Accueil Actu Vos témoignages

"Une gestion désastreuse": Faïza "exaspérée" face aux nombreux chantiers, y en aura-t-il autant dans les années à venir?

Embouteillages, retards, nervosité: certains automobilistes n’en peuvent plus. Face à la multiplication des chantiers, Faïza, une habitante de Vilvorde, a vu la durée de son trajet vers son travail être multiplié par quatre. "C’est une gestion désastreuse des travaux", estime-t-elle. Pourquoi y a-t-il de nombreux travaux sur les routes ? Y en aura-t-il toujours autant dans les années à venir ? Les experts répondent.

"Nous en avons marre !" Faiza, une conductrice bruxelloise, est "exaspérée" face aux chantiers présents sur son itinéraire. Habitante de Vilvorde et employée à Zaventem, Faïza a vu son trajet "quadrupler" en durée.

"En temps normal, mon trajet ne devrait durer que 10 minutes, mais il me faut désormais près de 40 minutes pour arriver à destination ! On me dira 'Pourquoi ne pas prendre les transports en commun ?', mais ce n’est tout simplement pas une option pour moi", a-t-elle souligné, il y a quelques semaines. "D’abord, parce que j’ai de jeunes enfants à déposer chaque matin à l’école et à la crèche, ce qui implique plusieurs arrêts. Ensuite, mon travail m’amène régulièrement à me déplacer jusqu’à Anvers. Il m’est donc impossible d’opter pour les transports en commun, et cela ne résoudrait en rien le problème de la mauvaise gestion des travaux à Bruxelles, et dans les environs."

Faïza dit avoir observé que les automobilistes deviennent de plus en plus "nerveux", "à cause de ces travaux permanents". "Cela fait plus de 10 ans que j’ai mon permis, et ces derniers mois, je n’ai jamais autant klaxonné pour éviter des accidents. Je me pose des questions : pourquoi les communes ne se concertent-elles pas avant de lancer des chantiers ? Pourquoi tout commencer en même temps, générant frustration, danger et files interminables ? C’est une gestion désastreuse des travaux en Belgique!" 

Pourquoi autant de chantiers sur les routes en Belgique ?

Nous avons interrogé Didier Block, secrétaire général de Mobiwall, la fédération wallonne des entrepreneurs de travaux de voirie.

"Depuis la régionalisation des travaux publics, à la fin des années 80, l’entretien des voiries devenues régionales a été sous-financé. Ce n’est qu’avec l’instauration du prélèvement kilométrique (à partir de 2016) qu’une solution structurelle a été trouvée pour financer l’entretien du réseau structurant (Sofico), et améliorer le financement de l’entretien du réseau non-structurant (réseau régional géré directement par le SPW MI (SPW Mobilité et Infrastructures))." 

La fréquence des travaux a ainsi augmenté ces dernières années. "Grâce à ces solutions en matière de financement, les gestionnaires de réseaux peuvent maintenant financer les travaux qui n’ont pu être correctement réalisés pendant les 30 ans précités (de fin 80 à 2017). Donc, en effet, depuis lors, le volume des travaux a sensiblement augmenté. C'est un rattrapage du retard accumulé", explique Didier Block. 
 
Qu’en est-il de leur durée ? Les chantiers, ont-ils tendance à s’éterniser au-delà des délais annoncés ?"Les délais initialement prévus sont soumis aux découvertes de situations imprévues initialement. Ces découvertes nécessitent des allongements de délais pour trouver des solutions et ensuite réaliser les travaux supplémentaires rendus obligatoires à la suite de ces découvertes (vétusté, etc..). Il est toujours plus compliqué (et plus long) de rénover une maison ancienne que de construire une maison neuve."

A quoi faut-il s’attendre dans les prochaines années ?

"Concernant la durée des travaux, l’objectif, pour mieux la maitriser, est de réduire les risques de découvertes de situations imprévues. Il faut en effet, pour ce faire, augmenter les investigations préliminaires au démarrage des marchés. Mais ce n’est pas toujours possible lorsque le démarrage est urgent. Ensuite, indépendamment des efforts pour réduire la durée, la priorité doit surtout être donnée à la réduction des gênes au trafic, car c’est ce sujet qui est le plus important pour les usagers. Le Centre de Recherches Routière travaille actuellement et activement sur ce sujet, avec la collaboration de Mobiwall, la Sofico et le SPW MI."

Bruxelles cernée par les chantiers ?

En moyenne, 3.500 chantiers sont en cours chaque semaine à Bruxelles. Une situation qui s’explique par plusieurs facteurs. "En région bruxelloise, il y a actuellement environ 100.000 chantiers par an. À l’heure actuelle, sur une semaine, il y a 3.500 chantiers en cours", détaille Camille Thiry, porte-parole de Bruxelles Mobilité. "Quand on dit chantier, on comptabilise tout, comme une intervention de Sibelga pour une installation. On comptabilise les petites et les grosses interventions."

Les causes de cette prolifération des chantiers sont multiples. Certaines sont technologiques : les opérateurs télécoms déploient massivement la fibre optique. D'autres sont liées à l’état des infrastructures. "À Bruxelles, des rames de tram de la STIB doivent être remplacées. Le réseau d’égouttage, géré par Vivaqua, montre des signes de faiblesse. Il y a ainsi parfois des affaissements de voirie..."

Autre facteur pointé du doigt : le calendrier électoral. "Souvent, les gens nous disent : 'On voit que ce sont bientôt les élections. Il y a des travaux partout'. Effectivement, c’est logique", reconnaît la porte-parole. "Si vous avez une législature de cinq ans, au démarrage, les régions et les communes vont planifier les chantiers. Le temps d’avoir les autorisations, les études, les marchés publics… on arrive 3-4 ans après, et on lance les chantiers."

L'impression chez les citoyens d’un allongement des durées de chantiers n’est pas "infondée". "Il n’y a pas de retard, mais la durée des travaux peut augmenter, car il y a un impératif de coordination. Si la STIB refait les rails, on va leur dire : 'Veuillez vous coordonner avec toutes les personnes qui doivent intervenir dans cette rue'. Résultat, des chantiers plus lourds et plus longs, mais qui évitent de devoir rouvrir plusieurs fois la même voirie."

Bruxelles Mobilité espère de son côté pouvoir maintenir le rythme des rénovations. "Il y a des tunnels à nettoyer, des routes à asphalter, un revêtement qui ne dure jamais plus de dix ans. Il y a toujours du pain sur la planche."

Et en Wallonie?

Depuis 2010, la Sofico est en charge du réseau structurant wallon, soit plus de 2.700 km de routes (876 km d’autoroutes, 1.455 km de nationales et environ 400 km d’échangeurs) et près de 2.300 ouvrages d’art (ponts et tunnels).  

Les infrastructures, marquées par le sous-investissement des décennies précédentes, doivent être remises à niveau. "Depuis 2010, les chantiers se sont multipliés pour offrir aux usagers un réseau de qualité", explique Héloïse Winandy, la porte-parole de la Sofico.

Ces travaux peuvent couvrir un éventail très large: de l’entretien courant (curage, fauchage, nettoyage…) à la réhabilitation profonde de voiries ou de ponts. Certains chantiers s’achèvent en quelques jours, d’autres s’étalent sur plusieurs années. "Il est peu pertinent de comparer le nombre de chantiers, car leur nature, leur ampleur et leur durée varient fortement", précise la porte-parole. "Nous tendons à développer plus systématiquement des interventions de remplacement des couches supérieures du revêtement afin de retarder des interventions plus lourdes, et donc plus conséquentes sur les structures plus profondes des voiries. Enfin, de nombreux chantiers concerneront également les ponts qui jalonnent nos grands axes."

Préserver la fluidité du trafic reste "un des plus grands défis" pour les gestionnaires du réseau : de nombreuses opérations sont donc planifiées la nuit, le week-end ou pendant les congés scolaires.

Le financement repose donc en partie sur la redevance kilométrique perçue depuis 2016 sur les poids lourds (dont près de 60% du trafic est assuré par des camions étrangers). Ce mécanisme de "l’utilisateur-payeur" a permis à la Sofico d’investir près de 3,7 milliards d’euros dans le réseau entre 2010 et 2024. 

"La majorité des chantiers respectent les délais contractuels, mais des aléas (météo, accidents ou imprévus techniques) peuvent justifier des prolongations", conclut Héloïse Winandy.

Les chantiers routiers, un mal nécessaire

Alors que les automobilistes s’impatientent face aux nombreux chantiers, des chercheurs y voient un "signal positif". C’est le cas de Luca Sgambi, chargé de recherche à la faculté d’ingénierie architecturale et d’urbanisme de l’UCLouvain. "Je suis un automobiliste assez content de voir des travaux, car les routes s’abîment. Donc, il faut des chantiers", déclare-t-il, "Des administrations, qui font des travaux de maintenance, font des choix courageux. Intervenir rapidement sur une fissure naissante permet d’éviter des réparations plus longues, plus coûteuses et plus risquées dans quelques années."

Pour modifier la fréquence des travaux, la société en général devrait, selon cet expert, revoir ses comportements, notamment les modes de consommation. "Pourquoi les routes s’abîment-elles ? Car il y a des camions et de nombreux véhicules, notamment à cause de la globalisation", explique-t-il. "Pas grand monde n’est prêt à faire un sacrifice, comme aller acheter des carottes à la ferme d’à côté, plutôt que des fruits au supermarché qui viennent de loin."

La technologie pourrait permettre de faire évoluer les chantiers ? Luca Sgambi en est convaincu. "Il y a des logiciels aujourd’hui qui font de l’optimisation, qui permet de tenir compte de la pollution, des embouteillages, des coûts de la manutention… et ainsi minimiser les embouteillages. Quand j’en avais discuté avec la Région wallonne, il n’y avait rien en Belgique. Aux Etats-Unis, c’est la norme. Ce serait pas mal d'utiliser ces logiciels en Europe. On a les moyens pour le faire. On doit changer la façon de travailler."

Contenus sponsorisés

À la une

Les plus lus