Accueil Actu Belgique Société

"Nous étions cachés dans des couffins": Anne et Christophe ont été illégalement adoptés par le biais de l'Église, ils racontent

De plus en plus de Belges brisent le silence et disent avoir été victimes d’un trafic d’enfants. Pour cacher des grosses non-désirées, leurs mères étaient envoyées dans le nord de la France. Là, elles accouchaient sous X. Leurs bébés étaient ensuite transférés vers des familles belges par des institutions catholiques. Mais que s’est-il réellement passé ? 

 

Christophe et Anne, deux belges, se rendent dans le quartier de Malo-les-Bains à Dunkerque. Ils ont fait plus de 2h de route pour espérer retrouver les traces de leurs mères biologiques respectives. 

Christophe est né le 19 octobre 1959 dans un hôpital de la région. "Pour moi, Malot les bains, c'est une sorte de pèlerinage où je peux me retrouver là où elle a été (sa mère, ndlr), je peux entendre les mêmes mouettes et sentir le même vent et la même mer", témoigne-t-i. "Ce qui est très chouette ici, c'est que toutes les anciennes villas ont été conservées et donc, il y a certainement des villas qu'elle a dû regarder". 

Nous sommes exfiltrés, cachés dans des couffins

À l’époque, des jeunes femmes belges enceintes étaient envoyées dans le nord de la France. Elles y accouchaient en toute discrétion, car elles ne pouvaient ou ne voulaient pas garder leurs enfants. Les nourrissons étaient retirés à leur mère peu de temps après leur naissance et transférés vers la Belgique par des sœurs et autres institutions catholiques. 

"Nous sommes exfiltrés, cachés dans des couffins avec une couverture au-dessus, à la douane pour nous passer en Belgique", explique Philippe. "Jusqu'à mes trois ans, année de mon adoption, je n'étais personne". 

Anne est née dans les mêmes conditions en décembre 1969. Elle retourne devant les bâtiments de l’ancienne clinique Vilette, l’établissement privé dans lequel sa mère a accouché : "Pour moi, c'est le plus touchant aujourd'hui et le plus émouvant, c'est de me dire qu'elle était dans ces bâtiments et que je suis là aujourd'hui, 55 ans après... toujours sans rien". 

Persuadés que ces procédures d’adoption étaient illégales, Christophe et Anne ont interpellé les autorités à de nombreuses reprises, sans réponse claire.

Pour tenter de comprendre la vérité, nous nous rendons à la mairie de Malo-les-Bains. Le malaise est palpable, les employés semblent connaître le dossier, mais ne sont pas habilités à nous répondre. "Depuis des mois, c'est silence radio", se désespère Christophe. "Chaque fois qu'on appelle, on nous dit qu'il est à l'extérieur ou en réunion". 

Un contexte différent

En Belgique, c'est notamment le service d'adoption Thérèse Wante qui organisait ces accouchements. Aujourd’hui, les équipes et les pratiques ont changé, mais le service d’adoption existe toujours à Ottignies. Personne ne semble disponible pour nous répondre.

On nous renvoie vers un ancien communiqué sur le site internet de l’asbl : "Il est vrai que nous ne possédons pas beaucoup d’informations sur ce qui s’est réellement passé à l’époque, et nous imaginons bien que tout ceci avait lieu dans un contexte bien différent d’aujourd’hui".

Pour aller plus loin, nous rencontrons Jean-Pierre Stroobants, journaliste pour le quotidien français Le Monde. Il a travaillé pendant plusieurs mois sur cette affaire et n'hésite pas à affirmé qu'il s'agissait bien d'un trafic d'enfants : "C'est un drame humain qui concernerait aujourd'hui 30.000 à 40.000 personnes". 

Qu'elle se manifeste, qu'elle réagisse et qu'elle ose affronter ces 55 ans de silence, de secret

Selon lui, l'accouchement sous X était bien autorisé en France, tout ce qui se passait ensuite était illégal : "On avait acté leur naissance, mais on n'avait pas du tout respecté les procédures qui devaient être suivies en France, à savoir : déclarer la naissance. Et, au bout d'un certain temps assez long, neuf mois plus ou moins, ces enfants auraient pu être mis à l'adoption de manière légale".

De son côté, l'Église catholique reconnaît certaines pratiques, mais elle rappelle qu’il n’y avait à l’époque un vide juridique en matière d’adoption. "L'Église a présenté ses excuses au parlement flamand. C'est un phénomène global qui s'est joué à ce moment-là et comme il n'y avait pas véritablement de cadre légal, les gens on fait ce qu'ils ont pu. Ont-ils bien fait ? L'histoire nous le dira", souligne Tommy Scholtès, porte-parole des évêques de Belgique. 

Aujourd’hui, les archives disponibles et les preuves sont rares. Les enfants concernés sont confrontés à une véritable loi du silence tant du côté belge que du côté français. "Si ma mère biologique pouvait être devant son écran et se dire "Waouw, c'est elle"", confie Anne, visiblement émue. "Qu'elle se manifeste, qu'elle réagisse et qu'elle ose affronter ces 55 ans de silence, de secret". 

Après plus de 30 ans de recherches, Anne nous confie avoir souffert psychologiquement, être broyée, nous dit-elle par cette longue quête identitaire. Comme Christophe, elle espère un jour retrouver les traces de son passé ou obtenir un statut de victime.

Contenus sponsorisés

À la une

Les plus lus