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Le 1er mars 2004, un procès très attendu s’ouvre à Arlon, le procès Dutroux et consorts. Il allait, espérait-on, faire toute la lumière sur cette affaire qui empoisonnait la Belgique depuis l’été 1995, depuis l’enlèvement de Julie et Mélissa. Il faudra près de 4 mois d’audience, 569 témoins, 75h de réquisitoire et plaidoiries et 243 questions pour aboutir à une vérité judiciaire imparfaite.
Il y a 20 ans, le 1er mars 2004, débutait le procès de Marc Dutroux et consorts. Voici une rétrospective de ce vaste procès, très attendu depuis l'enlèvement de Julie et Mélissa en 1995, en trois moments forts.
Le 1er mars 2004 : les premières images du procès
Le 1er mars 2004, la neige recouvre Arlon. Le nouveau palais, tout en vitres et en miroirs, s’apprête à recevoir 1340 journalistes accrédités. Tous attendent de voir le monstre, Marc Dutroux détenu quelques rues plus loin. "Ce qui est nouveau, c'est que cela ne soit pas encore résolu, si longtemps après. Il y a une expression qui dit, 'le temps est l'ennemi de la justice. Ici, on ne commence le procès qu'après 8 ans... C'est choquant pour nous", s'étonne un journaliste canadien.
À 9h40, Marc Dutroux apparaît et fait une annonce surprenante : il ne veut pas être filmé. Les images des premiers jours sont floues. Marc Dutroux impose sa loi. "C'est encore une raison pour arrêter de le filmer, on a assez d'images de lui", dit Ronny Baudewyn, avocat de Marc Dutroux.
À l’autre bout du box, Michel Nihoul, le présumé complice, comparait libre. Michel Lelièvre, le sous-fifre de Dutroux, arbore un demi-sourire. Et enfin, Michelle Martin, qui s’installe dans son rôle de femme sous influence. Alors qu'elle fait preuve de retenue, Dutroux est grossier. Il refuse de se lever à la demande du président puis s’assoupit entre ses bras croisés. À ces premières images, s’ajoutent les premiers mots : "On ne m'a pas posé la question de savoir si j'étais soucieux d'être filmé ou non. C'est la première fois qu'on me le demande et j'ai fait appliquer ce droit".

D’une voix nasillarde et monotone, il donne sa version des faits. Il aurait, dit-il, trouvé deux petites filles chez lui fin juillet. Il fallait les garder le temps que Nihoul trouve une solution, ajoute-t-il. Deux phrases, quelques mots pour nier l’enlèvement de Julie et Mélissa. Il charge Michel Nihoul et se pose en victime. Le ton est donné. "On nage en plein délire. Marc Dutroux donne une énième version, avec un deuxième réseau", déclare Sarah Pollet, avocate de Michelle Martin, à la presse.
Le 27 avril 2004 : la visite de la cache
Les avocats des victimes ont souhaité visiter la cache de Marcinelle, dans un souci de vérité. Jean-Denis Lejeune est du voyage. Sabine et Laetitia, survivantes de Marc Dutroux, sont là aussi. "Je ne m'en souviens pas très bien, car j'étais très souvent dans le gaz. Je veux voir cet endroit", explique Laetitia Delhez.
Une tenture kaki barre la porte de la maison de Dutroux comme dans une chambre mortuaire. De l’autre côté, douze marches pour descendre vers la tombe. Car c’est de cela dont il s’agit. En bas de l’escalier, la "porte étagère" est posée sur le sol. On passe le seuil, on pénètre dans un cauchemar jaune sale. La cache, c’est un placard où Marc Dutroux rangeait, non pas ses balais, mais des petites filles pleines de vie. La cache, c’est un caveau de la taille d’un matelas d’une personne. Cinq minutes dans ce trou et l’air vient à manquer.

Sabine ressort en sanglots. Dutroux y descend, il se serait, dit-on, plaint du délabrement de sa maison. À l’étage, la chambre des enfants. Des lits superposés où Sabine et Laetitia ont été attachées, violées comme, sans doute avant elles, An, Eefje, Julie, Melissa. Sur la vitre poussiéreuse, la trace d’une main d’enfant est toujours visible.
Le 17 juin 2004 : le verdict
Trois mois et demi d’audience et 569 témoins. Le procès touche à sa fin. Il faut encore répondre à 243 questions. Le jeudi 17 juin, les jurés reviennent avec un verdict."Question numéro 15, la réponse est oui. Question numéro 17, oui", énonce le greffier. Les réponses s’égrènent, monotones, mais tout à coup, un grain de sable enraie la mécanique. Les jurés ne se sont pas vraiment décidés sur 5 questions : celles qui concernent un éventuel réseau dans lequel seraient impliqués Dutroux et Nihoul. Ils ont répondu par 5 voix contre 7, pas assez dit la loi pour établir une vérité judiciaire.
C’est à la Cour de décider. Elle acquitte Michel Nihoul pour l’enlèvement de Laetitia. Les jurés repartent pour un deuxième tour de délibération au terme duquel il le lave de tout soupçon dans les enlèvements. "La vérité judiciaire existe. Mais n'empêche que l'on reste avec nos zones d'ombres", indique Jean-Denis Lejeune, père de Julie. "On savait que ce procès ne serait que le reflet du dossier d'instruction et qu'il ne serait pas autre chose, dossier qui s'est mal terminé. Ce procès ne pouvait donner autre chose que ce qu'il a donné aujourd'hui. On ne regrette donc pas de ne pas y avoir participé, on aurait perdu notre temps", déclare Carine Russo, la mère de Mélissa
Le 22 juin, les peines tombent. Michelle Martin est condamnée à 30 ans de réclusion, Michel Lelièvre à 25 ans, Michel Nihoul à 5 ans pour trafic de drogue. Marc Dutroux est lui condamné à la perpétuité, avec 10 ans de mise à disposition du gouvernement. "Marc Dutroux, vous avez été condamné au maximum de la peine. Je crois que vous vous en sortez mieux que la plupart de vos victimes, qui ne font plus partie du monde des vivants", prononce le président, Stéphane Goux.

Le rideau se referme sur le procès du siècle, mais pas sur l’affaire Dutroux. Aujourd'hui encore, elle hante les cauchemars des enfants devenus parents et les caves préservées d’une maison qui n’est plus.


















