Accueil Actu Vos témoignages

"Franchement, ça me gêne": Christian, alcoolique abstinent, fortement dérangé par cette pratique dans les commerces

"Ne devrait-on pas cacher l’alcool dans les magasins, à l’instar des cigarettes?" C’est la question que soulève Christian, un habitant d’Andenne, sobre depuis près de vingt ans. Cette mesure est-elle réaliste ? Les spécialistes du secteur donnent leur point de vue.

À 66 ans, Christian a arrêté de boire depuis près de vingt ans. L’habitant d’Andenne (province de Namur) se dit "alcoolique abstinent", et s’interroge sur la visibilité "trop importante" accordée, selon lui, à l’alcool dans les magasins.

"J’ai l’habitude d’aller dans un petit magasin. Et qu’elle ne fut pas ma surprise quand j'ai vu qu'on avait caché les cigarettes, et à la place, derrière le commerçant, un rayon rempli d’alcool", dit-il. 

"Franchement, ça me gêne, car cela incite les gens, non plus à fumer, mais à picoler. Cela va de la petite bouteille de blanc, à tous les alcools possibles et inimaginables. Cela dans tous les commerces pour ainsi dire. Les alcools étaient là, mais pas spécialement à vue comme ils le sont maintenant. Quand je rentrais là, les alcools étaient au fond du magasin, voire derrière les bières. Mais pas à vue comme ça. Je vois ça dans tous les magasins où je me rends", assure-t-il.

Christian soulève ainsi une question, qui mérite selon lui d'attirer l'attention des autorités: pourquoi dissimuler le tabac dans les commerces et continuer d'"exposer" l’alcool ? "Ce ne serait pas une mauvaise chose de cacher l’alcool comme on cache les cigarettes. J’ai été alcoolique pendant des années, et il y a maintenant presque 20 ans que je ne bois plus. Mais je dois dire que quand je vois l’alcool, il y a un petit flash, et je pense que c’est la même chose pour un fumeur qui voit un paquet de cigarette après avoir arrêté quelques années. Je pense que ça incite à boire, surtout chez les jeunes."

Il n'est pas légalement permis de conclure un quelconque accord à ce sujet

Cacher l’alcool dans les magasins, comme les cigarettes, est-ce envisageable dans les années à venir ? Hans Cardyn, le directeur de la communication de Comeos (la fédération belge du commerce et des services), indique que "tout d'abord, il n'est pas légalement permis de conclure un quelconque accord à ce sujet, car les règles de la concurrence interdisent expressément aux supermarchés de s'entendre sur l'offre ou la manière de proposer des produits."

La situation serait différente si une loi venait à restreindre la vente. "Dans ce cas, nous suivrons évidemment cette loi, mais nous espérons bien sûr que la mesure sera cohérente, c'est-à-dire qu'elle s'appliquera à tout le monde sans exception pour le type ou la taille du magasin", ajoute Hans Cardyn.

De son côté, Arne Brinckman, le porte-parole du ministre fédéral de la Santé, Frank Vandenbroucke (Vooruit), répond que "cacher l’alcool à l’instar de ce qui est fait pour les cigarettes ne fait pas partie des mesures envisagées". 

La Belgique s'est dotée ces dernières années d’un plan interfédéral (2023-2025) pour lutter contre la consommation nocive d’alcool, et il est prévu que les mesures prises soient évaluées cette année. "A ce stade, il est trop tôt pour en tirer les premières conclusions", indique Arne Brinckman.

Une mise à jour de ce plan est-elle prévue ? Quelle seront les nouvelles mesures ? "Un groupe de travail se réunira cette année pour discuter des actions qui ont été prises ou qui le seront", déclare le porte-parole de Frank Vandenbroucke. "Cette réunion servira également de plateforme d’échange sur les mesures que chaque gouvernement envisage de prendre au-delà de 2025."

 

Pour tenter de répondre à la question de Christian, nous avons également interrogé l'alcoologue Martin de Duve. Concernant la situation vécue par l'habitant d'Andenne, "on peut citer la science", dit-il. "Il se trouve que les personnes ayant des problèmes de consommation d’alcool (ou en ayant eu) développent également ce qu’on appelle un biais attentionnel", indique le spécialiste. "Un biais attentionnel est une attention accrue aux signaux alcool par rapport à quelqu’un d’autre. Donc effectivement, passer dans un rayon alcool peut susciter un achat compulsif. Voire une publicité dans la rue peut susciter un besoin de consommer. Mais, c’est toute la société qu’il faudrait revoir." 

Un nombre impressionnant de points de vente 

Selon lui, avant de cacher l’alcool dans les commerces, il faudrait mettre en place un plan alcool "cohérent" en Belgique. 

"Il y avait toute une série de mesures de limitation de la publicité, de pratiques commerciales douteuses… Toutes ces mesures mériteraient d’être mises en place avant des mesures comme celle évoquée ici, en invisibilisant l’alcool dans les supermarchés ou les magasins", estime-t-il. 

"On peut aussi imaginer, comme la Belgique est à la traîne en la matière, de diminuer le nombre de points de vente. Il y a un nombre impressionnant de points de vente en Belgique. On peut trouver de l’alcool dans des librairies, des magasins de nuit, dans des épiceries, dans des boulangeries, des boucheries, dans les stations-services… On peut s’interroger sur cette omniprésence de l’alcool dans notre société. Peut-être qu’une autre piste serait de remettre le curseur au bon endroit." 

Et d'ajouter: "Demander aux commerçants de moins mettre en avant l’alcool? Pourquoi pas, mais il y a tellement de choses à faire. Je ne dis pas que ce n’est pas intéressant. Un peu moins rendre visible cette omniprésence de l’alcool est une piste intéressante. Il y a en tout cas des mesures à prendre pour diminuer la pression autour de l’alcool." 

Quasi toutes les mesures n’ont finalement pas été retenues

A propos du plan interfédéral 2023-2025 pour lutter contre la consommation nocive d’alcool, Martin de Duve livre son bilan. "Nous, une série d’experts, avons été consultés lors des négociations autour de ce plan alcool. Quasi toutes les mesures que nous avons préconisées n’ont finalement pas été retenues dans ce plan. Nous savons qu’il y a eu une volonté politique de saborder ce plan, malgré la volonté des cabinets santé. Globalement, les ministres de la santé avaient une volonté d’avancer. Pour finir, les négociations ont été mitraillées par les intérêts commerciaux des alcooliers et les porte-parole politiques de ces intérêts commerciaux."

D'après l'alcoologue, le plan actuel est une "coquille vide". 

"J’espère que demain on pourra renégocier ça. Et dans les mesures préconisées, nous en avions mis une cinquantaine sur la table. Je citerais déjà l’information du consommateur: avoir le nombre de calories par 100 millilitres, le nombre d’unités d’alcool par bouteille… On peut citer l’interdiction de la publicité. C’est le seul psychotrope pour lequel on peut encore faire de la pub, ce n’est pas normal... Le nombre de propositions est très important. On espère qu’on pourra avancer dans les mois et les années à venir. J’imagine qu’on va nous solliciter pour le prochain plan. Nous ne voulons pas interdire le produit, mais la Belgique est complice de la surconsommation des Belges, et doit modifier la législation."

Contenus sponsorisés

À la une

Les plus lus