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"C'est un type d'esclavage moderne": Marie dénonce les conditions de travail des stagiaires infirmiers

Alors que le métier d'infirmier est en pénurie, une étudiante en dernière année dans une école à Bruxelles dénonce les conditions de stage. Selon cette jeune femme, les stagiaires doivent souvent effectuer des tâches ingrates, ce qui nuit à la qualité de l'apprentissage. Et ils doivent payer des frais alors que le stage n'est pas rémunéré. Cette situation provoque, selon elle, un sentiment d'exploitation. Ce témoignage reflète-t-il la réalité? Peut-on parler d'une situation généralisée? Quels efforts ont été réalisés par le secteur pour améliorer la qualité des stages?   

"Nos conditions de vie sont particulièrement préoccupantes", déplore une stagiaire infirmière via le bouton orange Alertez-nous. Nous l’appellerons Marie pour respecter sa demande d’anonymat. Cette étudiante est en dernière année en soins infirmiers à la haute école Léonard de Vinci à Bruxelles. Depuis plusieurs années, ce baccalauréat dure quatre ans pour décrocher un diplôme de formation supérieure. 

"Dès la troisième année, on passe plus de temps en stage qu’à l'école", indique Marie. La jeune femme de 24 ans a donc déjà multiplié les expériences dans différents hôpitaux. Et le constat est plutôt amer. 

Tout d’abord, la stagiaire épingle la charge financière considérable engendrée par ces stages non rémunérés. "Il faut savoir que nous ne sommes pas payés. Et pourtant nous devons payer des frais", regrette Marie. "On ne reçoit aucun défraiement pour les kilomètres parcourus ou pour des abonnements pour les transports en commun. On doit aussi payer la cantine à l’hôpital", déplore l’étudiante. Actuellement, elle réalise un stage au Chirec à Delta, en région bruxelloise. "Les stagiaires n'ont pas accès au parking de l'hôpital et sont contraints de payer le parking visiteurs. Ce qui représente une dépense quotidienne de 22 euros", assure-t-elle. 

Je suis même en négatif à la fin du mois 

Vu le travail accompli, Marie estime que cette situation n’est pas acceptable. "Je trouve ça un peu scandaleux qu'on ait zéro euro dans la poche à la fin du stage. Moi, je suis même en négatif après avoir payé la nourriture, l’essence et le parking". D’après la jeune femme, beaucoup de stagiaires sont d’ailleurs obligés de trouver un job étudiant pour compenser les frais. "En troisième année, je travaillais le week-end. Je n’arrêtais donc jamais. C’était du sept jours sur sept. C’était horrible", confie la jeune femme. 

La directrice du département infirmier du Chirec tient toutefois à relativiser la situation. "Le prix du repas chaud revient à 2 euros. Les parkings ne sont pas accessibles aux étudiants, car ils n'ont pas la capacité suffisante. Cependant, les moyens de transport en commun sont suffisamment développés sur les trois sites. Par ailleurs, le coût du parking est de 2,5 euros l'heure et aucun de nos étudiants ne travaille 12h d'affilée. Si c'est une prestation de nuit, le parking est gratuit comme pour tout le personnel", assure Isabelle Cambier.

De son côté, la présidente de l’association belge des praticiens de l’art infirmier (ACN) souligne que les stagiaires sont considérés comme des travailleurs. "Ils devraient, à ce titre, disposer des mêmes conditions que les employés d’une entreprise telles que prévues par la loi du travail (horaires, etc.) mais ceci ne s’étend pas aux avantages offerts aux employés par un employeur spécifique, puisque les stagiaires ne sont pas employés", précise Jacinthe Dancot, en ajoutant que les stages infirmiers impliquent d’autres frais que le parking éventuel, notamment le logement, l’entretien des tenues, la mise en garde des enfants à des heures peu habituelles, etc. Ces frais sont évidemment variables selon les situations individuelles et les lieux de stage.

L’association plaide d’ailleurs auprès du gouvernement fédéral en faveur d’un défraiement des stagiaires infirmiers lors de leur dernière année. "Ce défraiement devrait être équitable pour tous les lieux et types de stage, et il ne doit pas entraîner des réductions du personnel en place ni obliger les étudiants à devenir de "petites mains" sous-payées", insiste Jacinthe Dancot. 

Au-delà de l’aspect financier, Marie critique la qualité de l’apprentissage réservé aux stagiaires à la fin des études. "Les étudiants en dernière année se voient encore souvent assigner des tâches de base ingrates, telles que faire des lits, prendre des paramètres, faire des douches. Des tâches maîtrisées déjà depuis longtemps. Cette situation transforme le stage en une forme de bénévolat plutôt qu'en une véritable opportunité de formation", regrette l’étudiante. "Moi, je travaille toute seule. Je n'ai aucune supervision d'un infirmier à côté de moi. On a vraiment l’impression d'être de la main d'œuvre gratuite. Et c'est un type d'esclavage assez moderne", estime-t-elle. Depuis la rentrée scolaire, Marie considère qu'elle n’a pas appris grand-chose. "J'ai eu un seul stage qui m'a servi depuis septembre. C'était aux soins intensifs". 

"Les soins de base font partie des tâches de tous les infirmiers. En effet, ils permettent de développer un contact privilégié avec le patient, d'observer l'état de la peau, le niveau de douleur, le niveau nutritionnel", répond la directrice du département infirmier du Chirec. Par ailleurs, Isabelle Cambier conteste cette existence d’une "main d’œuvre supplémentaire gratuite". "Une réunion avec la direction de chaque école a lieu en fin d'année scolaire et a pour objectif de répartir les étudiants par lieu de stage pour l'année suivante. Au Chirec, le nombre de stagiaires ne dépassent jamais le nombre d’infirmiers sauf évidemment imprévu, tel que l’absence inattendue d'un effectif ", assure-t-elle.

Et quelle est la situation dans les autres hôpitaux ? Visiblement, la plupart des lieux de stage tentent de respecter ce principe de base : le stagiaire est présent pour son apprentissage, en surplus du personnel en place. "Mais certains lieux, heureusement en faible nombre, diminuent le nombre de membres du personnel présent lorsque des stagiaires sont présents", admet la présidente de l’association belge des praticiens de l’art infirmier. "C’est donc une pratique limitée. Mais, si cela est porté à notre connaissance, dans mon école, nous avons pour habitude de fermer le lieu de stage concerné", ajoute Jacinthe Dancot. Elle soulève aussi le problème des conditions de travail des infirmiers qui peut avoir un impact négatif sur les stagiaires : "Des infirmiers en grande souffrance ne sont pas en mesure de bien accompagner des étudiants ni d’offrir un modèle de rôle positif. Et de tels infirmiers sont présents sur le terrain".

Les expériences positives sont plus nombreuses en stage

D’après Marie, lors des groupes de parole entre étudiants, ce sentiment d’exploitation est, en tout cas, récurrent. Il ne s’agirait donc pas d’un retour négatif isolé. 

"Les difficultés évoquées par cette étudiante ont été largement décrites dans l’analyse transversale qui a suivi les évaluations qualité des formations au bachelier infirmier responsable de soins généraux en Belgique francophone", révèle la présidente de l’ACN qui n’est donc pas "surprise" par les affirmations de Marie. Jacinthe Dancot a elle-même réalisée une thèse sur l’estime de soi des étudiants infirmiers. "Ceci étant dit, j’ai aussi constaté que les expériences positives sont plus nombreuses en stage que les expériences négatives. Malheureusement, les expériences négatives ont un impact plus important et plus durable sur les étudiants, ce qui nécessite de travailler beaucoup sur ce sujet", souligne la présidente.

Je suis déjà rentrée en pleurs

Les conséquences de ces conditions de stage difficiles auraient un impact majeur sur le moral des étudiants, selon Marie. "De nombreux stagiaires sont épuisés, démoralisés. Je suis déjà rentrée en pleurs à la maison", confie la jeune femme. "Et aucune intervention n'est faite pour améliorer la situation", regrette-t-elle. 

Jacinthe Dancot tient toutefois à souligner les nombreux efforts déjà réalisés par les institutions de formation et les terrains de stage pour améliorer l’accueil et l’expérience des étudiants. "La présence d’un infirmier ICANE dans les hôpitaux (infirmier chargé de l’accueil des nouveaux et des étudiants), la prise en charge des tenues de stage ou repas par certains lieux de stage, la formation des infirmiers pour augmenter leurs compétences pédagogiques", énumère-t-elle. 

"Nous avons plusieurs contacts par an avec les écoles ainsi qu’une plateforme de communication permanente. Nous réalisons une évaluation annuelle par service en partenariat avec chaque école et les avis sont en général très positifs à l'égard du Chirec. Nous avons reçu en 2024 environ 1.938 étudiants", assure également la directrice du département infirmier de l'hôpital bruxellois. 

En-tout-cas, des mauvaises conditions de stage amplifient le phénomène de pénurie, en augmentant le nombre d’abandons. "Je connais plusieurs étudiants en dernière année qui ne veulent pas exercer la profession", confie Marie. 

"Une des réponses à cette pénurie serait l’amélioration des conditions et de l’intensité de travail des infirmiers. Il y a urgence, pour l’ensemble des infirmiers et pas uniquement les stagiaires", estime la présidente de l’ACN. 

Actuellement, il manque environ 25.000 infirmiers en Belgique. Et 3.000 lits hospitaliers ont été fermés faute de personnel. 

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