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En vérifiant le compte Instagram de sa fille de 13 ans, Marie est horrifiée: "J’ai découvert qu'elle s’automutilait, d'autres jeunes lui avaient expliqué comment faire"

Une Bruxelloise a découvert avec effroi que sa fille de 13 ans s’automutilait. Un comportement que l’adolescente aurait adopté après avoir vu des photos de jeunes filles sur Instagram. Pourquoi réaliser un tel acte ? Les réseaux sociaux sont-ils un incitant ? Noémie, une jeune Liégeoise qui s’est scarifiée durant plusieurs années, partage son expérience. Et deux pédopsychiatres livrent leurs analyses et conseils.

"J’ai été prise d’horreur en voyant ses profils de gamines entre 13 et 15 ans qui affichent des photos de leur corps en sang et qui disent rêver devenir anorexiques", confie Marie, une Bruxelloise qui nous a contactés via le bouton orange Alertez-nous.

Ces clichés ont été publiés sur le réseau social Instagram. Récemment, sa fille âgée de 13 ans est devenue une nouvelle utilisatrice de l’application de partage de photos et de vidéos. "A 13 ans, on est en recherche de soi et souvent mal dans sa peau d’adolescent. Instagram est une toile immense. Les personnes membres peuvent parler de sujets et thème divers", explique Marie.

Pour se rassurer, elle décide de vérifier de temps et temps le contenu des publications et des échanges de sa fille. Dans un premier temps, rien de spécial n’alerte son attention. L’adolescente discute avec ses amis d’école, notamment de sa passion pour les animaux.

Mais, un jour, Marie tombe sur des photos inimaginables pour elle. "J’ai découvert en fouinant que ma fille s’automutilait les cuisses comme le font ces filles sur Instagram et surtout comme elles lui ont expliqué de faire, pour faire partie de quelque chose, une bande du mal-être", révèle la Bruxelloise.


Comment expliquer ce geste d’automutilation ?

Une première question surgit d’emblée: pourquoi sa fille de 13 ans a-t-elle pratiqué cette scarification ? Les raisons de ce geste peuvent être multiples. D’autant plus qu’il n’existe pas une forme d’adolescence. Dans tous les cas, cette période de la vie est souvent délicate pour les jeunes, plus fragiles au niveau psychologique.

Généralement, les scarifications traduisent une volonté d’évacuer une tension interne difficile à gérer. "Cela traduit un court-circuitage de la pensée. Face à une souffrance psychique, le jeune ne parvient pas à exprimer verbalement cette tension et s’en prend à son corps. Il tente de reprendre le contrôle en se blessant physiquement", explique Rudy Guillaume, psychiatre responsable du centre de jour thérapeutique pour adolescents au CHU de Charleroi. "Cela dépend de la construction psychologique de l’ado. Plus il est solide psychologiquement, plus il parviendra à mettre des mots sur son mal, mais moins il est solide plus il passera à l’acte en se blessant", précise-t-il.

"Il est logique que les adolescents soient le reflet de l’incertitude ambiante dans notre société actuelle. Certains se sentent en difficulté. Et l’automutilation peut être une façon pour eux de faire sortir une tension interne, de se soulager, car ils ne trouvent pas les moyens de sortir cette pulsion interne par le langage ou l’activité physique, le sport", confirme Emmanuel de Becker, psychiatre pour enfants et adolescents, chef de service aux cliniques universitaires Saint-Luc à Bruxelles.


Noémie témoigne: "C’était une façon d’exprimer ou de soulager un mal-être"

C’est le cas pour Noémie, qui a accepté de témoigner. Cette Liégeoise de 19 ans s’est scarifiée pendant plusieurs années. "J’ai fait ça très régulièrement pendant un temps, cela pouvait aller de une à deux fois par semaine à tous les jours. En période de stress, pendant les examens par exemple, c’était la période où c’était le plus fréquent", confie cette étudiante. "Pour moi, globalement, c’était une façon d’exprimer ou de soulager un mal-être", ajoute-t-elle.


Noémie, une jeune Liégeoise 

Noémie commence à blesser son corps quand elle a 15 ans. À l’époque, elle se sent particulièrement mal dans sa peau, suite à plusieurs événements. "J’étais très sensible suite à des défaites amoureuses. J’avais aussi des difficultés scolaires. Et mes parents ont également divorcé à ce moment-là. Je me suis retrouvée un peu toute seule", se souvient Noémie. " À l’époque, j’avais eu un copain qui faisait la même chose. Et je pense que c’est tout ça qui a fait que j’en suis arrivée là", confie la jeune femme.

J’ai fait ça très régulièrement pendant un temps, cela pouvait aller de une à deux fois par semaine à tous les jours

Dans un premier temps, comme la fille de Marie, elle entaille sa peau au niveau de ses cuisses. Une partie du corps moins visible. "C’est un endroit qui ne se voit pas trop, que ce soit en été ou en hiver", commente Noémie. "Quand c’est l’entrecuisse qui est scarifié, c’est une zone plus secrète, plus cachée. Cela peut alors être le reflet d’une problématique de soi avec soi, un souci identitaire. Le jeune se pose beaucoup de questions. Il souffre, se sent seul, incompris et dévalorisé", explique Emmanuel de Becker.

L’estime de soi chez ces jeunes est souvent ébranlée. Noémie éprouve également ce sentiment. Pour elle, se scarifier est une façon de revenir à la réalité. "Parfois je me perdais un peu dans ma tristesse, dans mes émotions et c’est comme si on rendait un mal mental en mal physique. Cela paraît plus concret et cela ramène plus à la réalité. Personnellement c’est comme cela que je l’ai vécu."

À un moment, l’étudiante commence à se scarifier aussi les bras et les poignets. D’après le psychiatre Emmanuel De Becker, cela peut alors signifier un besoin de s’adresser à l’autre, au parent, même de façon inconsciente. Une volonté parfois de le blesser. "Pour ma part, il n’y a pas de raison particulière", confie Noémie. "J’avais justement extrêmement peur que mes parents le découvrent parce que je ne voulais pas les blesser et parce que ce n’étais pas de leur faute. C’est vraiment à moi que j’en voulais", ajoute-t-elle.



"Le souci c’est que l’on devient accro"

Visiblement, ce type de comportement est plus fréquent chez les jeunes filles que chez les garçons."Chez eux, ces gestes sont plus ponctuels, plus transitoires. Tandis que chez les filles, ce comportement peut perdurer sur plusieurs années. Et quand cette conduite s’entretient dans le temps, elle devient une façon de gérer la tension psychique de façon générale, parfois même pour des choses qui ne sont pas très douloureuses comme une frustration", indique Rudy Guillaume.

On stimule de l’endorphine en se blessant pour se calmer. C’est ça qui est très dangereux

"Le souci c’est que l’on devient accro. Ce n’est plus vraiment un besoin mais plutôt un réflexe qu’on développe au fur et à mesure. On stimule de l’endorphine en se blessant pour se calmer. C’est ça qui est très dangereux", confirme Noémie.

D’après le psychiatre du CHU Charleroi, le côté addictif provient en effet du système d’endorphines, les hormones du bien-être. "Face à une douleur répétitive, le corps s’adapte et produit de l’endorphine pour le soulager. C’est la même chose avec la course à pied quand on atteint un certain niveau. Toute agression à son corps stimule des endorphines", souligne Rudy Guillaume.


Les réseaux sociaux, un incitant ?

Marie assure que ce sont de jeunes utilisatrices d’Instagram qui ont incité sa fille à s’automutiler. Quelle est réellement l’influence des réseaux sociaux ?

L’adolescence est de toute façon une période durant laquelle nous sommes très attentifs aux autres de notre génération. Du coup, il existe un grand risque de contagion de certains comportements et une forme d’entraînement. "Surtout vers 13-14 ans, on donne plus de crédit aux jeunes du même âge qu’à ses parents ou aux autres adultes. Leurs paroles et leurs actions ont plus de poids. C’est une période où les adolescents remettent d’ailleurs souvent en question les figures d’autorité, à des degrés divers évidemment", souligne Emmanuel de Becker.

En diffusant des pratiques comme la scarification, les réseaux sociaux peuvent donc renforcer cet effet de contagion et encourager des personnes déjà fragilisées. "Il existe souvent un facteur précipitant que vient confirmer une fragilité existante. Par exemple des remarques de parents mettant en garde face à un corps jugé trop grassouillet peuvent conduire à des problèmes avec l’alimentation. Et les réseaux sociaux peuvent aussi être un facteur précipitant", assure le pédopsychiatre. 

J’espérais pouvoir trouver du soutien et de la compréhension (...) En fait cela ne m’aidait pas du tout. Au contraire, cela m’incitait à le faire

"J’ai aussi eu un compte Instagram pendant un petit temps. Je discutais avec des gens et, en voyant d’autres personnes qui le faisaient, j’espérais pouvoir trouver du soutien et de la compréhension", témoigne Noémie. La Liégeoise réalise toutefois assez rapidement l’effet pervers inverse. "En fait cela ne m’aidait pas du tout. Au contraire, cela m’incitait à le faire."

L’étudiante estime également qu’une photo n’incite pas automatiquement n’importe quel adolescent qui ne se sent pas bien dans sa peau à s’automutiler. "C’est quelque chose qui est déjà présent en nous. Mais s‘il n’y avait pas toutes ces photos, cela pourrait préserver pas mal de personnes."


"Certaines photos sont trashs, cela fait très peur"

Et d’après elle, il suffit de chercher un hashtag pour se rendre compte qu’il y a énormément de photos de ce genre sur le réseau social. "Il y a des comptes qui ont parfois 1.000-2.000 followers. Certaines photos sont trashs. J’ai vu une jambe presque coupée. Cela fait très peur, honnêtement cela m’a fort choquée", confie-t-elle.

Noémie décrit d’ailleurs une sorte de "concours malsain" entre les jeunes pour voir celui qui va le plus loin, celui qui va faire l’acte le plus impressionnant.

Malgré tout, l’influence des réseaux sociaux peut avoir un effet positif. "Cela peut aussi permettre à des jeunes de lancer un signal. Dans ce cas, il faut que les interactions soient véritables et pas superficielles. Cela peut alors être un moyen de dévoiler son mal-être à des personnes avec qui on développe une relation", souligne Rudy Guillaume.

Via son compte Instagram, Noémie rencontre d’ailleurs une jeune fille avec qui elle noue un contact privilégié. "Comme on a le même problème, on peut en discuter sans pour autant se montrer l’une l’autre. C’est un échange psychologique et plus physique." Pour éviter d’être tentée et d’influencer elle-même d’autres personnes, elle décide par contre de supprimer son compte sur le réseau social. "Maintenant j’ai un autre profil où je poste des photos de paysages et où je peux écrire ce que je ressens."



Un sujet tabou à la maison

Par contre, l’étudiante n’en parle pas avec ses parents. Pendant longtemps, elle parvient à dissimuler ses cicatrices qu’elle n’ose pas montrer à ses proches. "L’année dernière j’ai eu une année très difficile qui a fait que j’ai eu recours à la mutilation. J’en garde énormément de cicatrices qui seront visibles à vie. Je me suis bien rendu compte l’été dernier que je n’allais plus pouvoir le cacher", raconte-t-elle.

Avec le soutien d’une psychologue, Noémie arrive finalement à en parler avec sa grand-mère, puis avec sa mère et son père. Mais ce sujet reste très tabou pour la famille. "Ils m'ont demandé d'arrêter de me scarifier, sans vraiment tenté de savoir pourquoi je le faisais. Je pense qu'ils ont réagi comme ça plus par peur, en pensant me protéger. Mais cela engendre plus un sentiment d'insécurité alors qu’on a justement besoin d’être rassuré", confie-t-elle. 


Comment faut-il réagir en tant que parent ?

Il n’est évidemment pas toujours facile de savoir comment réagir en tant que parent face à ce genre de problème.

De son côté, Marie décide de supprimer elle-même l’application Instagram et d’emmener sa fille consulter un psychologue. "Le but est de lui faire savoir que nous sommes là et que l’étape d’adolescence n’est pas facile et qu’il existe d’autres moyens de s’exprimer et surtout d’autres moyens d’exister", explique la mère de famille.

Est-ce la bonne réaction? Comment faut-il réagir en tant que parent?

Pour le psychiatre Emmanuel de Becker, il est essentiel de permettre à l’adolescent de s’exprimer et d’exposer les raisons de ce geste, que ce soit avec un proche ou un professionnel de la santé. "C’est le rôle du parent d’agir pour éviter ces voies de destruction. Le tout est de savoir comment pour ne pas amplifier ces actes. Je préconise de réaliser un temps d’arrêt et d’entamer un dialogue, en disant: 'Ton corps t’appartient mais je ne peux pas cautionner ni banaliser ce comportement. Il existe d’autres façons de s’exprimer, avec moi ou avec d’autres'", conseille le chef de service.

Selon lui, les mots sont capitaux et se limiter à l’action concrète de supprimer une application n’est pas efficace. Bannir les réseaux sociaux n’est donc pas une bonne idée. "La sociabilité est cruciale, l’ouverture au monde est un axe de développement et d’épanouissement des jeunes. Il faut vivre avec son temps mais être attentif aux risques d’excès. Le jeune peut utiliser l’outil mais ne pas être sous son emprise".


"Juste un contrôle parental n’est jamais la bonne voie"

Un avis que partage son confrère, le psychiatre Rudy Guillaume. Il conseille de ne pas diaboliser l’outil. "C’est difficile de maitriser les choses et de les contrôler pour les parents. En ce qui concerne les réseaux sociaux, il faut interroger le jeune sur son usage. Il vaut mieux dialoguer avec lui et lui inculquer un bon usage du réseau plutôt que de tenter de le contrôler en supprimant l’application."

De toute façon, plus l’adolescent est âgé, plus vite cette action sera très vite contournée. "Juste supprimer un compte ne suffit pas puisqu’au final cette jeune fille pourra en recréer un dans le dos de ses parents", souligne Noémie.

Le fait de voir mes cicatrices m’aide aussi à ne pas continuer à abîmer mon corps

D’où l’importance de l’expression verbale. "Juste un contrôle d’un compte Instagram et de l’automutilation en vérifiant les bras tous les matins par exemple n’est jamais le bon axe. Pour tenter de diminuer le recours à l’automutilation, c’est important de travailler sur les raisons du mal-être. C’est un signal d’alarme mais ce n’est pas lui qu’il faut combattre. Sinon on se trompe de combat. Il n’y a que les reproches et cela risque de renforcer le problème", souligne Rudy Guillaume.

Depuis quelques mois, Noémie ne se blesse plus. Grâce à sa psychologue et à sa volonté personnelle, elle parvient à "se contrôler"" Aujourd’hui, j’ai toujours peur de passer à l’acte mais j’essaie maintenant de vivre avec ça. Le fait de devoir accepter son corps, ce que je lui ai fait, ce n’est pas facile tous les jours. Tout comme affronter le regard des autres. Mais j’y arrive petit à petit. Et le fait de voir mes cicatrices m’aide aussi à ne pas continuer à abîmer mon corps", confie la Liégeoise.


Pourquoi Facebook n'interdit-il pas ces profils sur Instagram ?

"Affolée" par le fait que des personnes fragiles puissent être influencées par certains profils sur Instagram, Marie en a signalé une dizaine à Facebook, qui détient Instagram. "Ma surprise fut que même avec des photos sanglantes, on m’a répondu pour tous les profils qu’il n’y avait aucune infraction aux règles communautaire d’Instagram", indique la Bruxelloise, scandalisée.

Facebook affirme supprimer "tout contenu qui encourage ou favorise l’automutilation ou le suicide, y compris les représentations en temps réel". Mais la société ajoute vouloir "faire de Facebook un espace où les gens peuvent partager leur expérience, sensibiliser les autres utilisateurs sur ces fléaux et se soutenir mutuellement". "Par conséquent, nous autorisons les utilisateurs à partager des informations et de discuter du suicide et de l’automutilation."  Reste donc à savoir comment la société parvient à déceler les motivations réelles derrière ces publications.

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