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Que cherche la France en reconnaissant un État palestinien ?

Par Sudinfo avec AFP
En annonçant jeudi soir la prochaine reconnaissance par la France d’un État palestinien, Emmanuel Macron espère enclencher une dynamique diplomatique pour entraîner d’autres pays et peser après un éventuel cessez-le-feu à Gaza, estiment des experts interrogés par l’AFP.

Partisan de la solution à deux États, dans la lignée de la position historique française, Emmanuel Macron a fait cette annonce à quelques jours d’une réunion de niveau ministériel sur le sujet, et avec en ligne de mire l’Assemblée générale de l’ONU en septembre à New York, en marge de laquelle la France espère la tenue d’un sommet.

Pourquoi maintenant ?

L’idée française initiale était de faire coïncider ce sommet avec plusieurs reconnaissances d’un État palestinien par différents pays, et des gestes de pays arabes vers une normalisation de leurs relations avec Israël.

« Cela fait des mois que la France travaille pour ne pas avoir une simple reconnaissance de l’État de Palestine. Il y avait par exemple l’hypothèse que l’Arabie saoudite normalise ses relations avec Israël en échange de la reconnaissance d’un État palestinien par un groupe important de pays », explique Amélie Férey, responsable du laboratoire de recherche sur la défense à l’Ifri (Institut français des relations internationales).

« Ces efforts n’ont pas abouti, donc la France ouvre la voie et espère que d’ici le sommet, il y ait d’autres reconnaissances (…) L’idée est de donner un peu plus d’un mois pour potentiellement rallier d’autres pays, pour faire une annonce plus grande à New York », analyse-t-elle, estimant que « le Royaume-Uni et le Canada pourraient peut-être suivre ».

À Londres, « la pression du Labour (parti travailliste, ndlr) sur le Premier ministre (Keir Starmer, travailliste lui aussi) s’intensifie », souligne Mujtaba Rahman, directeur Europe du cabinet d’analyse de risque Eurasiagroup, « mais le timing est bizarre avec Trump qui arrive ce soir (vendredi) en Écosse. Starmer sera réticent à le froisser alors qu’il y a encore des choses à négocier sur les droits de douane ».

La décision d’Emmanuel Macron n’est par ailleurs certainement pas étrangère à la situation française et internationale.

Après plusieurs mois d’hésitations et de tractations, « il a franchi le Rubicon et on a le sentiment que les circonstances ont dicté sa décision : la crise humanitaire à Gaza, les déclarations scabreuses de certains ministres israéliens (sur le sort qu’ils souhaitent réserver aux populations palestiniennes de Gaza, ndlr), et le climat politique en France, où Gaza a été instrumentalisé à la fois par la gauche radicale et par l’extrême droite », estime David Khalfa de la fondation Jean Jaurès et co-président du centre de recherche Atlantic Middle East Forum.

Un rôle après le cessez-le-feu ?

La France n’ayant pas de levier pour arrêter le conflit, « l’idée de Paris, c’est de laisser les États-Unis imposer un cessez-le-feu et que Paris soit un acteur important pour le jour d’après avec les Saoudiens », qui sont co-organisateurs de la réunion de la semaine prochaine à New York, décrypte Mme Férey.

« Paris et Ryad préparent une feuille de route, reprenant en partie certaines idées de la Ligue arabe, sur l’isolement et le désarmement du Hamas, des élections palestiniennes en 2026, un nouveau cadre de loi sur les partis, la perspective d’avoir un gouvernement technocratique, ou encore une mission de stabilisation sous l’égide de l’Onu, peut-être avec l’Égypte notamment », explique Camille Lons, chercheuse Moyen-Orient à l’ECFR.

« L’objectif est d’avoir un soutien des pays de la région sur l’isolement du Hamas, y compris du Qatar », estime-t-elle, mais aussi de proposer quelque chose de potentiellement acceptable par Washington.

« Ils analysent qu’il n’y a pas vraiment de réflexion aboutie (aux États-Unis, ndlr), donc que s’ils arrivent avec quelque chose de déjà préparé, cela peut entraîner au moins en partie un soutien américain. »

Est-ce crédible ?

« Il y a un décalage entre la déclaration et la réalité du terrain. On n’a jamais été aussi éloignés d’un État palestinien », relève M. Khalfa, avec un territoire détruit, pas d’autorité centrale, deux organisations palestiniennes antagonistes (Hamas et Fatah).

Mais cette reconnaissance « pose un horizon pour graver dans le marbre la solution à deux États qui est contestée par une part importante de la droite et l’extrême droite israélienne ».

« Israël n’est pas du tout en train d’aller dans la direction » compatible avec ces plans, souligne également Mme Lons : « On parle donc de choses assez détachées de la réalité. »

« Le but du gouvernement israélien, c’est qu’il n’y ait pas d’État palestinien », dit Amélie Férey, et concernant les Saoudiens, faire un geste de normalisation avec Israël « n’est pas du tout à leur agenda avec (Benjamin) Netanyahou au pouvoir », estime M. Khalfa.

L’idée est donc « de pouvoir garder les options sur la table le jour où il y aura une vraie alternative politique en Israël », selon Mme Lons.

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