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« Il y a quelqu’un qui arrive… range ! » : plongée dans les opérations « commando » des graffeurs en Wallonie

Par RTL info avec Julie Duynstee et Guillaume Bruwier
Graffer sur les trains est une pratique illégale, et une discipline à part dans le milieu. Pour les graffeurs, c’est une forme d’expression artistique. Mais pour la SNCB, ce sont des actes de vandalisme qui coûtent cher : près de 9 millions d’euros en nettoyage chaque année. Comment sont réalisés ces graffitis ? Et pourquoi ? Comment lutter contre ce phénomène ? Et quelles sanctions risquent les auteurs ?

Dans la pénombre d’une cave, deux amis nous donnent rendez-vous, quelque part en Wallonie. Pour préserver leur identité, leurs visages sont cachés. Ils préparent une action cette nuit. « Moi, je ferai le fond, dit l’un. Et toi, tu fais les effets ou tu fais les boules. Et je repasserai voir ton graff avec d’autres effets à moi ». Depuis de nombreuses années, ils peignent des graffitis sur des trains. Une pratique spécifique dans le milieu. « L’adrénaline est beaucoup plus forte. On y retourne et on y retourne encore. Après, il y a la passion du train, bien sûr », confie l’individu.

Pas question d’ébruiter cette activité illégale. Peu de personnes, même dans leur entourage, sont au courant. « C’est une spirale », confie un graffeur. « J’ai une vie très normale. J’ai une vie de famille, un travail qui prend vraiment une grosse partie de mon temps. Personne ne le sait, personne ne le voit. Et malgré ça, le week-end, je ne dessine plus, mais je prends mes sprays ».

Leur but n’est pas de dégrader des biens, assurent-ils, mais d’exprimer et partager une forme d’art.

Chaque action est préparée minutieusement : le choix des couleurs, la composition générale, et surtout les conditions sur place. « C’est un peu des opérations commando. Tout est étudié : horaires, passage du Sécurail. Le temps d’arrivée de la police à notre dépôt ».

Un peu avant 23h, les amis se mettent en route après un dernier repérage. À leur arrivée, le grillage est ouvert. Une situation inhabituelle. « En général c’est fermé, c’est exceptionnel que ça soit ouvert comme ça ». D’habitude, ils coupent une barrière : « On fait un trou de taille d’homme », précise-t-il. Les graffeurs pénètrent dans le dépôt et s’arrêtent devant le modèle de train recherché. Chacun peint son panel, un graffiti coloré formé de lettres. Le temps est compté. Entre 25 et 40 minutes maximum. C’est le délai calculé, avant l’arrivée d’un train. Mais une surprise attend les graffeurs : « Il y a quelqu’un qui arrive… Range, range, range ! »

Le train est là plus tôt que prévu. Leur réaction est immédiate. Ils courent se cacher. « Il y a un train qui est venu se parquer. Forcément, le conducteur est dans la cabine, face à nous avec ses phares. Puis il va repartir, donc on va reprendre d’ici peu », raconte l’un des graffeurs. Quelques minutes plus tard, ils décident de terminer leur panel. Le résultat final est immortalisé. Pour eux, garder une trace est important. Car la SNCB va faire disparaître leurs graffitis au plus vite.

Ce nettoyage est réalisé dans des ateliers de la SNCB. Un travail effectué tous les jours. Certains trains doivent être nettoyés en priorité. « Ce sont des trains qui sont entièrement recouverts de graffitis, et les trains avec des graffitis à caractère raciste et politique », explique Olivier Waucquez, du service support atelier de SNCB technics.

L’année dernière, 8.500 graffitis ont été enlevés. Ce qui représente une surface totale de 250.000 mètres carrés. Soit 35 terrains de football. Pour la SNCB, ce nettoyage est essentiel : « Un graffiti a des conséquences vraiment très importantes en termes de confort des voyageurs et surtout en termes de sécurité », explique Vincent Bayer, porte-parole. Les fenêtres complètement recouvertes « créent un sentiment d’insécurité à l’intérieur du train » et empêchent « de voir les gares où le train s’arrête ». Une situation « très ennuyeuse aussi pour l’accompagnateur de train ». À l’extérieur, « les données techniques, qui sont cruciales en termes de sécurité pour le personnel de bord, sont également occultées ». 

Et le coût de ces nettoyages est important. Près de 9 millions d’euros en 2024. Un chiffre stable ces dernières années. Alors, comment lutter contre ces dégradations ? Le porte-parole de la SNCB nous explique le dispositif de sécurité. Notamment des clôtures renforcées. Il nous montre aussi des caméras de surveillance : « Il y a des caméras visibles qui filment tout à 360 degrés, vous avez d’autres caméras un peu partout, des caméras invisibles et des caméras mobiles qu’on est susceptible de positionner en complément, à certains moments, à certains endroits, en fonction de notre surveillance permanente du domaine. »

Au total, plus de 15.000 caméras jalonnent l’ensemble du domaine ferroviaire. Mais sont-elles réellement efficaces ? « Ces caméras sont évidemment très utiles puisqu’elles surveillent en fait 24 h sur 24, sept jours sur sept l’ensemble des faisceaux, raconte Vincent Bayer. Et nous travaillons de concert avec les forces de police. Elles sont à leur disposition ».

Des agents de sécurité patrouillent aussi régulièrement. Notamment les agents Securail. L’un d’entre eux accepte de témoigner de façon anonyme. Il explique mener des rondes tous les week-ends dans les endroits sensibles. Et réaliser des actions spéciales avec la police : « Toute la nuit, nous restons cachés dans les trains pour les prendre en flagrant délit. Nous sommes alors une dizaine. J’en ai déjà arrêté et menotté sur place ».

« On a déjà évité quelques courses-poursuites, quelques guets-apens de la police, sécurail », raconte à ce propos un graffeur.

Des graffeurs sont effectivement parfois surpris en pleine action, comme vous pouvez le voir dans la vidéo ci-dessus. Mais, visiblement, les opérations avec la police ne sont pas fréquentes, faute de moyens.

« La police des chemins de fer est comme la police fédérale, en grande difficulté au niveau des personnels, indique Thierry Belin, secrétaire national du syndicat policier SNPS. On est obligé de faire des choix. Vous vous rendez bien compte qu’il y a d’autres priorités que celle-là. Parce qu’un train qui est tagué, ce n’est pas gai, ce n’est pas beau, ça coûte cher pour le nettoyer, mais le train continue à rouler. »

Pour les graffeurs, les risques sont réels. Il existe deux types de sanctions : des amendes qui peuvent atteindre plusieurs milliers d’euros et des peines pénales allant d’un à six mois de prison.

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