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« C’est une façon déguisée de remettre du contrôle » : après des années de gloire, serait-ce la fin du télétravail ?

Par RTL info avec Romain Mayez, Alexandros Kiritsis, Guillaume Wils et Corentin Simon
Le lundi est un jour privilégié pour le télétravail, pratique très à la mode depuis la pandémie de covid. Mais est-on vraiment aussi productif qu’au bureau ? Le télétravail est aujourd’hui remis en question après des années de gloire, notamment parce qu’il existe des abus.

À l’aéroport de Charleroi, c’est un jour de départ en vacances. Au milieu de tous les voyageurs, cinq femmes annoncent de manière décomplexée qu’elles vont prendre l’avion, alors qu’elles ne devraient pas. « On est censées être en télétravail », explique l’une d’elles. Au lieu de ça, elles attendent leur vol en direction de Lloret de Mar.

Mais alors le télétravail est-il hors du contrôle des entreprises ? Pour cette enquête, nous avons soulevé les tabous d’une pratique remise en question.

Le « workation »

François Lombard est consultant en ressources humaines chez SD Worx. Il rentre tout juste de sa seconde résidence en France. Il n’y était pas en vacances, car il y télétravaillait. Son entreprise autorise ce qu’on appelle le « workation ». Le consultant y trouve son compte : « Pour le petit déjeuner, à midi, le soir, c’est très agréable, très apaisant. Je peux commencer très tôt le matin et avoir une activité en cours de journée ».

Et quand on lui pose la question de savoir si l’on travaille aussi bien dans sa maison de vacances, François répond : « Je pense que oui. Parce qu’en fin de compte, il n’y a pas toutes les petites distractions qu’on pourrait avoir à Bruxelles. Maintenant, je pense qu’il y a une discipline qui est évidemment nécessaire. »

Une question de confiance

Un cadre clair est prévu par l’entreprise. Mais travailler sur son lieu de vacances, n’est-il pas trop tentant ? « Il faut travailler sur une base de confiance entre employeurs et travailleurs, et nous n’avons pas de contrôle. On ne voit certes pas le travailleur, mais cela ne veut pas dire qu’il ne doit pas faire son travail pour autant. Tant que le résultat est là, c’est le plus important », explique Kathleen Jacobs, conseillère juridique chez SD Worx.

En Belgique, un salarié sur trois a la possibilité de télétravailler selon des chiffres de Stabel pour l’année 2024.

Mais si les travailleurs se contentent d’atteindre leurs objectifs, le risque est d’arriver au service minimum, que les entreprises voient aujourd’hui comme un inconvénient. Un constat qui est confirmé par Laurent Taskin, économiste spécialiste du télétravail. Aujourd’hui, c’est « Dites-moi exactement ce que j’ai à faire, quand je dois le délivrer, comment, etc. et je me limite à cela ».

Perdre au change

Pour l’économiste, il est clair que « L’arrangement qui prévalait il y a quelques années, avec pour l’entreprise une réduction de coût et une augmentation de la productivité, on le retrouve moins aujourd’hui. L’entreprise a l’impression de commencer à y perdre en termes de dynamique collective de travail, de faire plus que ce qui est juste attendu, et donc aller au-delà du travail prescrit. »

Et ce « strict minimum » serait permis, voire même encouragé par le télétravail. Un témoin anonyme reconnait être plus productif au bureau qu’à domicile : « Le télétravail me permet de faire certaines tâches domestiques. Pendant mes heures de travail, j’ai le temps d’aller au sport, de faire des courses, du ménage. Ça me permet d’avoir un équilibre plus sympa. »

La situation serait similaire pour ses autres collègues, et les remords ont donc vite disparu. Le témoin anonyme explique : « Au début, je culpabilisais un peu en me disant que de faire ça sur le temps de travail n’était pas très juste. Mais étant donné que je n’ai eu aucun retour sur ce fait là, et que j’atteins toujours mes objectifs, la culpabilité n’est plus là. »

Retour au bureau

Depuis cette année, Amazon impose un retour au bureau à ses travailleurs. La raison avancée : « récréer une communauté de travail pour favoriser l’innovation ». « Nous avons réalisé que nous sommes meilleurs pour le client et le business si nous sommes ensemble », a notamment affirmé le CEO d’Amazon, Andy Jassy. Une décision forte, mais très impopulaire auprès des travailleurs qui n’ont pas manqué de manifester leur mécontentement.

Si beaucoup d’entreprises y pensent, très peu souhaitent le communiquer. Laurent Taskin explique cette réticence : « C’est devenu un mode de vie tellement intégré par les salariés qu’on a des exemples en Europe et en Amérique du Nord où des entreprises ont réduit le nombre de jours de télétravail par semaine, et où on a vu que les salariés partaient en résistance, parfois même en grève. »

Mesure déguisée

À partir de janvier prochain, l’assureur belge Axa obligera une présence au bureau au moins trois jours par semaine. L’entreprise a refusé une interview, mais se justifie par écrit : « La décision vise à renforcer la collaboration, l’échange d’idées et l’innovation. »

Pour les syndicats, cette mesure cache une autre réalité : celle du problème de la confiance. « Nous avons l’impression que c’est une volonté de contrôle qui motive les employeurs à ramener les gens. Les choses se sont faites parfois de manière très rapide, sans avoir d’arguments très concrets, et surtout sans avoir de proposition pour rééquilibrer la vie privée et la vie professionnelle que les travailleurs avaient organisé autour de ce télétravail », déplore Corinne Martin, secrétaire permanente CNE.

Selon une étude de l’université de Gand, les employés sont plus heureux, plus efficaces et plus productifs lorsqu’ils travaillent 50 % chez eux et 50 % au bureau.

« Trop de contrôles »

Le principal frein, c’est donc la confiance. « Beaucoup de managers ont tendance à trop contrôler, mais trop de contrôles, ça tue l’autonomie qui est un élément clé du bien-être au travail », souligne Eline Moens, doctorante en économie à l’Université de Gand. Pour remédier à ça, Eline Moens recommande de porter davantage l’attention sur « l’évaluation des résultats sur base de critères clairs et objectifs. »

La popularité du télétravail est en recul, mais il est si cher aux employés qu’il ne disparaitra pas. Tout l’enjeu est donc de retrouver un équilibre.

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