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Emma ne peut pas intégrer le personnel de cabine de Brussels Airlines à cause d'un "petit tatouage": "Je suis dans l’incompréhension"

Emma a tout mis en oeuvre pour faire partie du personnel de cabine de Brussels Airlines, mais début janvier, il lui a été indiqué qu'un tatouage présent sur sa main gauche n'allait pas lui permettre d'être embauchée. La compagnie aérienne avait pourtant allégé ses consignes en janvier 2024. Explications.

Durant l'été 2024, Emma a déposé sa candidature afin de faire partie des membres d'équipage de Brussels Airlines. Enseignante de formation, la jeune femme de 25 ans a souhaité découvrir d'autres horizons dans sa carrière professionnelle en rejoignant la compagnie aérienne. Elle raconte comment elle est parvenue à franchir plusieurs étapes afin d'atteindre la formation du personnel de cabine.

"J’étais enseignante auparavant, durant un an et demi. J’étais professeure de langues modernes (anglais et néerlandais) dans une école secondaire du Brabant wallon. Je voulais vraiment arrêter cette profession pour me consacrer à la formation me permettant de rejoindre Brussels Airlines. Une formation issue d’un processus très long", indique Emma.

Après le dépôt de sa candidature fin août, des étapes de sélection par capsule vidéo ont eu lieu. "Ayant réussi ces premières étapes, j’ai été invitée à me présenter à une journée de recrutement, avec une trentaine de personnes. Cela a eu lieu en octobre 2024. A la suite de cette journée de recrutement, je vais être sélectionnée. J’étais ravie. Les entretiens s’étaient super bien déroulés, avec un accent mis sur les langues. Dès ces entretiens, je n’ai par ailleurs jamais cherché à cacher un petit tatouage que j’ai sur la main gauche. Il est visible si on y prête attention, mais il est tellement petit qu’on peut ne pas le voir. Je n’ai jamais tenté de le dissimuler et j’avais surtout hâte d’être à la formation."

La formation tant attendue par Emma a débuté le 6 janvier dernier. Et dès le premier jour, le règlement intérieur de l'entreprise a été présenté. La jeune femme a été particulièrement attentive aux consignes concernant... les tatouages.

"On est arrivé au sujet des tatouages, et il est bien indiqué que les tatouages sont effectivement interdits dans quelques zones bien précises: le visage, le cou et les mains. Mais il est bien stipulé que si ces tatouages sont présents, il faut les cacher par du maquillage. Il a donc été très clair que celui-ci peut être couvert. Par acquit de conscience, j’ai demandé à l’instructeur en face de moi si mon tatouage posait un problème. Je lui ai montré, et il m’a dit que je savais ce que je devais faire..." 

Je me suis dit que ça sentait mauvais pour moi

Emma parle ensuite d'un "événement", qui a provoqué chez elle de vives inquiétudes quant à son avenir.

"A la fin de cette première journée de formation, une personne a été éjectée de cette formation. (...) Cette personne nous dira qu’elle a été éliminée, car elle a un tatouage sur la main. Mais la taille, dans ce cas-là, posait un problème", assure-t-elle.

"Je me suis dit que ça sentait mauvais pour moi. Je ne me sentais pas très à l’aise", dit-elle. 

Lors du deuxième jour de formation, la jeune femme a ainsi voulu s'assurer qu'elle allait pouvoir poursuivre son apprentissage. 

"Je me suis dit que si mon tatouage avait posé un problème lors du premier jour, on m’aurait éliminé. Les premières minutes du jour ont été consacrées à l’absence de la personne éliminée la veille. (...) Mon stress a grandi. Et lors d’une pause, vers midi, j’ai pris la décision d’aller directement dans le bureau des RH, et d’aller demander de vive voix si mon tatouage posait un problème. (...) Je ne voulais pas perdre trop de temps."

Je ne m’attendais pas à ce que la décision soit celle-là

Emma dit avoir eu une discussion avec une représentante des ressources humaines et un instructeur pour s'assurer que son tatouage ne représenterait pas un frein en vue de décrocher un premier contrat. Vers 15h ce jour-là, Emma a finalement appris que l'aventure s'arrêtait à ce stade de la formation. 

"Au fond de moi, c’était un choc. Même si c’était ma demande et que j’avais été dans le bureau des RH pour mentionner l’existence de ce tatouage, je ne m’attendais pas à ce que la décision soit celle-là."

Emma dit être dans "l’incompréhension", car "on nous avait dit que je pouvais cacher ce tatouage. On m’a dit que dans l’offre d’emploi, il est indiqué que les tatouages sont interdits sans d’autres précisions. Je veux bien l’entendre, mais pourquoi sur d’autres documents diffusés lors du premier jour de formation, il est bien mentionné que les tatouages peuvent être cachés avec du maquillage? J’avais bien conscience de ce que je pouvais faire et ne pas faire..."

Et de conclure: "Je suis aujourd'hui dans une situation délicate, car du jour au lendemain, j’ai perdu la formation que j’attendais depuis le mois d’octobre. Je me suis donné les moyens pour être disponible. (...) Il ne faut pas sélectionner les gens comme ça, et leur donner des perspectives. Car après la réussite de la formation, suivait directement un contrat temporaire de 6 mois jusqu’au 31 octobre 2025. J’ai aussi dû passer et payer des examens médicaux 183 euros, non-remboursables. Il y a énormément de choses qui ne doivent plus arriver."

Que dit le réglement de Brussels Airlines?

En janvier 2024, Brussels Airlines a présenté un nouvel uniforme accompagné de nouvelles consignes de style.

Pourquoi de nouvelles règles ? "Les consignes précédentes dataient de 2007. Il était de temps d’entre autres faire un pas vers plus d’inclusion, évoluant avec la société. L’objectif est de faire en sorte que chacun se sente comme chez lui, et cela inclut bien sûr ses employés. Ces nouvelles lignes directrices devraient contribuer à améliorer le bien-être au travail en leur permettant de se sentir à l'aise en portant l'uniforme", indique Joëlle Neeb, porte-parole pour la compagnie aérienne.

Quelques éléments-clés de ces nouvelles consignes de style ont été mis en avant auprès du personnel, et des candidats qui souhaitent rejoindre Brussels Airlines.

"Les directives en matière de coiffure, de maquillage et de bijoux ne sont plus différentes pour les hommes et les femmes. Par exemple, pour le maquillage ou le vernis à ongles, certains styles et palettes de couleurs devront être respectés, quel que soit le sexe de l'employé. De plus, le maquillage est devenu facultatif pour tous et n'est donc plus obligatoire pour les femmes. Il n'y a pas non plus de différence entre les genres en ce qui concerne la coiffure : dès que les cheveux touchent les épaules, ils doivent être attachés ou portés en chignon, ce qui est une consigne de sécurité", précise Joëlle Neeb.

Et parmi toutes ses consignes, les tatouages peuvent désormais être montrés à condition de respecter certaines règles, telles que la position, la taille et ce qu'ils représentent.

"Les employés en uniforme sont autorisés à afficher visiblement des tatouages, sans dépasser la taille maximale de 5,5 cm x 8,5 cm pour chacun d'entre eux. Tout tatouage ou autre art corporel qui dépasse la taille maximale ou qui peut être considéré comme offensant par les collègues ou les passagers (par exemple, symboles religieux, langage offensant) doit néanmoins être couvert. Les zones autorisées pour les tatouages visibles sont les bras, le haut du corps et les épaules, ainsi que les jambes, les chevilles et les pieds. Les tatouages ne sont pas autorisés sur le visage, le cou et les mains. Tout tatouage ou autre art corporel qui ne respecte pas les règles ci-dessus doit être couvert par des vêtements ou du maquillage", avait indiqué Brussels Airlines dans un premier temps.

Couvrir un tatouage sur la main avec du maquillage n’est pas réaliste

Mais la situation racontée par Emma présente une "incohérence" entre l'offre d'emploi et les consignes de style. Ce que reconnaît la compagnie aérienne, qui s'explique. Des adaptations dans la réglementation vont être apportées.

"Cette situation met en évidence une incohérence entre l'offre d'emploi (où nous mentionnons l’interdiction de tatouages sur les mains, le visage et le cou) et nos consignes de style. Dans ces consignes, nous stipulons que les tatouages sur les mains, le visage et cou doivent être couverts par des vêtements ou du maquillage. Dans la pratique, et avec plusieurs mois de recul, maintenant, nous nous rendons compte que couvrir un tatouage sur la main avec du maquillage n’est pas réaliste. En effet, notre personnel de cabine se lave très régulièrement les mains lors d’un shift ce qui demanderait donc de recouvrir le tatouage à nouveau à chaque fois. Nous allons dans un avenir proche adapter certains détails (dont la position des tatouages) des consignes afin d’éliminer toute confusion possible", assure Joëlle Neeb.

Les tatouages entravent-ils toujours la recherche d'un emploi?

Pour tenter de répondre à cette question, nous avons contacté UNIA, l’institution publique indépendante qui lutte contre la discrimination et défend l’égalité des chances en Belgique.

Le directeur Patrick Charlier indique que le centre reçoit relativement peu de signalements similaires à celui d'Emma. 

"Le fait d’interdire l’accès à un emploi en raison d’un tatouage ou d’un piercing, pose question. Mais ce n’est pas nécessairement une discrimination. Il faut voir la justification de l’interdiction, la raison pour laquelle Brussels Airlines interdit les tatouages et notamment sur la main. Nous n’avons pas eu de dossier les concernant. On ne sait pas pourquoi cette interdiction est là. Si la raison est justifiée et que le mesure est proportionnée, on ne va pas parler de discrimination. Si la raison n’est pas justifiée ou disproportionnée, on va pouvoir parler de discrimination."

Le tatouage est-il bien ancré dans la société ?

"Comme nous n’avons pas énormément de dossiers, l’évolution est difficile à estimer. Maintenant, il est vrai qu’on constate dans notre société qu’il y a de plus en plus de personnes tatouées ou qui ont des piercings, sans que ça pose un problème ou des difficultés. Je l’ai constaté moi-même dans différents lieux, à l’hôpital, à la poste, dans des magasins... Il y a de plus en plus de personnes qui arborent des tatouages ou des piercings. Ce qu’on ne voyait pas il y a 15-20 ans. Il y avait une stigmatisation plus forte à l’époque. Je pense que la tolérance et l’acceptation est plus importante aujourd’hui."

Peut-on licencier à cause d'un tatouage ?

"Il peut y avoir des raisons de sécurité et d’hygiène. Il faut pouvoir justifier et expliquer. Il faut que ça soit convaincant. (...) Je ne vois pas en quoi cela pourrait poser un problème pour du personnel de cabine, dans un avion. (...). S’il s’agit d’un petit tatouage, il peut être masqué via du maquillage pendant les prestations professionnelles. C’est moins problématique que l’interdiction complète, et de refuser d’engager quelqu’un." 

Et de conclure: Dans le cas présent (chez Brussels Airlines), un tatouage peut être un frein à l’embauche. Vous avez le cas d’une personne qui semble-t-il a été refusée en raison de son tatouage. Mais c’est probablement, et c’est plutôt une intuition que fondée sur des faits, qu'avoir un tatouage est moins un frein aujourd’hui qu’il y a 10 ou 15 ans. Notre société a pas mal évolué de ce point de vue-là, dans l’acceptation des personnes qui portent des tatouages ou ont des piercings." 

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