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Quatre-vingts ans après la libération d'Auschwitz-Birkenau, symbole du Mal absolu, des survivantes des camps d'internement, de concentration et d'extermination ont accepté de témoigner. Elles ont survécu, vécu, fondé des familles et comptent transmettre, jusqu’au bout, contre l'oubli. Au crépuscule de leur existence, elles ont répondu à ces questions vertigineuses : que fallait-il dire de leur déportation, qu’ont-elles pu transmettre, que deviendra cette mémoire quand elles auront disparu, quelles sont leurs craintes et leurs espoirs pour ceux qui vivront après eux ?
Quatre-vingts ans après la Shoah, les témoins capables de raconter les horreurs de l'Europe nazie s'amenuisent. Alors, t'en qu'ils sont encore là, ces anciens prisonniers veulent partager leurs expériences et ce qu'ils ont vécu.
Ginette (99 ans), Julia (99 ans) et Evelyn (86 ans) ont toutes les trois connu l'enfer des camps nazis. "On ne peut pas trouver les mots exacts pour décrire ce que l'on a subi dans les camps", raconte Ginette.
"J'ai eu la chance d'avoir la gale au mois de novembre 44. Si j'avais eu la gale au mois d'août 44, c'était la chambre à gaz. Tu as la gale et "tchouk" : les chambres à gaz. Donc, j'ai eu la chance qu'on me mette dans une nouvelle baraque pour me soigner. En fin de compte, ce n'était pas la gale, c'était la saleté, c'était la crasse. Jamais je ne m'étais lavé depuis que j'étais arrivée dans le camp", témoigne-t-elle encore.
Evelyn aussi s'est lancée dans l'exercice de la transmission de parole. "J’ai décidé en 2015, que comme je fais partie de la toute dernière génération, qu'il fallait que je raconte. Et donc maintenant, je raconte, j'écume les écoles de France. Je n'avais rien fait. Je n'avais tué personne, je n'étais pas en guerre, mes parents non plus, et on a voulu me tuer juste parce que je suis juive et donc c'est pour ça que je le raconte.". Quant à son expérience, c'est l'histoire d'une petite fille perdue au milieu de l'horreur qu'Evelyn raconte : "J’étais petite, c'était entre 4 ans et demi et 6 ans et demi, et j'avais peut-être une faculté de, quand c'était trop compliqué, trop dur, de me mettre dans une bulle et de ne plus être là."
Julia, elle, trop touchée par ses souvenirs, craque et ne parvient pas à poursuivre. "Ça a duré longtemps Birkenau. C'est trop dur à raconter la déportation", dit-elle en larmes.
Au-delà des écoles, ces femmes ont partagé leurs vécus avec leurs familles. Pour Frankie Wallach, petite-fille de Julia, ce passage de témoin d'une génération à l'autre est capital. "Ce qui restera de cette mémoire quand il n'y aura plus de survivants, c'est les traces de ce qu'ils ont laissé, eux, c'est-à-dire des films, des écrits, des livres, des vidéos, tous leurs témoignages, il ne restera plus que ça. Parce que notre parole, ce n'est pas la même que la leur. Donc, les générations d'après, c'est très important qu'on soit là et qu'on puisse raconter. C'est pour ça que je suis très contente qu'elle ait écrit un livre. Moi, j'ai réalisé un film dans lequel elle joue, où elle raconte son histoire. Donc, d'avoir toutes ces traces-là, il y a des interviews qui sont sur Internet, qui se trouvent. Et d'avoir cette trace de sa parole, je pense que c'est très, très important."
Ces témoignages sont un élément essentiel de la mémoire collective, mais ils ne sont pas tout. Pour Richard Kolinka, le fils de Ginette, "il faudrait que tout le monde aille là-bas (à Auschwitz, ndlr) voir ce que c'est que l'horreur, la haine. Il n’y a même pas de mots parce que ce n'est même pas pensable. Et puis ça continue aujourd'hui... De toute façon, ça a toujours existé et malheureusement, je crois qu'on est une sale race. Nous, les hommes, on est vraiment des cons."
Pour conclure, Evelyn fait une confidence : "Ma génération pensait, quand on avait 14, 15, 16 ans, que nous, on ferait un monde sans guerre. Bon, c'est complètement râpé. Il y en a beaucoup. Mais j'espère qu'on n'ira plus jusque-là."