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"On a l’impression de s’être fait avoir": Henri, un agent de la DAB, ne veut pas lâcher la surveillance des sites nucléaires

La surveillance des sites nucléaires passera bientôt des mains policières à celles des militaires. Cette annonce de Bernard Quintin, le ministre de la Sécurité et de l’Intérieur, n'a pas été bien accueillie par les agents de la Direction de la sécurisation (DAB) de la police fédérale, qui dénoncent ce changement. Henri, un membre de la DAB, explique les répercutions de ce projet sur sa vie quotidienne et sur ses revenus.

Les militaires vont prochainement prendre en main la sécurisation des sites nucléaires, remplaçant ainsi les policiers qui remplissent actuellement cette fonction. C’est ce qu’a annoncé Bernard Quintin, le 12 avril dernier. "Cette réorganisation permettra de redéployer les policiers libérés vers des missions de sécurité publique, au bénéfice direct des citoyens", avait précisé le ministre de la Sécurité et de l’Intérieur.

Face à cette annonce, Henri (prénom d'emprunt), agent à la Direction de la Sécurisation (DAB), a décidé de témoigner. Ancien militaire, il fait partie de ceux qui ont effectué leur transfert vers la DAB en 2018 (dans le but de remplacer les militaires jusque-là affectés à la sécurisation des centrales nucléaires). Aujourd’hui, après sept années de service, il va voir sa carrière professionnelle prendre une autre tournure.

"En 2018, il fallait 20 ans de service minimum au sein de l'armée pour pouvoir faire ce transfert vers la DAB, en vue de remplacer nos collègues militaires pour la surveillance des sites nucléaires", explique Henri, qui revient sur les raisons de sa reconversion dans la police. 

"Après plusieurs années d’éloignement, je me suis dit que ça permettrait de me rapprocher de chez moi, et de faire des services de 12h. D’être un peu mieux payé. Mais, on nous dit maintenant 'C’est fini, on va vous remplacer par des militaires'. Apparemment, en faisant ça, monsieur Quintin veut récupérer 300 policiers et les mettre dans les rues. Je ne vois pas où il va aller les chercher..."

Et d'ajouter: "On ne peut pas aller dans les rues. Nous n’avons pas les mêmes compétences qu’un inspecteur. Nous sommes agents de sécurisation. Je pense qu’ils veulent mettre des militaires pour la surveillance des centrales, car ça coûte moins cher. C’est juste une question d’argent." 

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Les conséquences financières de cette décision sont un point de crispation pour Henri et ses collègues, qui risquent de perdre des "primes importantes" (octroyées pour les nuits et les week-ends). "Cela va représenter une perte entre 400 et 500 euros, voire 600 euros. Je connais des collègues qui vont être très mal", précise-t-il. Le changement d'horaires n'est également pas bien perçu par certains. "Au lieu de travailler en 12h, on va repasser en 8h."

Henri regrette de ne pas avoir été consulté. "C’était un choix de vie de passer à la DAB. Après plus de 20 ans dans l'armée, on m’a dit que j’allais pouvoir faire de la sécurisation. Et maintenant, on me dit déjà que c’est terminé. Tout cela sans nous demander notre avis ? On va maintenant certainement nous demander de ne faire que du transfert de détenus dans toute la Belgique."

Pour manifester leur mécontentement, les agents de la direction de la sécurisation (DAB) de la police fédérale se sont par ailleurs réunis mi-avril en assemblée générale, à Tihange, pour protester contre l'annonce de ce projet gouvernemental. "En tant qu’anciens militaires, on a l’impression de s’être fait avoir. Je ne sais pas où va le pays mais...", conclut Henri.

Une perte d'indemnités importante pour les policiers? 

La réorganisation de la mission de sécurisation des sites nucléaires aurait donc des conséquences financières "importantes" pour les policiers concernés, comme l'annoncent les syndicats.

"Il s'agit de pertes liées à des prestations extraordinaires de types nuits et week-ends. Dans le jargon policier, cela s'appelle des inconvénients", indique Anthony Turra, permanent en charge du groupe police à la CSC. "Dès le moment où la mission sera transférée, le personnel sera potentiellement mis à disposition d'autres unités de la DAB, sans ces inconvénients. Dès lors, les prestations extraordinaires n'étant plus exécutées, les inconvénients ne seront plus perçus. On parle de montants entre 500 et 600 euros net par mois."

Eddy Quaino, permanent syndical CGSP Police, confirme de son côté la perte financière "de façon formelle, sur base des fiches de salaire d’un collègue agent de sécurisation, qui perçoit 2.348€, plus 664€ d’inconvénients… Un collègue cadre moyen m’a lui confirmé une perte de plus ou moins 800€ par mois."

On ne comprend pas pourquoi cette decision intervient maintenant

Les syndicats ne comprennent par ailleurs pas le timing de cette décision.

"On ne comprend pas pourquoi cette décision intervient maintenant puisque l’ancien ministre de l’Intérieur Jan Jambon est à l’origine de la création de la DAB - Police Fédérale en 2018, où il devait y avoir 1.600 membres du personnel. À ce jour, la DAB compte à peine 1.243 équivalents temps plein", précise Eddy Quaino. "On s’interroge aussi sur la partie de financement d’Engie qui est versée à la police fédérale (une somme de 10 millions d'euros) pour la garde assurée sur les sites concernés."

"Nous ignorons ce qui a poussé cette décision. Il s'agit d'une volonté politique", indique brièvement Anthony Turra.

 

Les policiers remplacés par les militaires auront-ils des missions leur permettant de garder les mêmes revenus? Le personnel en place étant statutaire, il sera replacé dans d'autres missions. "Mais, le fonctionnement du DAB est tellement spécifique que les pistes de reclassement sont limitées", indique Anthony Turra. "Ils seront probablement affectés au sein des cours et tribunaux, qui sont aussi de la compétence de la DAB. Cependant, ces missions s'effectuant dans des horaires plus 'administratifs', les inconvénients générés auparavant n'auront plus lieu d'être, et ils seront donc perdus. Si le revenu de base n'est pas modifié, ce sont bien les indemnités qui ne seront plus payées."

Les militaires ne sont pas favorables à cette mesure

Eddy Quaino affirme aussi qu'il ne sera "pas possible" pour les policiers comme Henry, de "garder le même niveau de rémunération, car les missions sont limitées pour les agents de sécurisation. Ils peuvent aller avec les cours et tribunaux pour assurer les missions de transfert des détenus ou aller à Bruxelles pour renforcer la DAB pour la garde des points critiques."

"Nous tenons également à signaler que les militaires ne sont pas favorables à cette mesure", assure Anthony Turra. "Ils ne disposent par ailleurs pas des mêmes compétences et formations que le personnel de la DAB. Il s'agit aussi d'une 'main d'oeuvre' probablement moins coûteuse que le personnel policier. Nous avons cru comprendre que la volonté est de finaliser les accords avec la Défense en mai pour débuter la mise en oeuvre en juin. Les communications informelles nous annoncent la fin de la transposition en juin 2026."

Déploiement des militaires "dans les plus brefs délais"

Les ministères de la Défense et de la Sécurité et de l'Intérieur annoncent vouloir finaliser d'ici le 1er mai un protocole qui permettra d'assurer ce déploiement des militaires "dans les plus brefs délais".

"Il permettra de mettre en œuvre le déploiement progressif des militaires pour assurer la surveillance statique des sites nucléaires. Les militaires peuvent tout à fait exercer cette mission, comme ils l'ont d’ailleurs déjà fait par le passé", indique Olivier Schotte, le porte-parole de Bernard Quintin, ministre de la Sécurité et de l'Intérieur.

Cette mesure a pour "seul et unique objectif" de récupérer de la "capacité opérationnelle" pour les missions de police. "Actuellement, des inspecteurs de police exercent des missions (transfert de prisonniers, par exemple) qui incombent initialement aux agents de la DAB. La politique de ce gouvernement est de mettre "plus de bleus dans les rues". Cette mesure s’y inscrit pleinement. La concertation avec les syndicats est en cours dans les organes prévus à cet effet", conclut Olivier Schotte.

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