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De nombreux militaires seront dans les rues ce jeudi pour manifester. Leurs syndicats ont décidé de se mobiliser contre l'accord de gouvernement et surtout contre la mesure qui prévoit la fin de leur régime de pension. Une exception qui leur permettait jusque-là d'être retraités à 56 ans.
Trois générations de militaires acceptent de braver un interdit: parler. Leur seule exigence, préserver leur anonymat. Leurs mots traduisent un sentiment général de trahison. Mettre fin à la pension à 56 ans s'apparente pour eux à une rupture de contrat. À titre de comparaison, en France, les sous-officiers partent à 46 ans.
"J'ai l'impression qu'on m'a menti. Ce n'est pas ce pourquoi j'ai signé. Il y a des avantages et des inconvénients à travailler à l'armée et un des avantages, c'était de faire 10 ans de carrière de moins qu'un civil", avance une militaire qui témoigne.
"Je me sens un peu comme si j'avais été trahi. On nous prend un petit peu pour de la main d'œuvre pas chère, pour qui on peut modifier le contrat", ajoute un autre.
Avec la réforme, ces sous-officiers vont travailler de 5 à 11 ans de plus comme si leur métier en valait un autre. Exemple avec l'opération Vigilant Guardian entre 2015 et 2021 dans les rues de Bruxelles et les aéroports. Durant cette période, l'armée est présente 24 heures sur 24, mais avec un autre salaire que celui des civils. On parle de 4,93 euros nets de l'heure.
"Un agent de gardiennage va gagner 21 euros de l'heure pour faire la garde alors que le militaire en gagnera quatre. Si on fait le ratio au niveau des heures quand on part en exercice, on n'est pas bien payé à l'heure. Certes, finalement, on a notre pension plus tôt", dit un de nos témoins.
"Même par rapport à un policier, les gardes, les opérations, les choses comme ça. On est déjà moins payé. Donc finalement, si on doit juste travailler 11 ans de plus pour gagner encore moins, je ne le fais pas, je ne prends pas ce risque", avance-t-on encore.
Ceux qui partent en mission et les autres
Ces militaires ressentent une forme d'injustice. Ils sont soumis à des entraînements réguliers et en moyenne éloignés 7 ans de leur foyer durant leur carrière. Ils ne veulent pas d'une inégalité de traitement entre ceux qui partent en mission et ceux qui restent.
"Quand on a entendu les paroles de Georges-Louis Bouchez, par exemple, qui parlait des cuistots, qui parlait d'autres personnes qui ne méritent pas de partir plus tôt à la pension, personnellement, ça m'a fait hérisser les poils. Parce que des cuistots, il y en a qui partent en mission également. S'ils arrivent à mettre en œuvre leur système de pension avec des bonus pour les opérations, effectivement, quelqu'un qui va se retrouver derrière un bureau indépendamment de sa volonté va être pénalisé pour sa pension", ne décolère pas le militaire interrogé.
"Un danger pour la sécurité"
Aujourd'hui, la Belgique compte 24.000 militaires. Au niveau de la pyramide des âges, l'armée forme un "M". Il y a beaucoup de jeunes et beaucoup d'anciens, mais entre les deux, entre 31 et 43 ans, ils sont peu nombreux. Cela s'explique par un déficit de recrutement.
"Cette réforme pourrait impliquer aussi que le personnel formé qui est étiqueté militaire, qui peut maintenant donner son savoir complètement opérationnel, pourrait partir. Et là, nous sommes déjà dans les couches critiques de la population Défense", regrette Boris Morenville, responsable en charge des négociations et concertations du SLFP Défense. Selon lui, ce sera un danger "pour l'avenir de la Défense et plus largement pour la sécurité de tous les citoyens".
Risques de départs
Le sous-effectif actuel rend déjà les missions complexes à réaliser. La charge de travail augmente. Les militaires cumulent plus d'un million et demi d'heures supplémentaires chaque année. C'est une situation récurrente. 4.500 postes sont actuellement à pourvoi.
"J'en ai déjà entendu quelques-uns qui ont dit autour de moi 'si on arrive vraiment sur le nouveau système, on s'en va, ça ne vaut pas la peine de rester'. Donc déployer plus de personnes sur des théâtres d'opérations ou se préparer à la guerre comme le veut notre nouveau ministre, M. Franken, on ne saura pas le faire. Il n'y aura plus de personnel pour le faire. Les gens vont être démoralisés parce qu'ils vont devoir occuper plusieurs fonctions en cumul. Ils vont tomber malades ou en burn-out", avance un militaire.
"Si ça passe, j'envisagerai sérieusement de partir. J'en connais beaucoup qui pouvaient envisager de s'engager à l'armée et qui ne le feront plus", reconnaît une autre.
Entre les expérimentés qui envisagent de partir et les jeunes qui ne veulent plus rester, cette réforme s'annonce à haut risque. Pour ces militaires, le choix est clair. Jeudi 13 février, ils seront dans la rue… Et ils ne seront pas seuls.