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Diplômé et professeur dans un collège du Brabant wallon, David risque de "tout perdre" à cause d'un imbroglio administratif typiquement belge

Diplômé et professeur dans un collège du Brabant wallon, David risque de "tout perdre" à cause d'un imbroglio administratif typiquement belge

Le professeur de religion au collège Cardinal Mercier de Braine l’Alleud pourrait être renvoyé au Congo. En cause ? Un vide juridique et un conflit entre la loi relative aux étrangers et la législation de l’enseignement. "Une situation aberrante", dénonce Jean-Marc Picard, avocat spécialisé en droit de l’immigration depuis 35 ans. Le cas de David n’est pas un cas isolé dans notre pays. Explications.

Vous avez été une vingtaine à nous avertir de cette situation ubuesque via le bouton orange Alertez-nous : amis, élèves, parents d’élèves, professeurs, et même le directeur adjoint de l’établissement. "Mon professeur de religion va être expulsé dans son pays d’origine, le Congo, car il y a eu un problème administratif", nous prévient un élève du collège Cardinal Mercier à Braine l’Alleud. "Il est très apprécié par les élèves", ajoute-t-il. 

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Un imbroglio administratif 

Victime d’un imbroglio administratif et juridique typiquement belge, David Mbombo se retrouve menacé par un ordre de quitter le territoire. "C’est très dur à vivre, je me sens impuissant. Un des dangers, et c’est ce qui me fait le plus peur, c’est que je risque de perdre tout ce que j’ai construit ici depuis 9 ans", nous explique David.

Arrivé en Belgique à ses 18 ans en 2014, ce professeur d’origine congolaise a construit sa vie en Belgique. Il décide d’étudier la théologie et réalise ainsi deux masters, un premier à Bruxelles et un autre à l’UCL. Il obtient ses deux diplômes et termine son parcours universitaire en juin 2021.  

Dès la rentrée scolaire, soit en septembre 2021, David est embauché au collège Cardinal Mercier en tant que professeur de religion sous contrat temporaire d’une durée d’un an. Et c’est là que ça se complique. 

Dans l’enseignement, un contrat temporaire dure 10 mois, ce qui implique forcément un arrêt de travail durant les vacances scolaires. Le prochain contrat ne peut pas être encodé avant le premier jour de l’année scolaire suivante, à savoir septembre 2021 dans ce cas-ci. Durant ce court laps de temps, David n’avait donc pas de travail. Mais il savait qu’il allait être réembauché pour l’année scolaire 2022-2023 dans le même établissement. 

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Un conflit entre plusieurs lois Belges 

Problème, à cause de cette période de 2 mois durant les grandes vacances d’été, la Région wallonne a refusé sa demande de permis de travail pour cause de situation irrégulière. Un imbroglio administratif mais aussi juridique puisque la loi relative à l’enseignement et la loi des étrangers entrent en conflit.

"J’ai l’impression que l’Office des étrangers et la Région wallonne ne tiennent pas compte de ma situation : ça fait 9 ans que je suis en Belgique, j’ai fait mes études ici, j’ai tout de suite commencé à travailler, et tout ça sans problème. Et à cause de ce délai de 2 mois, je risque de tout perdre", s’indigne David. "Je suis piégé, et l’école aussi", souffle-t-il. 

Une histoire qui fait beaucoup réagir, à commencer par le collège Cardinal Mercier où David était professeur. Nous avons rencontré Benoît Martin, directeur adjoint de l’établissement qui nous a également contacté via le bouton orange Alertez-nous pour dénoncer cette situation. 

"Quand on apprend la décision de la Région wallonne le 29 décembre 2022, c’est le ciel qui nous tombe sur la tête", réagit-il. "On ne s’y attendait pas du tout puisque l’année précédente tout s’était bien passé". 

Un vide juridique en ce qui concerne les enseignants temporaires étrangers

Et à y voir de plus près, Benoît Martin constate un vide juridique, nous explique-t-il : "Un enseignant temporaire, pendant les vacances d’été, n’est plus sous contrat, même si on sait très bien qu’on va le réembaucher l’année suivante. Et pour l’Office des étrangers, ne plus être sous contrat veut dire ne plus pouvoir être légalement dans le pays", détaille-t-il. 

David bénéficie d’un permis unique, à savoir un permis qui combine à la fois le titre de séjour et le permis de travail. La Région wallonne s’est donc basée sur cette courte absence de contrat pour refuser le renouvellement du permis unique de David. Et donc invalider son titre de séjour, mais aussi son permis de travail. Dès le mois de janvier, l’établissement introduit un recours contre cette décision tout en continuant de l’employer en tant que professeur de religion. 

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L’établissement contraint de licencier David à cause du non-renouvellement de son permis unique

"Mais en février, on reçoit l’accusé de réception du recours qui nous dit qu’on embauche une personne de manière illégale, en l’occurrence Mr Mbombo, et qu’on risque de lourdes amendes", résume-t-il. "Là, c’est une deuxième fois le ciel qui nous tombe sur la tête".

Résultat, en mars, l’établissement se voit contraint de se séparer de Mr Mbombo "car il y avait trop de risques". "L’avocat était sur la même ligne que nous, d’un commun accord mais la mort dans l’âme, on s’en est séparé le 9 mars", souffle-t-il.

Professeur de religion, un métier en pénurie dans notre pays 

David est donc victime de ce vide juridique. Problème, le Fédéral et la Région se renvoient la balle. Impossible de savoir vers qui se tourner pour contester cette décision. "Et ce jeu de ping-pong fait que le dossier reste bloqué", explique le directeur adjoint de l’établissement.  

"Ce qu’on attend ce sont des actes. On espère que l’affaire pourra se résoudre vite, on agit pour Mr Mbombo mais ce n’est pas un cas isolé, il y en a plein des Mbombo qui ne sont pas médiatisés malheureusement", conclut Benoît Martin. 

D’autant que son métier fait partie des professions en pénurie en Belgique. Résultat : le collège Cardinal Mercier se retrouve sans professeur pour ses élèves, qui sont aujourd’hui dispensés de ce cours. 

Une application de la loi "nocive" selon un avocat spécialisé en droit de l’immigration  

Me Jean-Marc Picard, avocat spécialisé dans le droit de l’immigration depuis 35 ans, nous livre son expertise : "C’est 'bêtement' cohérent ! On a une application presque mathématique de la loi sans réfléchir aux conséquences que ça a. Et je crois que c’est vraiment nocif".

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"Ce monsieur est enseignant de manière temporaire, donc on le licencie en juin pour le réembaucher en septembre. Que fait l’Office des étrangers ? Il constate que ce monsieur a un titre de séjour et un permis de travail jusqu’en juin, ça veut dire que le 1er juillet il n’a plus de titre de séjour ni de permis de travail. Son permis unique n’a pas été renouvelé. En conséquence, il reçoit un ordre de quitter le territoire", résume-t-il. 

Une situation "aberrante" mais pas un cas isolé en Belgique 

Une situation que l’avocat juge "aberrante" mais qui n’est pas un cas isolé. Et surtout, qui ne se rencontre pas uniquement dans l’enseignement, nous explique Me Picard qui travaille sur plusieurs dossiers similaires : "On a formé des gens mais ils ne peuvent pas travailler en Belgique alors qu’ils seraient utiles, qu’ils aideraient l’économie Belge, qu’ils payeraient des taxes et des impôts", détaille-t-il. "C’est absurde et c’est une façon d’appliquer la loi qui est nocive, véritablement nocive pour l’économie belge", insiste-t-il. 

Pour lui, la question est plus politique que juridique : "On a en Belgique un nombre significatif de personnes en séjour irrégulier qui travaillent au noir, et qui ne demanderaient pas mieux que d’être régularisés, que le patron aussi veut régulariser, mais il n’y a pas moyen". Dans notre pays, le travail au noir représente entre 3.6 % et 20 % du PIB.

En conséquence, Me Picard insiste, il faudrait un "petit changement de la loi" afin de permettre aux personnes qui sont en séjour irrégulier mais qui ont un travail, d’être directement régularisés en Belgique sans devoir retourner dans leur pays. 

Une pétition ouverte 

Pour soutenir David et éviter qu’il soit expulsé du pays suite à cet imbroglio administratif et juridique, une pétition a été ouverte par des parents de l’école. Elle a déjà récolté des milliers de signatures. 

jeudi, mars 30, 2023 - 06:00

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