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« Elle se battait tous les jours » : Sadia, 20 ans, a été tuée par sa famille, l’histoire bouleversante qui a éveillé les consciences sur les crimes d’honneur en Belgique

Par RTL info avec Dominique Demoulin, Steve Damman et Véronique Forest
Sadia, 20 ans, était amoureuse de Jean et voulait vivre librement. Mais le poids des traditions l’a tuée. Le 22 octobre 2007, elle est victime de plusieurs coups de feu au domicile de sa famille à Lodelinsart. Dispute qui tourne mal ou crime d’honneur fomenté par toute sa famille ? Le jury d’assises tranche en décembre 2011. Pour la première fois, la Belgique juge un crime d’honneur.

Le 25 août 2006, une jeune femme vêtue d’une somptueuse robe rouge s’installe face à un écran. Sa famille a pris place sur le grand canapé du salon. C’est le mariage de Sadia et d’Abbas, un cousin pakistanais. L’union a lieu à distance, du moins dans un premier temps. Est-ce forcé ou consenti ? Les versions s’opposent.

À l’Institut pour l’égalité des femmes et des hommes, on reconnaît la difficulté de détecter ces mariages contraints, à l’époque comme aujourd’hui. « Les victimes de ces mariages forcés sont parfois prises dans un conflit de loyauté par rapport à leur famille et à leurs traditions, explique Michel Pasteel, directeur de l’institut. Alors qu’elles-mêmes sont dans une vie moderne qui ne correspond pas à cette tradition. Mais elles ne disent rien. »

Le voyage au Pakistan pour officialiser l’union est prévu en mars 2007. Il n’aura jamais lieu. Trois jours avant, Sadia s’enfuit. Elle se réfugie dans une maison pour femmes battues et elle tente de couper les ponts avec sa famille. Mais celle-ci l’inonde de messages, d’appels téléphoniques, de menaces. Selon ses amis, la vie de la jeune femme devient un enfer, mais elle tient bon.

« On a dû la cacher dans les toilettes »

Sadia est amoureuse de Jean. Un jeune Belge rencontré un an plus tôt. Elle veut devenir juriste et continue à suivre les cours, sous protection. « Il y a eu des scènes où on a dû la cacher dans les toilettes ou dans la salle des profs », témoigne le personnel de l’université. « Il y a eu des altercations, notamment une fois en particulier où la police a dû intervenir dans l’école ».

Les mois passent. Sadia loue un appartement à Mons. Le temps semble apaiser les conflits. Mudusar, le frère de Sadia lui propose de venir manger en famille le 22 octobre, la jeune femme accepte. Le piège se referme. Des coups de feu claquent dans la maison de Lodelinsart. Mudusar prend la fuite. Sadia est grièvement blessée. Elle décède à l’hôpital 48 heures plus tard.

Ses amis bouleversés, brosse le portrait d’une jeune femme écartelée entre deux cultures, entre deux loyautés et victime d’un crime programmé de longue date. « Nos droits fondamentaux, on les vit tous les jours sans s’en rendre compte qu’on les vit, et elle, tous les jours, se battait pour pouvoir les vivre tout simplement. »

« C’était emblématique parce qu’il y a eu un soutien immédiat de tout l’entourage de la victime, de ses amis et donc ça a créé un engouement aussi au niveau médiatique, se souvient Michel Pasteel. Ce qui fait que pour la première fois, ça a donné une visibilité à ce phénomène qu’on appelle les crimes d’honneur. »

Crime d’honneur

Crimes d’honneur, c’est aussi la conclusion des enquêteurs. Mudusar, le frère tant aimé, est arrêté après trois mois de cavale. Il assume tout. Il affirme avoir agi de sa propre initiative, mais il ne convainc pas. Le 21 novembre 2011, le père, la mère, le frère et la petite sœur de Sadia comparaissent devant les assises de Mons. Personne ne représente Sadia.

« Il n’y avait pas de parties civiles et seul l’Institut pour l’égalité des femmes et des hommes était présent comme partie civile, ce qui est de notre mission légale », raconte Michel Pasteel.

Pour la première fois, la Belgique juge un crime d’honneur sans que la notion existe dans la loi. On parle alors d’assassinat avec circonstance aggravante. « Après, il y a eu la loi Stop féminicide où on définit pour la première fois le crime d’honneur dans la loi », souligne Michel Pasteel.

Durant ces trois semaines de procès, la tension est constante. Mudusar aimait sa sœur, dit-il, mais il devait se conformer à la tradition. La mère de Sadia, impassible, semble ne pas comprendre ce qu’elle fait là. Le père, visage fermé, nie avoir voulu la mort de sa fille. « Il ne l’a pas voulu. Il n’est pas intervenu pour que ce crime soit commis », affirme Michel Bouchat, avocat du père de Sadia. Le jury ne le croit pas. Il condamne le père, chef de famille, à 25 ans de prison, le frère à quinze ans, la petite sœur à cinq ans et la mère de Sadia à 20 ans. Sa peine sera réduite lors d’un second procès.

Prise de conscience

Mais au-delà des peines, la mort de Sadia débouche sur une prise de conscience et sur des changements. Michel Pasteel détaille : « Il y a des mesures extrêmement concrètes, comme, en cas de victimes potentielles, prévoir un endroit pour pouvoir les accueillir en toute sécurité, donner des formations vraiment intenses aux hauts magistrats et aux policiers, faire en sorte qu’il y ait des statistiques, ça, c’est une obligation maintenant ».

Chaque année en Belgique, les officiers de l’état civil dénoncent une vingtaine de mariages forcés. Pour Sadia, ce fut l’étape avant la mort.

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