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Au 224 avenue Louise se trouve l’hôtel Solvay. Un véritable joyau architectural, à l’image de son escalier en métal doré, surmonté d’une verrière imposante, donnant accès aux pièces de vies séparées par des espaces vitrés. « Je ne fatigue jamais de venir ici », confie Alexandre Wittamer, propriétaire et directeur de l’hôtel Solvay.
« Ce qui est passionnant dans cet hôtel, c’est le côté très plan libre. Quand vous êtes dans le salon ou dans la salle à manger, l’escalier, tout est ouvert », s‘enthousiasme Benjamin Zurstrassen, le directeur du musée Horta. « J’ai beaucoup de souvenirs d’enfance ici. C’était le bureau de mes grands-parents. Tout ça n’existerait pas si mes grands-parents n’avaient pas été là au bon moment. Je veux surtout leur rendre hommage », explique Alexandre Wittamer.
Des architectes ont proposé de le démonter, mes grands-parents ont refusé
Car cet hôtel particulier a bien failli disparaître. En 1950, ses grands-parents rachètent l’immeuble à la famille Solvay, de riches industriels qui en avaient confié la construction à Victor Horta, le maître incontesté de l’art nouveau. « Les Solvay ont préféré la candidature de mes grands-parents et je suis très fier de leur achat parce que c’est un achat sauvetage. Les deux autres acheteurs étant des promoteurs immobiliers qui avaient la ferme intention de démolir le bâtiment. »
Berthe et Louis Wittamer y installent leur atelier de haute couture, la maison Valens, un fleuron belge dans les années 50. Un sauvetage qui suscite pourtant l’incompréhension. « Il y a même eu des articles de presse qui traitaient mes grands-parents de fous de sauver un immeuble comme ça parce que c’était considéré comme un style qui n’était plus du tout à la mode. L’escalier d’honneur, il y a des architectes spontanément qui ont proposé de le démonter pour mettre des parois vitrées à la place, d’enlever toutes ces ferronneries, ces boiseries, etc. Et ils ont heureusement refusé de faire tout ça. »
Pourquoi l’Art nouveau était rejeté dans les années 50 ?
Mais d’autres acquéreurs n’ont aucun scrupule. Au même moment sur l’avenue Louise, la Maison Aubecq, autre chef-d’œuvre de Victor Horta, est mise en vente. Cette fois, les promoteurs ont gagné, sous l’impulsion de la ville de Bruxelles qui autorise sa destruction au profit d’un immeuble d’habitation. Horta est démodé. « Les spécialistes disent que Horta est un grand architecte. Par contre, toutes ces matières, ces courbes, ce n’est quand même pas terrible. C’est un peu bizarre », explique Benjamin Zurstrassen.
Ce qui déplaît, c’est notamment le mélange des matières incompatibles au regard de certains Belges, détaille-t-il. « Le fer plat avec le rivet qui est laissé apparent. Les briques vernissées, ça, c’est pour les matières industrielles. Et à côté, des matières beaucoup plus riches et luxueuses comme le marbre de Carrare ou le marbre rosso. Pour les gens de l’époque, c’était une explosion. Comment oser montrer des matières pauvres, connotées comme étant des matières pour l’industrie ou pour les gares, dans un intérieur bourgeois avec des matières excessivement raffinées et coûteuses ? »
Un chef-d’œuvre démoli pour y mettre un immeuble d’appartements
De la maison Aubecq, il ne reste plus rien, enfin presque : 600 pierres bleues sculptées de la façade ont été sauvées grâce à la détermination d’un collaborateur de Victor Horta. Pour la première fois, on nous a ouvert les portes d’un hangar aux allures de cimetière, où elles sont entreposées. « C’est volumineux, c’est encombrant. On n’a jamais vraiment trouvé le lieu adéquat pour reconstruire cet hôtel de maître », explique Pascale Ingelaere, qui est la responsable Patrimoine Culturel Mobilier chez urban.brussels.
Depuis 75 ans, ces pierres font l’objet de spéculations. Reconstituer la façade de l’hôtel semble illusoire, à moins de l’exposer en deux dimensions, comme cela avait été réalisé il y a quelques années sur un terrain vague. Un autre destin les attend : elles serviront d’outil pédagogique pour la formation de jeunes dans les métiers de la construction. « Qu’elles puissent continuer à raconter des histoires et à servir à la formation, à l’enseignement, c’est une des plus belles destinées qu’on peut leur trouver », estime Pascale Ingelaere.
En qualité de dépositaire des vestiges de l’hôtel Aubecq, la Région bruxelloise entend protéger le chef-d’œuvre de Victor Horta. Et en qualité d’héritier, Alexandre Wittamer, veut perpétuer la mémoire de ses grands-parents. Il vient de recevoir un prix Européen pour la rénovation de l’hôtel Solvay, un musée inscrit depuis 25 ans au patrimoine mondial de l’Unesco.
















