Partager:
La rencontre de Copa Sudamericana entre les Argentins d’Independiente et les Chiliens d’Universidad de Chile a été arrêtée à la 48e minute alors qu’éclataient des affrontements dans les tribunes du stade Libertadores de América, au sud de Buenos Aires. Les deux équipes étaient alors à égalité (1-1).
Les incidents ont commencé lorsque les supporters chiliens ont lancé des projectiles, dont des bouteilles, des sièges et une bombe artisanale, vers les tribunes inférieures et latérales où se trouvaient des supporters argentins qui les ont renvoyés, a constaté un journaliste de l’AFP.
Au milieu du chaos, sans que les forces de sécurité n’interviennent, les supporters argentins ont ensuite escaladé la tribune supérieure pour s’en prendre à leurs homologues chiliens. Armés de bâtons, ils ont porté des coups à de nombreux supporters chiliens et ont obligé certains à se déshabiller. Pour échapper à un lynchage, un supporter chilien s’est jeté dans le vide depuis une tribune.
19 Chiliens hospitalisés dont 3 gravement blessés
Le ministère chilien des Affaires étrangères a indiqué que 19 de ses citoyens avaient été hospitalisés et que 101 personnes avaient été arrêtées, tous des supporters de l’Universidad de Chile. Six mineurs ont été remis en liberté.
Un rapport médical cité par la presse argentine indique que trois Chiliens sont gravement blessés, dont deux avec un pronostic réservé. Tous présentent un traumatisme crânien. L’état de l’homme qui s’est jeté dans le vide reste grave, bien qu’il ait évolué favorablement après une opération, ont précisé les autorités sanitaires.
« Par miracle il n’y a pas eu de morts », a estimé le président du club de l’Universidad de Chile, Michael Clark.

La faute à l’organisation argentine ?
« Ils ne savent pas organiser un match de cette envergure, tout le monde sait que des objets volent d’un côté à l’autre », a déclaré à l’AFP un supporter chilien, Victor Cepeda, attendant des amis arrêtés devant un commissariat.
Face à la « gravité de ce qui s’est passé », le président du Chili, Gabriel Boric, a dénoncé un « lynchage inacceptable de Chiliens » et annoncé l’envoi en Argentine de son ministre de l’Intérieur, Alvaro Elizalde. « Nous allons protéger les droits de nos citoyens sans préjuger des responsabilités que pourrait établir la justice », a-t-il écrit sur X.
L’Association nationale de football professionnel (ANFP) chilienne a critiqué la « passivité » des personnels de sécurité du stade. Le président chilien a pointé une « irresponsabilité évidente dans l’organisation ».
Au moins 650 policiers et agents de sociétés privées étaient censés assurer la sécurité au sein et en dehors de l’enceinte sportive.
L’Argentine rejette la responsabilité sur le Conmebol et les Chiliens
Le ministre de la Sécurité de la province de Buenos Aires, Javier Alonso, a rejeté la responsabilité sur l’organisateur de la compétition, la Confédération sud-américaine de football (Conmebol), qui aurait dû « suspendre le match » car il était selon lui « évident qu’il y avait une attitude très hostile » de la part des supporters chiliens, a-t-il déclaré à Infobae.
Une enquête a été ouverte par le parquet argentin. Des enquêteurs procédaient jeudi à l’inspection du stade et ont réclamé les images de vidéosurveillance, selon une source du club d’Independiente à l’AFP.
La Conmebol a indiqué jeudi que « l’affaire a été transférée (à ses) organes judiciaires » et qu’elle « agirait avec la plus grande fermeté ». Le président de la FIFA, Gianni Infantino, a demandé que « les autorités compétentes imposent des sanctions exemplaires ».
La violence dans les stades, une mauvaise habitude en Amérique du Sud
Le football sud-américain est régulièrement en proie aux violences et aux débordements. En avril, deux jeunes chiliens sont morts quand des supporters ont tenté d’entrer de force dans un stade de Santiago.
Selon des études académiques ou sous l’égide d’ONG, plus de 100 personnes sont mortes au cours des 20 dernières années en Argentine, 157 au Brésil entre 2009 et 2019, et 170 en Colombie entre 2001 et 2019.
Il existe une idée « que les stades sont des espaces où il est légitime de commettre des actes de violence, non seulement physique, mais aussi de racisme ou d’homophobie », affirme à l’AFP l’expert argentin Diego Murze. Selon lui, il y a une « logique tribale qui a toujours prédominé dans le football ».
Pour de nombreux fans, « le football est un exutoire à la frustration », assure le sociologue colombien Germán Gómez. « Il existe une poétisation de ce que représente la victoire de l’équipe dans la vie de ces supporters, ce qui conduit à cette perte de contrôle émotionnel lorsqu’un match est gagné, et même lorsqu’il est perdu ».
Aucune solution efficace jusqu’à aujourd’hui
La sécurité a été renforcée dans de nombreux stades du continent, avec notamment l’installation de caméras et, parfois aussi, d’une identification biométrique à l’entrée. « En Argentine, on vous contrôle plus dans un stade qu’à l’aéroport », ironise Diego Murze. Mais ces technologies ne permettent pas toujours d’identifier efficacement les supporters violents. « On pourrait penser que ces avancées technologiques permettraient d’identifier les auteurs de ces actes de vandalisme et de les tenir responsables, mais la justice n’agit pas toujours efficacement », souligne le sociologue.
German Gomez accuse de son côté de laxisme le Conmebol, instance dirigeante du football sud-américain : elle éviterait, selon lui, d’imposer « des sanctions exemplaires aux clubs » impliqués dans des violences, de peur que leur fermeture n’entraîne « d’importantes pertes financières ».
En Argentine et en Colombie, les supporters de l’équipe adverse sont interdits de déplacement. En Argentine, au Chili, en Uruguay et en Colombie, plusieurs clubs sanctionnés pour des incidents ont dû jouer à huis clos l’an dernier.
Selon Diego Murze, les clubs doivent professionnaliser leurs dispositifs de sécurité, aujourd’hui « entièrement » délégués à l’État et la police.
Au Chili, la mort de deux supporters en avril a conduit le gouvernement à mettre fin au programme « Stade sécurisé », lancé en 2011 et censé lutter contre la violence dans les stades, mais jugé inefficace. L’initiative, qui confiait notamment la sécurité à des sociétés privées, devrait être prochainement remplacée par un nouveau dispositif. « Réduire la violence dans le football en Amérique du Sud doit passer par des actions visant à promouvoir l’éducation et une culture du football », estime German Gomez.


















