisée dans la liposuccion pour patientes atteintes de lipoedème. Une activité hautement lucrative. La séance coûte 6.000 euros. Chaque patient doit en faire trois ou quatre et Nathalie a dû prendre dans ses économies. Pour un résultat probant ? "L'opération s’est bien passé mais j'ai plein de bleus", confie-t-elle. Elle devra maintenant patienter 1 an pour voir l'état définitif de ses jambes, lui ont précisé les chirurgiens. Elle a également dû acheté une paire de bas de contention sur mesure à 400 euros.

Pour notre lymphologue, le succès de cette clinique allemande est avant tout marketing. En Belgique comme en France, tous les chirurgiens plasticiens sont formés et font très bien des liposuccions, estime-t-il. La technique n'est pas très compliquée et le matériel est le même, ajoute-t-il. "L'herbe est toujours plus verte ailleurs", dit-il. 

Jean-Paul Belgrado a affaire à des patientes atteintes de lipoedème qui ont subi une liposuccion et qui, deux ans après, ont perdu tous les bénéfices de celle-ci. Le gonflement des jambes est parfois même devenu pire. Il explique cela par le fait que dans l'opération de liposuccion, il n'y a pas que des graisses qui sont aspirées, mais aussi beaucoup de liquide, qui revient peu à peu. De plus, l'intervention doit se centrer sur les hanches, les fesses, la partie externe des cuisses mais ne pas toucher la partie la interne des cuisses qui contient de nombreux collecteurs lymphatiques. Sinon, les canules utilisés par le chirurgien les abîment et aggravent la situation.

Une patient avant-après son opération de liposuccion


L'Inami rembourse un traitement dans certaines conditions

 "Cette maladie douloureuse  physiquement et psychologiquement n'est pas prise en charge en Belgique car considérée comme de la chirurgie esthétique", s'indigne Nathalie. Si l'INAMI ne rembourse pas de telles opérations pour les patientes atteintes de lipoedème, l'organisme peut intervenir dans le remboursement d'un traitement. Les médecins doivent prouver que leur patient souffre d'un problème lymphatique. Vingt séances par an, dans un centre d'expertise, sont remboursées. Les patientes y sont prises en charge de façon multidisciplinaire, par un dermatologue, un médecin, un psychologue, une équipe de kinésithérapeutes. La patiente a également le droit à 18 séances chez des kinésithérapeutes qui maîtrisent les techniques de bandage.

En effet, des bandages savamment conçus permettent de soulager les douleurs causées par le lipoedème. Lorsqu'ils sont bien placés, et que la patiente fait des exercices physiques en les portant, ces bandages génèrent une pression qui va favoriser l'évacuation des fluides qui étaient en excès. C'est ce qu'elles font dans les centres de traitement. "On essaye d'autonomiser nos patients, on fait des ateliers où on leur apprend à mettre ces bandages. Et puis chez elles, elles font du rameur, du vélo…", explique Jean-Paul Belgrado. Après ces exercices, le patient doit porter le plus souvent possible des bas de contention sur mesure.

L'aquagym, ou simplement le fait de marcher en mer, sont des activités particulièrement recommandées pour ces patients. "Il y a une pression qui est générée par la colonne d'eau et lorsqu'on bouge, on a des variations de pression et donc un effet massage qui est assez extraordinaire", explique le spécialiste. L'effet est encore amélioré par le port d'une combinaison de plongée. "Cela les aide vraiment beaucoup", remarque-t-il.

L'aspect psychologique de la prise en charge est essentiel. Ces patientes, qui ont souvent fait beaucoup d'efforts sans parvenir aux résultats qu'elles espéraient, ont besoin d'être soutenues.  "Ces femmes se mettent parfois à pleurer pendant les consultations, constate Jean-Paul Belgrado. Elles disent 'enfin quelqu'un qui nous écoute, qui nous croient, qui respecte notre problématique'". Et le lymphologue de conclure : "L'aspirine, on ne l'a pas encore, mais on n'est pas sans traitement pour ces personnes".

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