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Le trafic de drogue propose de nombreuses tensions en région bruxelloise. Non seulement pour la police, mais aussi pour les habitants et les commerçants. Les dealers ont pris possession de certains quartiers de Bruxelles et ne se cachent plus. L'une de nos équipes a réalisé un long reportage sur le fléau qui gangrène la capitale.
Notre équipe s'est rendue à Matongé, le quartier chaud d’Ixelles. Nous sommes en pleine journée, un jour de semaine, devant la galerie. C'est l’un des principaux points de deal. Des individus viennent vers nous. "Il vous faut de la beuh?", nous lance l'un d'entre eux. Nous demandons s'ils ont le produit sur eux et s'il est facile de s'en procurer. "C'est comme dans tous les quartiers. Tout le monde en a ici", nous répond-il.
Herbe, cannabis, cocaïne: ça deale au vu et au su de tout le monde, même sous les caméras de surveillance de la police.
Un commerçant d'Ixelles menacé témoigne
Des habitants ne cessent pourtant d’alerter les autorités. "Nous estimons entre 2.000 et 5.000 euros la vente quotidienne de drogue devant chez nous", indique un témoin. Certains ont envoyé des mails au bourgmestre et à la police chaque semaine durant un an. "Comme nous vous le disions, des meurtres allaient arriver. Vous ne serez pas surpris d'apprendre que la victime était 5 minutes avant, rue d'Edimbourg", écrit un autre.
Un commerçant du quartier n’en peut plus. Il témoigne anonymement. "Ils ont pris possession du terrain. Les forces publiques en ont peur, et les forces politiques n'ont pas la volonté d'intervenir", nous dit-il.
Sans réaction de la part des autorités, il a essayé de se protéger comme il pouvait. "D'abord, on avait mis des caméras. Elles se sont faites vandalisées. Et puis on a remises, et on s'est fait menacer: 'Vous retirez ça endéans l'heure, sinon il y aura des représailles physiques'", confie le commerçant.
À 50 mètres de la maison communale et du commissariat de police, notre équipe observe un autre point de deal, rue de la Crèche. Trois jeunes guettent sur place. Dans le quartier, quasiment tous les commerçants sont partis depuis deux ans sous la pression des dealers. "Ils se mettent en face et jettent des œufs sur les clients", explique encore notre témoin.
Le bourgmestre d’Ixelles, Christos Doulkeridis, n’a pas donné suite à notre demande d’interview. Il nous renvoie vers la police. Nous contactons donc la zone de police. "La police manque de pas mal de moyens, financiers, matériel et humain. On fait ce qu'on peut avec ce qu'on a. Mais ce qu'on refuse, ce sont les zones de non-droit. […] À chaque fois qu'on intervient, ça revient de telle ou telle manière", explique Christophe Servais, porte-parole adjoint de la zone de police Bruxelles Capitale-Ixelles.
Saint-Gilles: trafic de drogue en public devant nos caméras
Notre équipe prend la direction d'une autre commune bruxelloise: Saint-Gilles, place Bethléem. C'est un autre lieu bien connu de trafic. Nous ne sommes pas les bienvenus. Après quelques minutes sur place, nous sommes priés de partir. Alors que nous sommes clairement identifiés comme journaliste, avec caméra et micro, les transactions se font sous notre nez.
Un homme sur une mobylette repart avec l’argent alors que le dealer s’en va cacher la marchandise dans une poubelle. "On est devant un phénomène où des dealers ont pris possession du terrain et se sentent en toute impunité et la police fait son travail", indique Jean Spinette, bourgmestre de Saint-Gilles.
En patrouille avec des policiers
Pour mieux comprendre le travail de la police, nous embarquons avec une patrouille en action. Traquer les dealers, c’est l’une des missions de cette unité d’action spécialisée de la zone de police Midi. "Ils connaissent toutes nos plaques de voitures par cœur", explique un policier alors qu'un dealer prend la fuite. Mais les policiers aussi connaissent presque tout des dealers. "C'est un drive-in ici", indique un agent. "Comme mon collègue dit, un drive-in, c'est mot pour mot. Les voitures sont dans la rue. Ils ne sortent même plus de leurs voitures les gens. Ils ouvrent leurs carreaux, l'échange, et des fois il y a la file", ajoute un autre.
Ils utilisaient même les boîtes aux lettres des gens et leur interdisaient de les utiliser
La patrouille sait qu’il faut patienter avant d’en attraper. "Des fois, ils utilisaient même les boîtes aux lettres des gens et leur interdisaient de les utiliser", confie un policier.
Les lieux de trafic pullulent, comme à Clémenceau. Les policiers tombent sur un jeune homme bien connu de leur service. "Fidèle au poste? Et quoi Hamza, qu'est-ce qu'il se passe?", lui lancent-ils. Peu après, les forces de l'ordre nous expliquent que les dealers "sont très très confiants" et qu'ils "n'ont pas peur de la justice belge".
Un barrage routier pour entraver la police
Les dealers n'ont visiblement pas peur de la police non plus. Durant notre reportage, la patrouille tombe sur un barrage routier mis en place par les trafiquants.
Un jeune est en fuite. Les policiers appellent des renforts pour le coincer un peu plus bas, un peu plus tard. "Pourquoi tu cours?", lance un policier au moment de passer les menottes au suspect. "Parce que j'ai vu la police!", répond-il.
L’adolescent est retrouvé avec 310 euros d’argent caché dans son caleçon. "Comme tu n'as pas de portefeuille, tu t'es dit que tu allais le mettre dans ton caleçon. C'est limpide", lance un policier avec un brin d'humour.
Une arrestation, c’est ensuite des heures de travail administratif. D’autant que l’adolescent balade pendant une heure les policiers en donnant à cinq reprises une fausse identité et une fausse adresse. Les policiers finissent par l’identifier. C'est un Carolo connu de la justice. "T'as trois pages de faits à seize ans! Tu ne respectes personne", lance un policier.
Le jeune homme a été mis à la disposition du juge de la jeunesse. "On a beau arrêter, arrêter, arrêter les gens, au final, ça ne fait qu'exploser partout", conclut un policier.