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Ce devait être une simple soirée entre amis à Liège pour Benjamin, un habitant de Barchon. Mais alors qu’il commande quatre pitas via l’application Uber Eats, la situation devient de plus en plus étrange. Le livreur, après avoir récupéré la commande, s’est subitement arrêté à « 100-200 mètres » de chez lui, raconte Benjamin.
Après avoir patienté, l’homme de 31 ans, inquiet vu la pluie battante qui tombe sur la Cité Ardente ce jour-là, décide de l’appeler. « Il me dit qu’il est tombé », explique Benjamin, qui propose alors d’aller l’aider et de récupérer sa commande par la même occasion. « C’est mieux que vous annuliez », lui répond le livreur.

Face à cette situation, Benjamin et un ami décident d’aller à sa rencontre. « Je ne l’ai même pas remis en question, n’étant pas loin, je veux l’aider. » Mais peu avant d’arriver à son niveau : « Il a annulé la commande », se souvient Benjamin.
J’ai pris une photo
L’explication, selon lui, était claire : le livreur voulait manger les pitas. « On était en face-à-face, j’ai pris une photo, il était sur son vélo, il attendait la prochaine commande sur son téléphone. Il allait très bien, son vélo allait bien », confie-t-il. « Il avait du mal à comprendre ce qu’on disait, on lui disait d’ouvrir son sac, mais il ne l’ouvrait pas, il ne voulait pas coopérer, mais avec son sourire narquois, ça voulait tout dire. » Benjamin est formel : « Vu comment il était tout souriant, je suis certain que ce n’est pas la première fois qu’il le faisait ».

Contacté par la suite par le service après-vente d’Uber Eats, Benjamin s’est heurté à un mur. « Ils nous demandent d’identifier qui était la personne, sauf que dans l’app, on n’a plus aucune information sur la personne, donc on ne peut rien signaler du tout », déplore-t-il. « Ils savent qu’ils sont couverts. »
Un système qui encourage les abus ?
Pour Martin Willems, membre d’United Freelancers, un groupe émanant de la CSC qui s’intéresse aux défis des livreurs, l’histoire de Benjamin est loin d’être un cas isolé. « Les livreurs qui mangent les commandes, ce sont des choses qui arrivent », assure-t-il, soulignant qu’il y a « de la fraude dans tous les sens et c’est facilité par le système mis en place par Uber ».
C’est dû à ce système
La raison principale est simple, selon le syndicaliste : « C’est dû à ce système dans lequel les livreurs sont ubérisés, donc on ne sait pas qui est responsable de quoi. » De fait, les livreurs sont « formellement indépendants » de la plateforme. En conséquence, « quand le restaurant fournit une commande, mais que le client n’est pas livré, c’est le restaurant qui paye au final », avance Martin Willems.
Conditions extrêmement précaires
Le syndicaliste pointe du doigt les conditions de travail précaires de nombreux livreurs. « Ils sont mis dans des conditions telles qu’ils sont obligés de trouver des trucs pour survivre. Ils essayent de grouper des commandes, d’utiliser d’autres moyens de transport que celui déclaré pour aller plus vite… », détaille Martin Willems. Il évoque même le cas de livreurs qui fréquentent des banques alimentaires pour se nourrir : « C’est étonnant, des gens qui livrent des repas, qui viennent aux banques alimentaires pour se nourrir. Ils gagnent très très peu. »
Une autre pression s’ajoute à la précarité : le système d’évaluation. « Chez Uber Eats, il y a une notation. Il ne faut pas descendre en dessous de 90 % », avance Martin Willems. Cette note est alimentée par les « pouces levés ou pouces baissés » des clients et des restaurateurs. « Si j’approche des 90 %, j’ai un message qui me dit de faire attention. On peut être déconnecté si on est plus lent que la moyenne, ou s’il y a une suspicion de fraude », ajoute-t-il.
La situation actuelle n’est pas tenable
Malgré le fait que le service de livraison soit « nécessaire » et que les clients en soient friands, Martin Willems estime que « la situation actuelle n’est pas tenable » pour personne. « Les livreurs sont exploités, du jour au lendemain on est déconnectés. D’un seul coup, je ne sais plus travailler. C’est totalement arbitraire. »
Le syndicaliste déplore l’inertie des plateformes. « On demande des justifications, mais les formulations d’Uber sont très, très vagues. Les mails sont automatiques pour suspicion de fraude. » Au-delà des livreurs, « pour les restaurateurs, ça ne va pas non plus. C’est le restaurant, au final, qui n’est pas payé. »
Réaction d’Uber
L’entreprise a tenu à réagir face aux propos de Martin Willems. Elle souligne que « les restaurateurs ne doivent pas payer les frais lorsque la commande est passée et en cours de livraison », assure un porte-parole d’Uber. Le restaurateur n’aurait donc pas à payer de frais lorsqu’un client fraude et indique qu’il n’a pas reçu la commande, alors que c’est bien le cas, par exemple.
Par rapport à la déconnexion automatique lorsque la note du livreur descend en dessous de 90 % : « Le système de notation n’a aucune influence si livreur reçoit des commandes. Il ne va pas être déconnecté », insiste-t-il.
La note du livreur s’apparenterait davantage à une « tape sur le dos » : « C’est une sorte de remerciement que les gens qui commandent peuvent donner », précise le porte-parole d’Uber.
Le cas de Benjamin va être investigué en interne.

















