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Ils sont souvent en arrière-plan des enquêtes criminelles, pourtant leur rôle est central : déterminer les causes d’un décès, lever les doutes, et parfois, révéler un meurtre. Les médecins légistes belges alertent aujourd’hui sur un système à bout de souffle.
Dans les sous-sols d’un hôpital bruxellois, le docteur Grégory Schmit s’affaire autour du corps d’un homme décédé la veille. L’autopsie s’annonce délicate : « Il faut préciser s’il est bien mort d’une intoxication ou s’il y a eu autre chose, comme une strangulation qu’on ne voit parfois pas à l’examen externe », explique-t-il. Finalement, aucun signe suspect n’est relevé. L’analyse toxicologique confirmera une overdose d’amphétamines, de méthamphétamines et possiblement de MDMA.



Mais pour ce médecin légiste, ce cas illustre aussi un enjeu plus large : « On ne réalise pas assez d’autopsies en Belgique, au risque de passer à côté de certains homicides. »
Des effectifs divisés par deux en vingt ans
Grégory Schmit a commencé sa carrière en 2007, à une époque où Bruxelles comptait six médecins légistes. Ils ne sont plus que trois aujourd’hui, couvrant en plus le Brabant wallon. Une tendance nationale : ils étaient 42 en 2000, ils sont aujourd’hui deux fois moins.
Philippe Boxho, autre figure de la médecine légale, déplore également une réduction des interventions : « Avant, on nous appelait pour toutes les morts violentes, sauf les accidents de la route. Aujourd’hui, ce n’est que si le cas est jugé suspect ». Avant d’ajouter : « Mais ce qui paraît suspect à la police ne l’est pas forcément médicalement, et inversement. »
Des conséquences potentiellement dramatiques
En Belgique, seuls 1 % des décès font l’objet d’une autopsie, loin des 10 % recommandés par l’Union européenne. Une carence qui peut laisser des crimes sans suite. « Je me souviens d’une dame qui semblait morte d’un malaise dans sa salle de bains. L’autopsie a révélé qu’elle avait été étouffée. C’était un meurtre », témoigne Grégory Schmit.



Selon certaines estimations, entre 10 et 15 % des homicides échapperaient ainsi à la justice pénale, soit environ 70 à 80 décès chaque année.
Une justice confrontée à des arbitrages
Ce sont les magistrats qui décident de mandater ou non un médecin légiste. Anne Karcher, responsable de la section crime au parquet de Bruxelles, explique : « Il y a des choix d’opportunité. Si tout indique un suicide, l’autopsie peut être jugée superflue. Mais dans d’autres cas, on la juge indispensable pour écarter tout doute. »
La justice dispose de budgets limités
Des choix dictés aussi par le manque de moyens. Pour Philippe Boxho, « on appelle moins les médecins légistes parce que la justice dispose de budgets limités ».
Recruter pour ne pas sombrer
François Beauthier, médecin légiste reconnu, s’inquiète : « Si on ne recrute pas plus rapidement, on risque de se retrouver en grande difficulté. Il faut des vérifications plus systématiques. »
Mais le métier est jugé peu attractif : longues journées, horaires imprévisibles, peu de perspectives financières. « On ne fait pas le poids face à d’autres spécialités plus confortables », reconnaît-il.
Tristan Scholzen, jeune assistant passionné, est l’un des rares à avoir rejoint le métier récemment, attiré par la diversité des cas et la collaboration avec la justice : « On sort beaucoup de l’hôpital et on voit des choses rares. »
Des promesses de renforts
La ministre de la Justice, Annelies Verlinden, est consciente de la situation. Son cabinet prévoit l’ouverture de quatre nouveaux centres médico-légaux, dont deux d’ici la fin de la législature. À terme, la Belgique en compterait six. Des moyens supplémentaires doivent être discutés lors du prochain budget.
Un signal positif, mais encore insuffisant selon les professionnels du secteur, pour qui chaque autopsie manquée est une vérité potentiellement perdue.



















