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Par une soirée d'été caniculaire, des Chinois s'adonnent au "lancer d'oeufs", un jeu de cartes dont le nombre d'adeptes monte en flèche, au grand dam des autorités qui le considèrent comme un frein à la productivité.
Le jeu oppose deux équipes de deux joueurs qui doivent se débarrasser le plus vite possible de leurs cartes, grâce à des combinaisons appelées "bombes".
Ce mot en chinois ("dan") a une prononciation identique à celui que l'on traduit par "oeuf", qui est à l'origine du nom du jeu "guandan" (ou "lancer d'oeufs"), pratiqué dans certaines régions de Chine depuis les années 1960.
Mais il connaît un succès au niveau national seulement depuis l'an dernier, en raison des opportunités d'ascension sociale que ce passe-temps offrirait.
Selon les médias locaux, plus de 140 millions de personnes le pratiquent régulièrement, en particulier les hommes d'affaires et les fonctionnaires et autres personnes considérées comme influentes.
C'est une "bombe empoisonnée" pour leur travail, s'insurge la presse officielle qui multiplie les attaques à l'encontre du jeu ces derniers mois.
"Le guandan permet des interactions sociales", se défend Tang Songyuan, qui a ouvert en octobre dernier un club à Hangzhou, une métropole près de Shanghai où le géant du e-commerce Alibaba a son siège.
"Quand on joue, on le fait en buvant du thé et en discutant", souligne cet homme jovial de 60 ans, casquette sur la tête et vêtu d'un t-shirt blanc.
"Les échanges sont indispensables" durant une partie, insiste-t-il, moins convaincu par les versions sur téléphone portable où "manque" justement la convivialité.
- "Obsession" -
Son établissement, situé au 20e étage d'un immeuble moderne, compte une centaine de membres et dispose de plusieurs salles de jeu. Certaines offrent une vue nocturne imprenable sur le quartier d'affaires.
Cartes en éventail dans la main, des joueurs sont concentrés sur leur partie. Sur des tables de jeu sont disposés de petits automates blancs qui distribuent les cartes.
Le guandan, "c'est très amusant", déclare Qiu Zining, une joueuse "fascinée" par ce jeu et inscrite en club depuis tout juste un mois.
Les médias d'Etat sont d'une façon générale vent debout contre le "lancer d'oeufs", un jeu "immoral", "hors de la réalité", et qui nuirait à la productivité, à un moment où la reprise économique bat de l'aile.
"Certains affirment qu'il s'agit d'une forme saine et intellectuelle de divertissement", ironise la presse officielle.
Et de déplorer que ce jeu soit "la nouvelle obsession" de certains fonctionnaires, "une nouvelle compétence" recherchée par des entreprises ou "un nouvel amour", autrement dit de l'addiction, pour les jeunes.
Le "lancer d'oeufs" mérite "attention et vigilance", met en garde le quotidien Jeunesse de Pékin.
Mais dans son club, Tang Songyuan n'en a cure.
- "Un passe-temps" -
Son établissement organise des compétitions deux fois par semaine et des entraînements très régulièrement.
Les attaques de la presse officielle rappellent celles lancées contre le grand renoncement au travail, le concept "tangping" ("s'allonger sur le dos") apparu ces dernières années en Chine et voué en mode de vie par certains jeunes.
Le président chinois Xi Jinping, qui s'oppose personnellement au phénomène, a appelé dans le passé les jeunes générations à "manger amer", autrement dit à endurer les difficultés, à un moment où le chômage reste un obstacle majeur à la réussite.
Le guandan, "c'est un jeu très sain", balaye d'un revers de main Qiu Zining, la joueuse.
"C'est un loisir entre amis et on profite ensemble de la vie".