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"Mes parents m'ont confisqué les boîtes": Amandine passe son blocus sous Rilatine, un médicament dérivé d'amphétamines

Depuis plus de 20 ans, la Rilatine attire l'attention. Prescrite pour traiter des troubles de l'attention, elle est détournée par des étudiants cherchant à booster leurs performances, devenant ainsi une "drogue du blocus". Mais quelles en sont les conséquences, et ce détournement est-il vraiment dangereux ? 

Pour les étudiants, la session d’examens est souvent synonyme de nuits blanches et de stress. Mais depuis quelques années, une petite pilule, la Rilatine, s’est glissée dans certains répertoires de survie. Conçue pour traiter les troubles de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH ou TDA), elle est également utilisée, parfois sans prescription, comme stimulant cognitif. 

En 2019, l’Agence fédérale des médicaments et des produits de santé (AFMPS) révélait que 8 % des étudiants ont testé des stimulants cognitifs au moins une fois. Parmi eux, 90 % ont choisi la Rilatine. Une étude de l'Université d'Anvers (2015-2018) montre aussi qu’un étudiant sur douze consomme cette substance sans diagnostic de TDAH. Principalement obtenue via des amis (50 %), elle est parfois prescrite par des médecins (21 %) ou échangée au sein des familles (17 %).

"J’ai travaillé toute la nuit sans ressentir de fatigue"

Amandine, étudiante à Namur, fait partie des 52% d'étudiants à l'avoir testé pour rester éveillée. En août 2023, face à des examens de rattrapage et un moral à zéro, elle accepte une demi-pilule offerte par une amie sous traitement : "Il me restait trois examens à passer, et je n’y arrivais plus. J’avais tellement de retard que je ne savais même pas par où commencer.

Je n'ai dormi qu'une heure

Un peu sceptique au départ, elle accepte finalement de prendre une demi-pilule de Rilatine."Très vite, j’ai senti la différence. Je n’ai jamais été aussi concentrée. J’ai travaillé toute la nuit sans ressentir de fatigue. Finalement, je n'ai dormi qu'une heure", raconte-t-elle. Cette première prise lui "permet de sauver cette session" : deux examens réussis sur trois.

Encouragée, Amandine consulte son médecin pour une prescription officielle avant le blocus de décembre : "Il m’a prescrit une dose légère (10 mg), et j’ai décidé de ne pas dépasser un demi-comprimé le matin et un autre l'après-midi".

Les inquiétudes parentales face à la Rilatine

Rapidement, elle se rend compte que la Rilatine n’est pas seulement un outil pour ses études, mais aussi une forme de sécurité mentale. "Avoir le médicament à côté de moi me rassurait. Je me disais que si je n’y arrivais pas, il suffirait d’en prendre, et tout irait mieux", explique l'étudiante de 22 ans. 

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Image d'illustration d'une boîte de Ritaline le mercredi 13 mai 2015 à Bruxelles. ©BELGA PHOTO

Mais son entourage comment à s'inquiéter, notamment ses parents. "Ils ont décidé de confisquer les boîtes de Rilatine", ce qui provoque son mécontentement. "Je leur en ai voulus comme jamais. J’ai fouillé partout pour la retrouver. Je ne leur parlais plus. À ce moment-là, je pensais qu’ils voulaient que j’échoue." Avec du recul, Amandine s’interroge sur cette réaction. "Je ne sais pas si c’était un effet secondaire du médicament", dit-elle.

"Je ne peux pas faire un blocus sans": une dépendance ?

Téo (prénom d'emprunt), diagnostiqué TDAH depuis l’adolescence, décrit une autre réalité. Il utilise la Rilatine depuis ses 14 ans. Aujourd’hui en fin de cursus universitaire, il consomme "entre trois et quatre boîtes par an, exclusivement pendant les périodes d’examens".

Bien qu’il la considère indispensable pour se concentrer, il avoue une certaine ambivalence : une forme de "dépendance" au médicament. "Je ne peux pas faire un blocus sans la Rilatine. Une journée sans le médicament, je pourrais, mais je ne serais pas du tout productif."

On parle quand même d’une drogue

Il admet ressentir des effets secondaires tels que la nervosité ou la perte d’appétit. "Après en avoir pris, je me sens asocial et de mauvaise humeur", ajoute l'étudiant. 

Téo est obligé d'utiliser la Rilatine, suite à son TDAH, mais en recommande une utilisation prudente : "Je conseillerais aux autres de n’en prendre qu’en dernier recours. On parle quand même d’une drogue au final."

Des expériences différentes pour Claire, Maurine et Inès

Claire (prénom d'emprunt), sans diagnostic, a décidé d’essayer la Rilatine après en avoir obtenu via son petit ami, traité pour TDAH. Elle avait perdu toute motivation pour ses examens : "Il m’en a passé quelques-unes, et j’ai été hyper concentrée pendant des heures. J’avançais vite sur mes travaux, c’était incroyable.". Mais les effets secondaires étaient lourds : "des migraines à se taper la tête dans le mur", "beaucoup de mal à dormir" et une soif incessante. Malgré tout, elle n’a jamais consulté un médecin, par "honte".

En revanche, pour certains étudiants, la Rilatine est considérée comme indispensable. En effet, souffrant de TDAH, comme Téo, ils ne peuvent pas s'en passer pour leurs examens.Maurine, diagnostiquée elle aussi avec un TDAH, a découvert la Rilatine lors de son master. Sceptique au début, elle est aujourd’hui convaincue : "J’avais peur que cela me change ou m’apaise trop. Désormais, je fais en une demi-journée ce qui me prenait une journée entière." 

Cela m’aide simplement à fonctionner comme une personne "normale"

Ines, récemment diagnostiquée avec un TDA (trouble déficitaire de l'attention), est suivie médicalement pour surveiller sa tension et son poids, consciencieuse face aux possibles effets secondaires. "Pour moi, cela m’aide simplement à fonctionner comme une personne 'normale'", témoigne-t-elle. Elle met en garde contre l’automédication et le risque d’abus : "Le médicament n’a pas le même effet sur quelqu'un qui n’a pas de troubles, et cela peut entraîner des problèmes de santé."

Un cousin éloigné... des amphétamines

Le principe actif de la Rilatine, c'est le méthylphénidate. Un composé qui appartient à la même famille que… l'amphétamine ! Un mot qui évoque bien souvent des drogues comme le "speed" ou le "crystal meth".Ces stupéfiants sont utilisés pour leurs effets stimulants, ils peuvent entraîner une forte dépendance et causer des dommages graves à la santé, notamment des troubles psychiques et physiques.

Certes, le méthylphénidate partage des similitudes avec l’amphétamine, mais le risque de dépendance est beaucoup moins élevé. Ce n’est pas pour autant un produit anodin. Classé comme stupéfiant dans de nombreux pays, son usage est strictement réglementé.

"Ça permet une meilleure focalisation de l’attention"

La Rilatine "augmente la vitesse de traitement de l’information et permet une meilleure focalisation de l’attention", explique Adrian Ivanoiu, neurologue et professeur à l’Université Catholique de Louvain-la-Neuve. Principalement prescrit aux enfants atteints de TDAH, le médicament favorise une maturation cérébrale qui leur permet de mieux canaliser leur attention.

C’est un médicament classé comme stupéfiant

Il insiste donc sur la nécessité de consulter un médecin : "C’est un médicament sous prescription, classé comme stupéfiant. Je déconseille vivement de l’acheter sur Internet." Lorsqu’elle est détournée, la Rilatine peut devenir problématique. Selon lui, une utilisation prolongée peut entraîner des effets secondaires importants : agitation, insomnie, nausées, hypertension… et dans certains cas, addiction.

Une addiction est-elle possible ? "C’est un des premiers signes"

Le docteur Olivier Theuerkauff, psychiatre au CHU Brugmann, explique cela : "la Rilatine agit comme un psychostimulant en augmentant la concentration de dopamine dans le cerveau", plus précisément dans le circuit de la récompense. "Cela peut entraîner un sentiment de dépendance, surtout si la personne ressent un mal-être lorsqu’elle n’en prend pas. C’est un des premiers signes d’addiction", précise-t-il.

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Image d'illustration montre le dépliant d'information sur la Ritaline le mercredi 13 mai 2015 à Bruxelles. ©BELGA PHOTO

"L’état de bien-être après la prise pousse à en reprendre, souvent à des doses croissantes", ajoute le Dr Ivanoiu. Une utilisation prolongée peut donc entraîner l'addiction, mais aussi des dépressions, des tendances suicidaires ou même des psychoses. 

Toutefois, "une utilisation limitée pendant les examens n’a pas montré d’altération durable", rassure le neurologue. Pour minimiser les risques, le Dr Theuerkauff recommande de respecter certaines règles : "Ne pas augmenter les doses, limiter la durée d’utilisation, maintenir un bon rythme de sommeil, s’hydrater correctement, éviter les substances psychotropes et consulter un médecin avant toute prise."

Une hausse de l’utilisation du méthylphénidate en Belgique

Selon les données de l’INAMI (Institut national d’assurance maladie-invalidité), l’utilisation de médicaments à base de méthylphénidate, comme la Rilatine, continue d’augmenter en Belgique. Entre 2019 et 2022, le nombre de patients ayant bénéficié d’un remboursement pour ces traitements est passé de 32.722 à 36.297.

Les enfants de 6 à 11 ans ont une utilisation stable, autour de 13 000 patients par an. Mais l’usage chez les jeunes adultes (18-23 ans) a augmenté, atteignant 2 577 patients en 2022. Malgré une augmentation continue de son utilisation en Belgique, notamment chez les jeunes adultes, les professionnels de santé alertent sur les risques associés à un usage non médical : effets secondaires, addiction et complications sur le long terme.

Avant toutes prises, il est important de respecter les prescriptions et de consulter un médecin.

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