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Le Nobel d'économie a été attribué lundi à un trio de chercheurs spécialisés dans la lutte contre la pauvreté, dont la Franco-américaine Esther Duflo, deuxième femme distinguée dans la discipline et plus jeune lauréat de l'histoire de ce prix.
Délaissant leurs labos de recherche pour le terrain, Esther Duflo, 46 ans, son mari américain d'origine indienne Abhijit Banerjee et l'Américain Michael Kremer sont allés voir comment, en Afrique ou en Asie, des programmes ciblés changeaient concrètement la donne pour les populations locales en matière d'éducation, de santé, d'accès à l'emploi.
Au milieu des années 90, Michael Kremer, 54 ans, professeur à l'Université d'Harvard, a "démontré à quel point cette approche pouvait être puissante en utilisant des expériences de terrain pour tester diverses interventions susceptibles d'améliorer les résultats scolaires dans l'ouest du Kenya", explique l'Académie.
Esther Duflo s'est fait un nom en conduisant des recherches avec Abhijit Banerjee, 58 ans, qui fut son directeur de thèse, sur des communautés pauvres d'Inde et d'Afrique pour mesurer l'impact réel de micro-politiques susceptibles d'être appliquées à plus grande échelle.
Grâce à eux, "plus de cinq millions d'enfants en Inde ont bénéficié de programmes efficaces de soutien dans les écoles" et "de nombreux pays ont débloqué d'importantes subventions pour la médecine préventive", explique l'académie.
"Malgré de récentes et importantes améliorations", rappelle-t-elle toutefois, "l'un des défis les plus urgents de l'Humanité est la réduction de la pauvreté dans le monde, sous toutes ses formes". Quelque 700 millions de personnes vivent encore dans l'extrême pauvreté, selon la Banque mondiale.
Interrogée en conférence de presse, Esther Duflo a relevé des progrès économiques au cours des dernières décennies. "Deux groupes de population s'en tirent mieux: ce sont les ultra-pauvres et les ultra-riches", a-t-elle affirmé.
- Duflo, plus jeune lauréat du prix -
Cette professeure d'économie au Massachusetts Institute of Technology (MIT), ancienne conseillère au développement de Barack Obama, est l'une des économistes les plus célébrées dans le monde, notamment aux Etats-Unis.
Récipiendaire en 2010 de la médaille John Bates Clark, elle est seulement la seconde femme à recevoir le prix Nobel d'économie après l'Américaine Elinor Ostrom en 2009 et la première lauréate de l'édition 2019.
"Je suis très honorée. Pour être honnête, je ne pensais pas qu'il était possible de gagner le Nobel aussi jeune", a réagi, dans un entretien téléphonique avec l'académie, Mme Duflo qui devient à 46 ans la plus jeune des lauréats du prix d'économie et le quatrième économiste français sacré après Jean Tirole (2014), Maurice Allais (1988) et Gérard Debreu (1983).
L'extrême rareté des femmes au palmarès du prix d'économie tient notamment au fait qu"'il n'y a pas assez d'économistes femmes tout court", a-t-elle déploré.
Elle a dénoncé le climat parfois "agressif" envers les femmes dans le monde des économistes et ajouté que le manque de femmes dans la profession représentait "une perte énorme" pour le champ économique.
Mais "cela est en train de changer", a assuré la jeune femme lors d'une conférence de presse à MIT, espérant, en recevant cette distinction, pouvoir représenter un "modèle".
Après l'appel de l'académie, la lauréate a raconté que son mari ... "s'est rendormi". "Il était très tôt et je ne suis pas quelqu'un du matin", a-t-il justifié plus tard.
Interrogée lundi sur ce qu'elle fera de la somme de neuf millions de couronnes suédoises (environ 830.000 euros) à partager entre les lauréats, la Franco-américaine a répondu: "A l'âge de 8 ou 9 ans, j'ai lu une biographie de Marie Curie, et quand elle a eu son premier prix Nobel elle a acheté un gramme de radium (…) j'imagine que nous allons discuter tous les trois pour savoir ce que sera notre gramme de radium".
Le président français Emmanuel Macron a salué sur Twitter un "magnifique Prix Nobel" qui "montre que les recherches dans ce domaine peuvent avoir un impact concret sur le bien-être de l'humanité".
- Travailler avec les gouvernements -
Souriants, en tenue décontractée, le couple d'économistes a partagé son enthousiasme pour le pragmatisme de leurs travaux. Ils cherchent à l'avenir à travailler encore davantage "avec les gouvernements pour les aider à évaluer de nouvelles approches et de meilleurs moyens d'action".
Leurs ambitions ne se situent pas seulement dans les pays les plus pauvres, a noté Esther Duflo, se disant interpellée "par les bouleversements sociaux" aux Etats-Unis ou en France.
"Les problèmes que rencontrent les pays industrialisés m'ont montré que même quand les gens semblent bénéficier d'un confort matériel de base, ils peuvent connaître le même niveau de misère et de mal-être que les plus pauvres sur qui portent nos études", a-t-elle expliqué.
Son mari Abhijit Banerjee a renchéri soulignant qu'il fallait "prendre au sérieux les conséquences de la mondialisation (...) qui a durement blessé les gens". "Les réponses politiques à la douleur provoquée par la mondialisation ont souvent été insuffisantes, voire erronées", a-t-il estimé.
L'étude du champ économique "a beaucoup de choses à dire sur pourquoi les temps sont durs et ce qu'on peut faire pour y remédier", a promis la professeure de MIT.