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Le Conseil d’État a estimé qu'un lieutenant-colonel a été injustement renvoyé de l'armée. En cause : des propos de la ministre de la Défense de l'époque, Ludivine Dedonder. Selon elle, "on joue sur les mots".
Le Conseil d'État a tranché : un lieutenant-colonel, condamné pour agression sexuelle, a été injustement renvoyé par l'armée belge. La sanction disciplinaire est donc annulée.
En 2020, ce militaire, alors proche de la pension, occupe la fonction la plus élevée au sein d'un poste de l'armée belge en Allemagne. Lors de sa fête d’adieu, marquée par une grande quantité d’alcool, il propose à une jeune caporale de la raccompagner. Au lieu de cela, il la conduit chez lui et l'agresse. La soldate déposera plainte.
Cette plainte a abouti, l'homme a été condamné par la cour d'appel de Liège à une peine de deux ans de prison avec sursis pour agression sexuelle.
Contactée, Ludivine Dedonder, ancienne ministre de la Défense, rappelle sa politique : "Un comportement à l'égard d'une femme ne doit pas être pris à la légère. En tant que militaire, on se doit d'être exemplaire. C'était vraiment le fil conducteur et j'ai vraiment pris ça à bras-le-corps. J'ai toujours adopté la même attitude envers toutes et tous sur cette tolérance zéro et sur les mesures qui en ont découlé". Une enquête disciplinaire a été lancée à l'encontre de ce lieutenant-colonel.
Quelques mots qui ne passent pas
Seulement, en 2022, est diffusé un reportage de l'émission "Terzake" de la VRT. Celui-ci fait état de comportements inappropriés au sein de la Défense. Le cas de la caporale impliquée est présenté. Le lendemain, Ludivine Dedonder, déclare au parlement : "En tant que ministre et en tant que femme, j’ai été très touchée par le témoignage émouvant de la militaire".
La Défense imposera finalement la sanction disciplinaire la plus lourde : le licenciement. "Étant donné que les faits étaient avérés, on s'est dit que ce n'est plus compatible avec la fonction de militaire", réagit-elle.
Seulement, la phrase prononcée par Ludivine Dedonder fait réagir l'intéressé, son avocate saisit le Conseil d'État. L'annulation de la sanction est obtenue. Pour la juridiction, les propos de la ministre Dedonder ont violé "le principe général d'impartialité" et "sont intervenus avec un parti-pris de nature à compromettre la sérénité ou l'objectivité de la procédure disciplinaire". Le lieutenant-colonel est théoriquement réintégré, bien qu'il soit désormais pensionné.
C'est vraiment jouer sur les mots
La décision du Conseil d'État est-elle étonnante ? Pas tellement pour Alexandre Pasternostre, avocat spécialisé dans la fonction publique. Un ministre de la Défense ayant un pouvoir décisionnel important dans les sanctions militaires, la décision est logique : "Par les déclarations qu'elle a faites à la télévision, elle laisse penser qu'elle a peut-être été influencée dans son jugement, qu'elle n'a pas cette impartialité. Peut-être est-elle trop dans l'empathie avec la victime, et par conséquent, elle n'a peut-être pas la distance nécessaire que pour prendre une décision en toute impartialité", expose l'avocat.
"C'est jouer d'astuces juridiques. Je trouve que c'est malheureux", répond-elle. La députée socialiste estime qu'on "joue sur les mots". "Être touché par le témoignage ne veut pas dire, pour autant qu'on prend une action ou l'autre", se défend-elle. "C'est vraiment jouer sur les mots en prenant un avocat qui a l'habitude de travailler avec le Conseil d'État pour lui permettre cette réintégration".
La décision du Conseil d'État est tombée lorsque Ludivine Dedonder était encore en charge de la Défense. La ministre a choisi de ne pas relancer le dossier : "C'est parce qu'il est tombé à la pension que je n'ai pas continué la procédure, que je n'ai pas réintroduit une demande, sinon, je l'aurais fait, vraiment", insiste-t-elle. "Ça n'avait plus aucun sens, finalement, pour l'armée. Il n'était plus quelqu'un qui pouvait avoir ce type de comportement dans l'armée ".