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« On n’a plus de bulle d’air »: Arthur inquiet pour les petits commerçants « qui étouffent les uns après les autres »

Dix ans après avoir ouvert un commerce à Bruxelles, Arthur dit être confronté à des difficultés économiques. Si son enseigne a trouvé rapidement son public, elle peine désormais à rester viable. Comme d'autres commerçants indépendants à Bruxelles et en Wallonie, Arthur et sa compagne disent subir "un environnement économique hostile." Une tendance confirmée par l'Union des classes moyennes (UCM), qui s'exprime sur la "fragilité" du commerce de détail.

Arthur et sa compagne ont ouvert leur boutique il y a dix ans dans un quartier à Bruxelles. Une décennie plus tard, la réalité économique menace leur activité.

"On a pu la démarrer de manière un peu légère, dans l’insouciance de l’âge et de l’enthousiasme qui nous animait", se souvient Arthur. Le concept de son commerce avait rapidement trouvé son public avec la vente de t-shirts, mugs, créations textiles locales... Mais aujourd’hui, le modèle vacille quelque peu.

"On n’a plus de bulle d’air pour pouvoir assumer une baisse de régime des ventes par exemple", confie Arthur. "Pour la première fois depuis 10 ans, on est vraiment quasiment face à une impasse. On se rend compte que le fonctionnement même du magasin n’est plus viable." La faute à de multiples facteurs: charges, salaires, prix de l’énergie...

Avec deux employés (l’un à temps plein, l’autre à temps partiel), le magasin reste ouvert sept jours sur sept. "La charge salariale est étouffante. Mais on est obligé d’avoir deux employés, car cela nous permet d’être ouverts toute la semaine. Actuellement, on est dans un climat économiquement très hostile".

Ce commerçant n’est pas seul à tirer la sonnette d’alarme. "À Bruxelles comme ailleurs, dans les centres-villes de Namur ou de Liège, de nombreux indépendants traversent une zone de turbulences. Tout ce qui est petit commerce non-essentiel comme le nôtre est en train de fermer et d’étouffer les uns après les autres", observe Arthur.

Quelles sont les causes principales des difficultés rencontrées par les "petits commerçants" au niveau national et au niveau régional ? Nous avons posé cette question à deux expertes du secteur, Aurélie Marichal, directrice de l'UCM Namur
et Valérie Saretto, directrice de l'UCM Liège. Et voici leurs explications:

Valérie Saretto (UCM Liège): "Dans le secteur du commerce, il y a manifestement une forte rotation. Ce que je constate, c’est qu’un magasin, qui s’implantait il y a 50 ans en centre-ville, pouvait y rester 2 voire 3 générations. À l’heure actuelle, ce n’est pas qu’il y a moins de commerces, mais cela tourne plus vite. (...) Sur la province de Liège, on ne constate pas une diminution du nombre de points de vente. Mais une rotation plus importante, et certainement avec un chiffre d’affaires moins important. (...) Les grands complexes commerciaux ont par ailleurs déshabillé la ville de Liège d’une activité commerciale relativement fleurissante. C’est une première raison."

"Il y a aussi eu des ruptures de normalité comme le covid, les inondations… qui ont fait que pendant un certain temps, on a pris l’habitude d’acheter autrement. (...) Tous les objets qui peuvent s’acheter ont la concurrence d’internet. (...) Pour tout ce qui peut se manger, les soins à la personne, il y a encore un commerce relativement florissant en termes de nombre de commerce."

Aurélie Marichal (UCM Namur): "La zone de chalandise de la ville de Namur, il y a 15 ans, s’étendait jusqu’à Libramont. Maintenant, elle s’arrête à Profondeville, car il y a du commerce qui s’est développé un peu partout (avec des centres commerciaux à Louvain-la-Neuve et à Fosses-la-Ville notamment). Donc finalement, ce qui faisait l’attractivité du territoire de la ville de Namur en termes de commerces et d’Horeca n’est plus si attractif pour les habitants qui sont plus éloignés de Namur, et qui consacraient par le passé, une journée shopping pour habiller les enfants… Comme on a tout à disposition à 10km de chez soi, on n'entre plus en centre-ville. Le nombre de petits commerces à Namur diminue. Sur 10 ans, le commerce de détail n’évolue plus positivement, surtout les deux dernières années." 

"Une des conséquences de la crise Covid, est par ailleurs qu’on veut tout, tout de suite. Le commerçant qui doit s’adapter à cette évolution du consommateur a un peu de mal à se positionner. On lui demande d’être commerçant, mais aussi de se projeter sur les nouveaux besoins du consommateur."

Comment les petits commerces peuvent-ils s’adapter?

Valérie Saretto: "Les centres-villes doivent-ils toujours offrir une densité commerciale, comme il y a 50 ans ? Ne faut-il pas redessiner la vocation d’un centre-ville ? Qui dit que dans 30 ans, on fera encore du commerce comme maintenant ? Avec les nouvelles technologies, on voit quand même que les gens se promènent avec un GSM à la main. Il y a des applications pour chercher le produit. (...) Il y a aussi beaucoup du web to store, qui permet de vivre une autre expérience dans le commerce. On retrouve aussi de la convivialité par exemple avec des chats. A Liège, il y a un établissement où on va boire son café avec des chats. La recherche de sociabilité change aussi. Je pense qu’il y a ces questions-là à se poser. Il faut redécouvrir une joie de se rendre en magasin."

"Un autre élément: à part les magasins indépendants, vous retrouvez toujours les mêmes magasins de marques connues, toujours les mêmes chaînes. Cela a certainement usé un écosystème commercial. Toutes les catégories sociales ne s’y retrouvent plus. Mais, il y aura de toute façon toujours une mini fonction de commerces qui devra être maintenue, car il y a des gens qui n’ont pas la mobilité requise."

Aurélie Marichal: "On parle actuellement d’expérience client. On pense qu’il entrera plus facilement dans un centre-ville pour faire son shopping, pour flâner, pour aller boire un café et caresser des chats, car cela lui génère une expérience positive. Pourquoi choisir un centre-ville plutôt qu’un autre ? C’est la diversité de l’offre commerciale, l’ensemble des commerces que je vais pouvoir y trouver  (...) L’expérience que le commerce va pouvoir proposer est un des maillons de cette attractivité. Et bien entendu, il faut avoir des centres-villes ou des quartiers qui sont propres et sécures. Si ce n’est pas le cas, le consommateur préférera acheter depuis son canapé."

"On parle aussi de plus en plus de villes du quart d’heure. Ce sont des villes où il est possible en un quart d’heure à pied de s’autosuffire. Ce sont des réflexions que les communes entament maintenant, car elles se rendent bien compte qu’elles doivent être actrices de l’aménagement de leur territoire dès maintenant, pour garder la fonction commerce dans leur centre-ville."

Fermeture des petits commerces : peut-on parler d’accélération du phénomène ces dernières années ?

Aurélie Marichal : "Si on regarde à l’échelle de la Belgique, l’évolution du secteur du commerce de détail, sur 10 ans, c’est quasi 15% du total des entreprises du pays. Et entre l’année 2022 et 2023, on est en décroissance de 0,5%. En Wallonie, on est en décroissance de quasi 2% entre 2022 et 2023.

"Ce qui est préoccupant, ce sont les entreprises qui étaient saines avant la crise covid, mais qui, si elles devaient subir un nouveau choc, ne tiendraient pas le coup. On sait que ces entreprises qui sont les plus sensibles au choc, sont des entreprises interdépendantes d’éléments extérieurs, comme le commerce, l’Horeca, et aussi le secteur de la construction."

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