Accueil Actu Magazine Culture

Le Titanic victime d’une bactérie mangeuse de fer : dans combien de temps va-t-il disparaître ?

Par RTL info avec Luc Gilson
C’est arrivé un jour, le 1er septembre 1985, il y a donc 40 ans : la découverte de l’épave du plus célèbre paquebot au monde, le Titanic. Philippe Delaunoy, coordinateur international de la British Titanic Society, nous en dit plus dans le videocast de Luc Gilson. Avec cette question : de combien de temps les scientifiques disposent-ils encore pour étudier l’épave, sachant qu’elle est rongée par une bactérie qui porte son nom.

Le Titanic a coulé en 1912. Il aura donc fallu attendre 73 ans avant qu’on retrouve cette épave. « 73 ans pour que la technologie nous permette d’atteindre ces profondeurs », explique le spécialiste. En réalité, « dès les mois qui suivirent le naufrage, il y avait déjà eu des tentatives ou en tout cas des familles de passagers qui avaient demandé à certaines sociétés d’étudier la possibilité d’aller récupérer des corps ou des effets personnels. Évidemment, à cette époque, il était impossible de descendre à 3820 mètres de fond. Le début de l’exploration des grands fonds marins de manière moderne débute au début des années 50 avec Auguste Piccard qui crée son premier bathyscaphe. Et donc, il faut attendre tout ce temps-là pour que la technologie nous permette d’atteindre ces grands fonds. »

Cherché pendant des décennies au mauvais endroit ?

Photo du Titanic conservée à Belfast en 2014
Photo du Titanic conservée à Belfast en 2014 - Anton Ivanov / Adobe Stock

Autre problème, il fallait le trouver ce Titanic. On l’avait cherché en vain pendant des décennies et on raconte que les coordonnées qui ont été communiquées par les télégraphistes à bord du Titanic au moment où il est en train de couler n’étaient pas les bonnes. « Comme dans tout ce qui concerne le Titanic, il y a un peu de vrai et de faux », relativise Philippe Delaunoy. « Il y a des gens qui s’attardent aujourd’hui à remettre les choses dans l’ordre, que les coordonnées calculées par le quatrième officier Boxhall étaient en fait correctes et que la différence de localisation entre ces coordonnées et les coordonnées de l’épave sont simplement dues à la dérive de l’épave quand elle a coulé. »

Deux sous-marins nucléaires étaient l’objectif premier de la mission, pas le Titanic

Robert Ballard en 1986, menant 9 mois après sa découverte de l’épave une mission de photographie de celle-ci à bord d’un petit submersible appelé Alvin
Robert Ballard en 1986, menant 9 mois après sa découverte de l’épave une mission de photographie de celle-ci à bord d’un petit submersible appelé Alvin - Woods Hole Oceanographic Institution / AFP

En septembre 1985, c’est finalement une expédition franco-américaine, dirigée par un certain Robert Ballard (photo), qui va découvrir l’épave. On apprendra par la suite, en 2008, qu’en réalité, c’était d’abord une mission militaire. « Ballard attend un certain temps avant de pouvoir parler, simplement parce qu’en effet, il est sous contrat avec l’US Navy pour la recherche de deux sous-marins nucléaires américains qui avaient disparu au large de Terre-Neuve, donc pas très loin de l’épave du Titanic. Et donc, Ballard est missionné par l’US Navy pour aller récupérer ces deux sous-marins dont l’un était suspecté d’avoir été coulé par un sous-marin soviétique. Donc, dans un contexte de guerre froide, le secret militaire là tout autour, Ballard avait le deal qu’une fois qu’il avait terminé ses recherches sur les sous-marins, il pouvait s’adonner à la recherche du Titanic. Et c’est ce qui s’est passé. »

C‘est vers la fin de cette plage de recherche supplémentaire qu’il a finalement découvert l’épave. « C‘est une combinaison, une collaboration, entre les Américains et les Français d’Ifremer. Pendant que Ballard cherchait les sous-marins, Ifremer avait déjà sondé 75-80 % de la zone d’exploration, mais n’avait rien trouvé. Ballard, en ayant terminé avec ses recherches militaires, se met à la recherche du Titanic avec son système Argos et découvre pour la première fois une chaudière, ce qui mène à l’épave. »

Les survivants n’étaient pas d’accord entre eux : coupé en deux ou non ?

Dessin non daté de la scène où le Titanic sombre dans l’Atlantique selon les souvenirs de certains survivants de l’époque
Dessin non daté de la scène où le Titanic sombre dans l’Atlantique selon les souvenirs de certains survivants de l’époque - AFP

Cette découverte est importante et historique parce qu’elle a permis de comprendre ce qui s’est réellement passé et notamment comment il a coulé. Parce que tout le monde n’était pas d’accord là-dessus. « Tout ce qu’on avait pour comprendre comment le Titanic avait coulé, c’étaient les commissions d’enquête et les témoignages des passagers et des membres d’équipage, des officiers qui ont survécu. Et là, on se retrouvait face à deux versions. Certains disaient que le Titanic avait coulé en un morceau et d’autres disaient qu’il s’était brisé en deux. Aucune manière de pouvoir départager le vrai du faux sans retrouver l’épave. Et Ballard constate en effet que l’épave, la coque, est divisée en deux. »

En fait, la proue, l’avant, et la poupe, l’arrière, sont séparés sur le fond marin de « 600 mètres, plus ou moins », ce qui prouve bien qu’ils ont coulé séparément et donc que le bateau s’était coupé en deux à la surface. « On estime que la poupe a sombré une vingtaine de minutes après la proue. »

Retrouvé grâce aux débris libérés car il s’est coupé en deux

Scanner digital de la proue du Titanic réalisé par Atlantic/Magellan et publiée le 19 mai 2023, faisant partie du tout premier scanner 3D de l’épave
Scanner digital de la proue du Titanic réalisé par Atlantic/Magellan et publiée le 19 mai 2023, faisant partie du tout premier scanner 3D de l’épave - Atlantic/Magellan / AFP

Puisque le bateau s’est scindé en deux à la surface, il y a énormément de débris qui ont coulé. Et c’est pour ça qu’on retrouve un véritable champ de débris, de plein d’objets, au fond de l’océan, entre justement cette poupe et cette proue. C’est ainsi que les Américains parviennent à découvrir d’abord une chaudière avant le reste du bateau. « C’est un peu la différence de technologies utilisées entre les Français et les Américains. Les Français vont utiliser un sonar, ils n’auront rien trouvé. Les Américains, eux, vont tirer un espèce de traîneau muni de caméras en espérant trouver ces débris qui se sont éparpillés lorsque le Titanic s’est brisé et c’est ce qu’ils vont faire. »

Remonter ou non les objets ? Une grande règle doit être respectée

Scanner digital de la poupe du Titanic réalisé par Atlantic/Magellan et publiée le 19 mai 2023, faisant partie du tout premier scanner 3D de l’épave
Scanner digital de la poupe du Titanic réalisé par Atlantic/Magellan et publiée le 19 mai 2023, faisant partie du tout premier scanner 3D de l’épave - Atlantic/Magellan / AFP

Tout le monde a entendu parler de ces fameux objets du Titanic parce que dès 1987, on a commencé à les remonter progressivement. On en a remonté « plus de 5 000 apparemment » à ce jour. Mais il y a eu et il y a toujours un débat : peut-on remonter des objets du Titanic sachant que c’est une sépulture ? On rappelle quand même qu’il y a eu 1 500 victimes. « J’ai assisté à certaines conférences en Angleterre, notamment dans le cadre de la fameuse construction du Titanic chinois qui a avorté, où il y avait des descendants parfois de 2, 3, 4 générations de marins et ces gens-là sont très attachés au fait qu’on ne touche pas au Titanic et donc ils voient d’un très mauvais œil l’exploration, le fait que certaines personnes aillent se marier sur le Titanic, le fait qu’on remonte… »

Dans ces objets, il y a des morceaux du bateau, il y a parfois des effets personnels, des portefeuilles, une bouteille, un flacon de parfum. Mais il y a quand même une condition : une seule société peut remonter des objets du Titanic et à certaines conditions. « C‘est la RMS Titanic Incorporated qui a les droits sur l’épave et donc ils peuvent plonger, faire évidemment toutes les recherches historiques ou moins historiques autour du Titanic. Ils peuvent ramasser tout ce qu’ils veulent sur le fond, mais ils ne peuvent pas pénétrer à l’intérieur du navire et aller rechercher les effets personnels de monsieur ou de madame untel. Pas d’exploration invasive, on va dire. »

Un business qui détériore l’épave

Scanner digital de la poupe du Titanic réalisé par Atlantic/Magellan et publiée le 19 mai 2023, faisant partie du tout premier scanner 3D de l’épave
Scanner digital de la poupe du Titanic réalisé par Atlantic/Magellan et publiée le 19 mai 2023, faisant partie du tout premier scanner 3D de l’épave - Atlantic/Magellan / AFP

Depuis sa découverte, le Titanic est devenu une sorte de business. On pense notamment au film de James Cameron qui commence d’ailleurs par une exploration. James Cameron, le réalisateur, est d’ailleurs descendu lui-même plusieurs fois sur l’épave du Titanic. Il va y avoir des touristes qui vont aussi avoir envie de plonger sur le Titanic et ce n’est pas sans risque puisqu’on se souvient de l’accident il y a deux ans du Titan, ce sous-marin qui était aussi en exploration sur le Titanic. Certaines voix se lèvent pour demander que l’épave ne devienne pas une attraction touristique et « je peux comprendre cette position », déclare Philippe Delaunoy, « d’autant plus que par le fait qu’on cartographie beaucoup l’épave en trois dimensions, par laser, etc., on n’a pu prouver que ces explorateurs ou ces gens à la recherche de sensationnels détruisaient l’épave aussi. On a retrouvé des traces de sous-marins qui se sont posés sur le Titanic et qu’ils détériorent donc. Tout ça est sujet à beaucoup de cautions et en effet, c’est une sépulture donc ça mérite le respect. »

Halomonas titanicae : découverte grâce au Titanic mais amenée à le détruire

Scanner digital de la proue du Titanic réalisé par Atlantic/Magellan et publiée le 19 mai 2023, faisant partie du tout premier scanner 3D de l’épave
Scanner digital de la proue du Titanic réalisé par Atlantic/Magellan et publiée le 19 mai 2023, faisant partie du tout premier scanner 3D de l’épave - Atlantic/Magellan / AFP

En parlant de détérioration, il faut savoir que l’épave du Titanic n’est pas éternelle. Elle se détériore au fil du temps. On le voit d’ailleurs parfois sur certaines photos entre la découverte de l’épave en 1985 et aujourd’hui, 40 ans plus tard : il y a des morceaux qui sont tombés, comme la fameuse rambarde à l’avant du bateau qui avait inspiré une des scènes mythiques du film de James Cameron. Encore en bon état il y a 40 ans, elle s’est depuis partiellement effondrée.

On estime que le Titanic perd chaque jour entre 130 et 200 kg de fer. C’est en réalité dû à une bactérie qui dévore le fer du navire : « C‘est la Halomonas titanicae. Le Titanic lui a donné son nom car sa découverte est issue de la découverte de l’épave. On ne la connaissait pas avant, on n’en sait pas grand-chose. On ne sait pas si elle était dans l’acier au moment de sa construction et qu’elle s’est développée dans un milieu qui lui est favorable à cette profondeur-là, ou si elle était dans la région et sur le fond océanique et qu’elle a colonisé le Titanic. Mais donc elle ronge le fer. On dit que plusieurs centaines de kilos de fer par jour sont mangées par cette bactérie ce qui fragilise donc complètement l’épave qui va disparaître. » C’est inéluctable, même si « tous les 10 ans, on dit que dans 10 ans, il n’en restera pas grand-chose », relève le spécialiste, pour qui il y a tout de même une date butoir : « On estime qu’en 2050, il ne restera pas grand-chose ici. »

D’où la réalisation de cette cartographie 3D de l’épave pour « essayer de conserver comme un site archéologique, de conserver une photo figée du site comme il est maintenant, de pouvoir le comparer. Les campagnes d’exploration ont commencé en 1987, donc on est quand même quelques dizaines d’années plus tard, et de voir comment le navire se détériore pour juste en apprendre plus sur la manière dont une épave évolue. »

Contenus sponsorisés

À la une

Les plus lus