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Julius Maada Bio monte sur scène et commence à se déhancher sur un tube d'afrobeats, sous les acclamations d'une foule de partisans vêtus du vert symbolique de son parti, sous la bannière duquel il a été réélu mardi pour cinq ans à la tête de la Sierra Leone.
Cette scène, comme d'autres capturées dans des vidéos largement partagées lors de rassemblements de campagne ces derniers mois, aurait paru invraisemblable il y a quelques années de la part de cet ancien putschiste de 59 ans, élu en tant que civil en 2018.
L'ancien soldat a encore gagné dès le premier tour face au même adversaire qu'en 2018, Samura Kamara, avec 56,17% des voix.
Aujourd'hui père de famille très attaché à l'éducation et à la cause des femmes, Julius Maada Bio a travaillé dur pour se refaire une image.
- Soucieux de son image -
"Bio est préoccupé par la façon dont sa présidence est perçue, en particulier à internationale, et son équipe de communication a cherché à organiser un récit qui amplifie ses aspects positifs et passe sous silence ses lacunes", estime l'analyste indépendant Jamie Hitchen.
Ses partisans saluent son bilan et vantent certaines de ses mesures phares présentées comme les plus progressistes de la région, comme l'abolition de la peine de mort, une loi sur l'égalité des sexes, un quart du budget consacré à l'éducation...
Dans la capitale Freetown, son visage orne les panneaux publicitaires pour annoncer la distribution gratuite de serviettes hygiéniques aux élèves. Il a aussi pris des mesures pour que les enfants vulnérables, y compris les jeunes filles enceintes, poursuivent leurs études.
Dans une récente interview avec l'AFP, M. Bio a déclaré qu'il donnerait la priorité à l'agriculture au cours de son second mandat et qu'il réduirait la dépendance à l'égard des importations de denrées alimentaires, alors que les Sierra-Léonais luttent contre une crise du coût de la vie.
Ses détracteurs dénoncent un rétrécissement de l'espace civique sous son pouvoir.
Le pays a perdu 28 places dans le classement mondial de la liberté de la presse 2023 fait par Reporters sans frontières.
Les organisations des droits humains lui reprochent un recours excessif de la force, notamment lors d'émeutes contre la vie chère en août 2022 lors desquelles six policiers et 27 civils ont été tués officiellement.
L'opposant Kamara est jugé pour corruption, dans une affaire qui a été rouverte juste après sa désignation comme candidat à la présidentielle.
M. Bio est originaire du sud, un bastion du Parti du peuple de la Sierra Leone (SLPP) qu'il dirige aujourd'hui. Son père, un chef local, est mort lorsqu'il avait quatre ans et il a été élevé par une mère analphabète, qui lui a inculqué selon lui le respect des femmes.
En 1992, il a participé à un coup d'État avec un groupe dont le chef, Valentine Strasser, est devenu le plus jeune chef d'État du monde à l'âge de 25 ans. Bio a été chef de la sécurité et adjoint de Strasser avant de le renverser en 1996 et de prendre brièvement la tête de l'État.
Il a accepté de se retirer trois mois plus tard pour laisser la place à un dirigeant civil élu et s'est excusé par la suite pour son rôle dans la junte.
- "Ambitieux" -
"Il faisait partie d'un groupe de militaires qui se sont frayés un chemin jusqu'au pouvoir", a déclaré à l'AFP le ministre de l'Information, Mohamed Rahman Swaray avant d'ajouter: "Il était convaincu que la Sierra Leone était plus importante que leurs aspirations personnelles".
M. Bio a pris sa retraite de l'armée et est allé étudier aux États-Unis.
Le ministre du Commerce, Edward Hinga Sandy, le décrit comme un président "très à l'écoute", "ambitieux" et "audacieux".
Selon le groupe de données de l'Institut pour la réforme de la gouvernance (IGR), M. Bio a réalisé 33,5% de ses promesses de campagne de 2018, notamment en matière d'aménagement du territoire, de logement, d'économie et d'éducation.
Il se décrit comme un homme peu bavard, qui cache souvent ses émotions.
Mais certains fardeaux semblent peser lourdement sur le dirigeant.
Joseph Kaifala, historien de la guerre civile de 1991-2002 durant laquelle Bio a été soldat puis membre de la junte au pouvoir, a un jour demandé au président s'il savait que la plus grande fosse commune identifiée en Sierra Leone se trouvait dans sa ville natale de Tihun.
Il a répondu : "Oui, je sais, ces gens ont été tués à cause de moi", a raconté M. Kaifala à l'AFP par téléphone.
"Le président Bio est un homme très stoïque... mais il a réussi à me faire comprendre à quel point cela l'avait affecté... et il croit vraiment au travail accompli par la Commission Vérité et Réconciliation" mise en place après la guerre pour enquêter sur le conflit.