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Concours de beauté pour dromadaires à plusieurs millions, festivals XXL, motardes en Harley et projets immobiliers pharaoniques… L’Arabie saoudite de Mohammed Ben Salmane s’est métamorphosée en un temps record. Mais derrière cette façade ultra-moderne, le régime reste l’un des plus répressifs au monde.
Longtemps considéré comme l’un des pays les plus fermés et conservateurs du monde, l’Arabie saoudite change de visage. Riyad, la capitale, rivalise désormais avec Dubaï. Des gratte-ciel toujours plus hauts, des centres commerciaux luxueux, des parcs d’attractions, et même une piste de luge en plein désert, tout est fait pour donner une nouvelle image du royaume.
Les loisirs, longtemps inexistants, explosent. Après plus de 35 ans d’interdiction, les cinémas ont rouvert, les concerts sont autorisés, et les Saoudiens découvrent les blockbusters américains. Mais le wahhabisme oblige, certaines scènes restent censurées.
Il y a une censure, généralement liée à la nudité ou au sexe
"Il y a une censure qui s’applique à tous les films qui sortent dans le pays. Les autorités décident quelles scènes vont être coupées pour s’adapter à l’audience", explique Adon, un Australien qui dirige un cinéma à Riyad. "Généralement, toutes les scènes liées à la nudité ou au sexe, ce genre de choses."
Même la musique et la mixité, autrefois interdites, sont désormais encouragées. Lors du festival Riyadh Season, des milliers de Saoudiens assistent à des concerts de stars internationales, où des danseurs venus des États-Unis se produisent sans que cela ne choque le public.
"C’est une révolution qui se passe dans le pays ! Si Dieu le veut, la politique de Mohammed Ben Salmane va beaucoup nous apporter. Grâce à lui, on vit de mieux en mieux en Arabie saoudite", confie un spectateur.
Le divertissement en pleine expansion, mais à quel prix?
Mohammed Ben Salmane mise aussi sur une nouvelle industrie pour préparer l’après-pétrole : celle du divertissement. L’Arabie saoudite a investi plus de 3.000 milliards d’euros dans des projets aussi gigantesques qu’inattendus.
L’un des plus fous est Neom, une ville ultra-futuriste en plein désert, construite sur une ligne droite de 170 km, sans route, sans voiture et entièrement alimentée par des énergies renouvelables. "C’est un changement de civilisation, une révolution pour l’homme, qui place l’être humain au centre des priorités", vantait Mohammed Ben Salmane lors de la campagne promotionnelle du projet.
À Riyad, un projet tout aussi titanesque voit le jour : King Salman Park, qui ambitionne d’être le plus grand parc urbain du monde, cinq fois plus vaste que Central Park à New York.
Pourquoi est-ce que personne ne nous écoute ?
"Cela pourrait sembler impossible. Comment transformer un aéroport plat et désertique en une forêt luxuriante et prospère ? Nous allons tout d’abord modifier le paysage pour qu'il fournisse un abri contre le soleil et le vent. Puis nous allons créer un nouveau micro-climat qui permettra aux habitats naturels de prospérer", explique une vidéo promotionnelle du projet. Un million d’arbres vont être plantés, pour un coût total de 23 milliards de dollars.
Mais ces projets démesurés ont aussi un coût humain. Pour construire Neom, le gouvernement veut exproprier les 20.000 habitants de la région, dont certaines tribus bédouines refusent de partir.
"On est dans un pays civilisé, pourquoi est-ce que personne ne nous écoute ?", s’indigne un villageois. L’un d’eux, qui a tenté de protester en publiant des vidéos sur internet, a été tué par la police saoudienne lors d’une intervention musclée.
L’affaire Jamal Khashoggi: "Les Saoudiens sont réduits au silence"
Si l’Arabie saoudite s’ouvre au monde, c’est sous un contrôle total du pouvoir. Le régime de Mohammed Ben Salmane ne tolère aucune contestation. Les opposants politiques sont emprisonnés, la censure sur Internet est omniprésente et la liberté de la presse quasi-inexistante.
Lors d’un reportage, une équipe de journalistes a été suivie et surveillée en permanence. "Tout au long de notre séjour, nous serons encadrés et suivis par des membres du ministère de l'Information. Un tournage sous haute surveillance" , expliquent-ils.
L’exemple le plus marquant de cette répression reste l’affaire Jamal Khashoggi, journaliste saoudien en exil, connu pour ses critiques envers le prince héritier. En 2018, il a été assassiné et démembré au consulat saoudien d’Istanbul.
"C’est lui qui prend toutes les décisions. Il contrôle absolument tout. Il crée un environnement d’intimidation et de peur. Les Saoudiens sont réduits au silence", dénonçait-il avant sa mort.
Mohammed Ben Salmane, tout en condamnant "un crime horrible", a été pointé du doigt par les services de renseignement américains comme ayant validé l’opération.
Des chameaux à… 2 millions de dollars
Malgré cette modernisation fulgurante, certaines traditions restent immuables. Chaque année, le festival du roi Abdulaziz célèbre la culture bédouine et met à l’honneur le concours de beauté pour chameaux, où les éleveurs rivalisent pour présenter les plus belles bêtes.
Certains d’entre eux vont jusqu’à injecter du botox aux chameaux pour gonfler leurs lèvres et modifier leur apparence. "Ça permet de faire gonfler les lèvres. Ça déforme le visage, la tête, la bouche, et donc ça change le physique de l’animal pour le rendre encore plus beau", explique un vétérinaire. Cette année, 43 chameaux ont été disqualifiés pour tricherie.
Les prix sont colossaux : jusqu’à 58 millions d’euros à se partager pour les gagnants. Hamad, riche homme d’affaires saoudien, mise gros sur sa chamelle star. "C’est elle. Ça fait 6 ans que je l’ai. Je trouve que c’est vraiment la plus belle femelle de tout le festival. La forme, la tête, le cou, elle respecte toutes les normes de beauté. Et comme vous le voyez, c’est la plus grande de toutes mes chamelles. Elle vaut 2 millions de dollars. Mais je ne la vends pas, elle est bien trop précieuse pour moi."
Un pays aux deux visages, entre bling-bling et répression, où chaque progrès social reste sous l’étroite surveillance du pouvoir.