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Emeline Léger, 31 ans, a découvert ce que personne dans sa famille ne savait, sans doute à cause d'une "forme de honte": son arrière-grand-père Philoxime, qui avait combattu de 1914 à 1918, est mort dans un asile d'aliénés.
"Il était devenu fou, il a été interné un petit mois et est décédé ici, le 18 mai 1931", raconte-t-elle à l'AFP dans la cour de l'hôpital psychiatrique de Prémontré (Aisne).
Pour la première fois, elle visite avec ses parents cette ancienne abbaye fondée au XIIe siècle en lisière de la forêt de Saint-Gobain, devenue à la fin du XIXe un asile d'aliénés qui a été occupé par les Allemands pendant la Grande Guerre.
Au cours de ses recherches, entamées il y a une dizaine d'années, cette passionnée de généalogie a réussi à rassembler plusieurs documents sur cet aïeul, dont son grand-père parlait peu. Certificats de naissance, mariage... et, en 2017, de décès.
- "Tumeur au cerveau" -
"La sœur aînée de ma mère a toujours entendu dire qu'il était mort d'une tumeur au cerveau. Je pense que c'était la façon de cacher le fait que c'est certainement honteux d'être interné dans un asile", poursuit-elle, la seule et unique photo de son aïeul, en tenue militaire, entre les mains.
Sa mère Chantal, 60 ans, ignorait jusqu'alors tout des dernières années de son grand-père. "Ca a été quelque chose de très fort quand Emeline me l'a appris. J'ai été surprise", se souvient-elle en empruntant les marches de l'escalier monumental.
Venir à l'endroit-même où il est mort lui "donne des frissons". "C'est une impression vraiment bizarre", ajoute-t-elle très émue, en déambulant entre les cyprès parfaitement taillés et les parterres de fleurs symétriques du jardin. Les actuels bâtiments d'hospitalisation, à l'arrière, restent interdits au public.
Philoxime Deson, né le 24 mars 1885 dans le petit village de Cuirieux (Aisne), a combattu contre l'Allemagne dès le 3 août 1914 et a été mobilisé jusqu'en mars 1919, notamment à Verdun et au Chemin des Dames. Sur son son matricule militaire, on peut lire qu'il a été incorporé au 25e régiment d'artillerie de campagne.
Revenu à la vie civile, il a quatre enfants, déménage six fois entre l'Aisne et les Ardennes avant d'être interné d'office.
- "Mes organes, on me les a pris" -
"J'ai voulu me faire du mal. Je ne peux pas manger parce que je n'ai plus rien du tout dans mon ventre, plus de cœur, plus d'estomac, plus d'intestins (...) Mes organes, on me les a pris. Celui qui l'a fait, je ne le connais pas. Il doit être en haut", écrit-il lors d'un entretien médical en mars 1931.
Et le médecin d’annoter: "sa parole est un peu traînante, rigidité pupillaire. Affaiblissement psychique, euphorisme, inconscience de la situation".
Cet unique document issu de son dossier, conservé et transmis par les Archives départementales, soulève beaucoup d'interrogations pour ses descendantes, convaincues que sa maladie était liée au traumatisme de la guerre: "Comment se manifestait la maladie, le stress post-traumatique? Est-ce qu'il a été abruti par tout ce qu'il a vu et qu'il n'a jamais réussi à passer outre? S'est-il rendu compte qu'il pétait les plombs?"
Jusqu'alors, le récit familial, perpétué par le grand-père d'Emeline -âgé de 10 ans à la mort de son père-, se bornait à dire qu'il "avait été gazé dans les tranchées".
"C'était une forme de honte. Ses grands frères devaient en savoir plus sur le sujet, on lui a peut-être vendu une histoire", suppose Emeline. "Peut-être que ça s'est arrêté à +il a fait la guerre+ et c'est tout, parce que la fin était moins glorieuse."