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Des rencontres entre musulmans et chrétiens perturbées par des catholiques identitaires, une tribune sur le "nouvel antisémitisme" qui suscite les protestations de musulmans: le dialogue interreligieux montre des signes de crispations. Mais voit aussi fleurir des initiatives pour maintenir le lien entre les cultes.
Début mai, à la basilique du Sacré-Coeur à Paris, une trentaine de manifestants intégristes se sont mis à entonner des "Je vous salue Marie" pour perturber une rencontre célébrant la figure de la mère de Jésus, présente à la fois dans les Évangiles et dans le Coran.
Les participants ont fait contre mauvaise fortune bon cœur. "Une poignée d'extrémistes chrétiens a voulu perturber (la soirée) en vain, demandant aux chrétiens de nous convertir au christianisme s'ils nous aiment. Public et organisateurs leur ont opposé retenue et amour", a réagi sur Twitter le théologien musulman Mohamed Bajrafil.
L'incident a provoqué une certaine émotion chez les fidèles, d'autant qu'il n'était pas isolé: des perturbations comparables ont déjà eu lieu à Lyon ou Bordeaux.
Mais il aura aussi suscité une réponse inédite: deux étudiants ont lancé "une tribune pour le dialogue interreligieux" publiée dans le quotidien La Croix et signée par plus de 200 jeunes catholiques engagés dans des aumôneries, en paroisses, dans des mouvements scouts ou associatifs.
"Nous ne voulons pas éluder les difficultés dans le dialogue mais rappeler qu'il est nécessaire. Avec 236 signatures, c'est la preuve que les jeunes qui croient au dialogue sont bien plus nombreux que ceux qui font des coups médiatiques au Sacré-Coeur", indique à l'AFP Lucie Roche, à l'origine de la pétition.
Les signataires admettent succomber parfois eux "aussi à la peur de l'altérité qui traverse la société" mais refusent de s'"arrêter à cette peur".
L'inquiétude est bien réelle dans les rangs chrétiens, sur fond de sentiment de déclin face à un islam jugé en expansion.
Selon une enquête de l'institut américain Pew, menée mi-2017 et publiée cette semaine, 45% des chrétiens pratiquants en France sont d'accord avec l'idée que "l'islam est fondamentalement incompatible avec la culture et les valeurs de (leur) pays". La tendance est marquée chez les catholiques qui, malgré les appels à l'accueil et au dialogue du pape François, ont, pour 23% d'entre eux, "l'impression d'être étrangers dans leur propre pays en raison du grand nombre de musulmans", selon cette étude.
- "Postures idéologiques" -
"Les identitaires surfent sur un questionnement réel dans l'opinion publique. Ce courant existe dans l’Église catholique en France et est aujourd'hui assez actif", relève le Père Vincent Feroldi, responsable des relations avec les musulmans à la Conférence des évêques de France. Des associations, comme la Mission Angelus, conçoivent la relation avec les musulmans comme une mission de conversion au Christ, dans une démarche très critique envers l'islam, souvent décrit comme intrinsèquement porteur de violence.
Mais pour ce prêtre, "la meilleure manière de faire tomber les peurs c'est justement d'aller à la rencontre des autres, plutôt que de s'enfermer dans des postures idéologiques".
La question du dialogue à relancer interpelle aussi les leaders d'opinion musulmans et juifs.
A l'heure d'une recrudescence des tensions israélo-palestiniennes et des polémiques liées à la désignation d'un "nouvel antisémitisme" musulman, la femme rabbin Delphine Horvilleur et l'homme de théâtre Ismaël Saïdi, auteur de la pièce sur la radicalisation "Jihad", ont lancé vendredi un "Shabbadan" inédit. La rencontre du "shabbat" et du "ramadan" pour réunir juifs et musulmans autour d'un même office de prières et de chants - certains en arabe - puis d'un repas commun.
"La rupture du jeûne et l'entrée en shabbat sont deux moments qui se déroulent au coucher du soleil: dans l'obscurité, on se dit que quelque chose peut se produire", explique à l'AFP Delphine Horvilleur, hôte du premier "shabbadan" dans sa synagogue libérale du XVe arrondissement de Paris.
Avec des personnes qui "font bouger les lignes de leurs affiliations identitaires", "on a la possibilité d'incarner autre chose: ça passe par de petites initiatives, il y aura toujours des gens pour dire que c'est de la naïveté, du déni... Moi je crois qu'il ne faut pas écouter ça, et qu'il faut agir", explique-t-elle.